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Proche-Orient

Dans la peau d'un kamikaze palestinien

Rencontre et entretien avec un Palestinien qui se dit prêt à commettre un attentat-suicide. L'homme, père de famille de 35 ans, affiche une détermination sans faille.
De notre correspondant dans les Territoires palestiniens

Assis sur un canapé, sous le portrait de son frère Iyad Le Martyr, Nayef Hardan, 35 ans, affiche la placidité de la croyance absolue. Tout au long de la conversation, ses bras vont rester croisés, et son regard ne variera qu'à de brefs instants. «Je veux devenir un kamikaze. J'en ai parlé à mon fils Youssef. Il a six ans. Quand je lui demande ce que lui aussi pense faire, il me répond : le Jihad, la guerre sainte. Avant la mort de mon frère, j'y pensais déjà».

La famille Hardan vit dans le souvenir du «shahid Iyad», le «héros» d'Araba, leur village à quinze kilomètres de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, un des bastions des intégristes palestiniens poseurs de bombes.

A 27 ans, Iyad Hardan était l'artificier du Djihad islamique en Cisjordanie, et à ce titre, responsable de la plupart des attentats anti-israéliens commis par le mouvement intégriste depuis le déclenchement de l'intifada. Le 5 avril dernier, Iyad a trouvé la mort à Jénine dans l'explosion d'une bombe qui avait été dissimulée sous la cabine téléphonique à partir de laquelle il appelait un ami. Une explosion suspecte. L'Etat hébreu est resté discret. La rue palestinienne l'a mise sur le compte de la politique israélienne de liquidations des activistes en pointe dans l'intifada. Nayef, lui, est convaincu que la disparition de son frère n'a été possible que grâce à une complicité entre services palestiniens et israéliens, et c'est pour le venger qu'il est prêt à se transformer en bombe humaine.

«Sa mort est dégueulasse, dit-il de sa voix posée. J'explique à mon fils que ce sont les Juifs en collaboration avec l'autorité d'Arafat qui ont tué son oncle. Comme par hasard Iyad avait été autorisé à quitter sa cellule, deux heures par jour, dix jours seulement avant d'être liquidé ?»

«Ce n'est pas triste de mourir, c'est un devoir religieux»

Pour Nayef, «Iyad est un exemple à suivre». Il reste fasciné par la façon dont il avait réussi, du fonds de sa geôle palestinienne, à retourner son maton pour en faire un kamikaze. «Il ne voulait pas se marier. Il savait que les Israéliens allaient le tuer. C'était évidemment un bon musulman». «Etre ou ne pas être, dit-il, c'est notre choix désormais. S'il y en a un qui meurt, un autre doit le remplacer. C'est un cycle qui ne s'arrêtera pas. Ce n'est pas triste de mourir, c'est un devoir religieux».

Les renseignements israéliens estiment qu'il y a actuellement des douzaines de candidats-kamikazes prêts à passer à l'action. L'Etat hébreu a transmis plusieurs listes de noms à l'autorité palestinienne, mais celle-ci n'a procédé qu'à quelques arrestations, faute d'être assuré par Ariel Sharon d'une reprise du dialogue politique. «Tous les Palestiniens vont devenir des shahid, lance Nayef. Ils vivent dans des prisons».
«Parce que la colère est trop grande, parce qu'ils sont dans une situation misérable, sans possibilité de circuler, parce que l'espoir de la paix a disparu, la culture du martyre fait de nombreux adeptes
», explique Anwar Wadi, psychologue.

Nayef a un profil plutôt atypique. Avant la révolte, les kamikazes étaient plutôt des jeunes d'une vingtaine d'années, célibataires en général. Ils étaient formés dans les mosquées des camps de réfugiés, où la police palestinienne n'osait plus s'aventurer, par les membres des branches militaires des formations intégristes. Désormais, les bombes humaines peuvent être monsieur tout-le-monde, comme Nayef, le père de famille-paysan, ou ce chauffeur de bus qui faucha sept Israéliens attendant sur le bas coté d'une route en février.

Les motivations religieuses demeurent, mais elles ont tendance à être supplantées par la ferveur nationaliste. Une ferveur exaltée par le Hamas, principale des formations fondamentalistes, grand rival du Fatah de Yasser Arafat, et qui a le vent en poupe, grâce aux millions de dollars déversés par des riches donateurs des pays du Golfe.

«Le patriotisme motive et la religion apprend à ne pas avoir peur, observe Ismael Abou Shanab, un de ses porte-parole à Gaza. L'islam enseigne que votre âme atteint le bonheur pour ceux qui se sacrifient. Ils savent qu'ils seront récompensés. S'ils rêvent par exemple d'une jolie femme, ils l'auront en entrant en paradis, mais nous n'élevons pas des cohortes d'enfants pour en faire des martyrs. La vraie force, c'est celle du sentiment national ».



par Georges  Malbrunot

Article publié le 27/08/2001