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Afghanistan

Inquiétudes pour les prisonniers des Talibans

Après l'arrestation de 24 membres d'une organisation non gouvernementale allemande, l'incertitude reste totale sur le sort réservé aux prisonniers tandis que les autorités talibanes multiplient leurs mesures discriminatoires.
Menacés de peine de mort, les membres de l'organisation chrétienne allemande Shelter Now arrêtés dimanche par la Police religieuse talibane donnent des sueurs froides aux chancelleries allemandes, australienne et américaine au Pakistan. Six ressortissants allemands, deux Australiens et deux Américains font partie des 24 détenus appréhendés dimanche au motif d'une tentative de conversion au christianisme de musulmans afghans. Selon le vice-ministre de la Prévention du Vice et de la Promotion de la Vertu, Mohammed Salim Haqqani, les membres de Shelter Now auraient été trouvés en possession de bibles et d'un film vidéo à caractère prosélyte. «Nous suivions ce groupe depuis un certain temps, et c'est finalement vendredi que nous avons pu capturer les deux femmes en flagrant délit de diffusion du film à une famille afghane», s'est-t-il félicité après l'interpellation. En vertu d'un décret proclamé par le Mollah Omar en janvier dernier, toute personne soupçonnée d'encourager un Afghan à la conversion encourt la peine de mort. L'ampleur du prosélytisme observé détermine néanmoins la gravité de la peine, et les taliban assurent n'avoir pas encore clarifié le degré de «propagation du christianisme» en jeu.

La police religieuse affirme en revanche avoir découvert des pièces confondantes. Selon M. Haqqani, outre les bibles et le film, 6000 à 7000 bandes magnétiques faisant l'apologie du christianisme auraient été trouvées. Le tout serait en poutcho et en dari, les langues régionales de l'Afghanistan. «L'enquête devient intéressante et toutes ces nouvelles découvertes tentent une fois de plus de dévoyer les Afghans», conclue-t-il, après avoir précisé que les huit étrangers «avaient confessé leur crime». Pour «intéressante», l'enquête n'en démontre pas moins une opacité désarmante pour qui tente d'en pénétrer le cours. «Nous ne savons même pas s'ils ont été inculpés», a indiqué le porte-parole australien. «C'est une des choses que nous allons essayer de déterminer. Ont-ils été inculpés? Quelles sont les peines encourues ?». Les termes de la procédure judiciaire comme les conditions de détention, notamment pour les six jeunes femmes, sont laissés à l'imagination des diplomates et des proches des travailleurs humanitaires. Aucune information précise ne filtre. «Ils se portent bien, ils sont nourris correctement et sont bien traîtés», a déclaré M. Haqqani. Faisant allusion à une proposition d'intervention de la Croix-Rouge, après que les visites consulaires aient été frappées d'interdiction, il a coupé court : «Je pense qu'il n'est pas nécessaire pour le moment qu'ils reçoivent la visite (de la Croix-Rouge) ou de quiconque d'autre parce que l'enquête est toujours en cours». Selon la tradition diplomatique, les visites consulaires constituent un droit internationalement reconnu dans le cas d'arrestations de ressortissants étrangers.

«Une sérieuse préoccupation»

Les chancelleries, qui ne dissimulent pas leur inquiétude, ont décidé de coordonner leurs efforts et d'y intégrer le Pakistan, seul pays à disposer encore d'une ambassade à Kaboul. L'urgence est d'obtenir des visas auprès de la représentation diplomatique du régime taliban à Islamabad (Pakistan), pour pouvoir peut-être se rendre, ce jeudi, dans la capitale afghane et accéder à leurs compatriotes. «Nous avons formulé notre demande de visas hier», a déclaré un porte-parole de l'ambassade des Etats-Unis à Islamabad. «Nous attendons toujours une réponse. Nous n'avons encore reçu aucune information officielle des Taliban; pour l'instant, nous ne pouvons que suivre l'évolution de la situation et attendre.» Un effort visible est fourni pour ne pas augmenter la tension générée par l'incident ; les officiels se sont ainsi abstenus de commenter le motif de l'arrestation. Des observateurs remarquent que si des relations sereines peuvent exister avec les représentants taliban «libéraux» à l'étranger, l'accès à la très redoutée police religieuse constitue un pari autrement aléatoire.

Pour les Nations unies, cette arrestation fait l'objet d'une «sérieuse préoccupation». Elle intervient dans un contexte religieux de plus en plus tendu ; juste après la destruction des Bouddah de Bamyian, les autorités talibanes, qui professent le respect des autres religions, viennent d'imposer aux hindous le port d'un tissu jaune. Sur le plan humanitaire, les autorités se sont illustrées récemment par la fermeture des boulangeries de l'ONU. Pour le ministère pour la Propagation de la Vertu, la mésaventure de Shelter Down est un signal. «Notre message aux autres associations d'aide est qu'ils doivent respecter la culture et la religion de l'Afghanistan». Les taliban font savoir qu'un avertissement avait déjà été formulé à l'attention de Shelter Now. Le siège allemand de l'organisation dément catégoriquement ces affirmations. En Australie, les collègues de deux prisonniers font savoir que, expérimentés et professionnels, ceux-ci «n'auraient jamais pris le moindre risque pour mettre la vie de quiconque en danger». Après l'arrestation, la milice a fermé une école tenue par l'organisation pour en transférer les 65 enfants dans un centre d'éducation islamique. Rien n'a été dit, jusqu'à présent, sur le sort des 16 autres détenus ; tous sont Afghans.



par Marie  Balas

Article publié le 08/08/2001