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Côte d''Ivoire

La filière cacao dans la tourmente

A deux semaines du lancement de la campagne cacaoyère en Côte d'Ivoire, la confusion règne dans la filière. Une réforme a été initiée pour mettre fin à la libéralisation sauvage amorcée en 1999 au profit d'une libéralisation accompagnée de mesures de lutte contre la pauvreté. Un organisme de commercialisation, la Bourse du café-cacao (BCC), a été créée à cet effet en juillet dernier. Mais pour le moment, ce n'est qu'une coquille vide, où débattent sans s'entendre les producteurs et les exportateurs.
«Si on nous refuse la création de la Bourse, nous appellerons José Bové»: Henri Amouzou, le président de la principale association de planteurs de café et de cacao, inscrivait en juillet le combat des producteurs ivoiriens dans le cadre du mouvement anti-mondialisation, dont José Bové est une figure emblématique. Selon lui, la libéralisation sauvage est responsable de tous les maux. La Côte d'Ivoire reste le premier producteur mondial de cacao, mais ses planteurs s'appauvrissent. «Auparavant, celui qui possédait une plantation employait des man£uvres. Aujourd'hui, sa femme et ses enfants sont au champ avec lui, c'est la misère noire» explique un négociant de San Pedro, à l'ouest du pays.

Depuis 1998, les cours du cacao chutent. Les spécialistes divergent sur la responsabilité de la libéralisation dans cette baisse et dans le lent naufrage de la filière. Les producteurs, eux, ont décidé de prendre le taureau par les cornes. Avec la BCC, ils espèrent obtenir à la fois un système de ventes anticipées avec un prix garanti, et des quotas par exportateur. Ce mécanisme permettra, disent-ils, de sécuriser les revenus, d'avoir une visibilité à moyen terme, et d'investir dans les plantations. Les quotas empêcheront la constitution de monopoles, et les petits exportateurs survivront.

«Producteurs, voilà où est votre argent»

Le moins qu'on puisse dire, c'est que les gros exportateurs ne sont pas enthousiasmés. Dans un système de ventes anticipées, où les contrats sont établis avant la campagne, ils font valoir qu'ils prennent tous les risques. Même argument lorsqu'on parle de prix garanti. L'ancienne structure de stabilisation, la Caistab, organisme corrompu à la gestion opaque, sera liquidée avant la fin du mois. Le nouveau fonds de régulation censé amortir les chocs en cas de différentiel entre le prix fixé et le prix mondial n'existe pas encore. «Si nous proposons un prix, et que les cours chutent en dessous, quelle est notre alternative?» questionnent les exportateurs. Quant aux quotas, ils s'y opposent en vertu du principe de libre concurrence.

Déchirés entre les demandes des uns, les récriminations des autres, la défense de ses propres intérêts, et les pressions des bailleurs, le gouvernement a enjoint à la BCC de fixer, avant le début de la campagne, un prix rémunérateur pour le planteur. Il a également résolu la crise qui l'opposait aux producteurs en libérant leur épargne. Ce fonds, constitué par un prélèvement sur chaque kilo de café et de cacao exporté, était bloqué à la banque centrale. Pour l'obtenir, les producteurs ont menacé de lancer un mouvement de protestation générale. «Producteurs, voilà où se trouve désormais votre argent» a répété le ministre de l'Agriculture Alphonse Douati en citant les noms des dirigeants de la principale association de planteurs. Une mise en garde à peine voilée aux utilisateurs de ces 9 milliards de FCFA (90 millions de francs français), qui doivent servir en partie à financer les structures de la BCC.

Finalement, malgré les incertitudes, «cette campagne devrait ressembler aux autres» conclut un analyste pour lequel «la BCC ne jouera vraiment un rôle qu'en 2002-03». Plus grave, l'assurance d'un revenu décent pour les cultivateurs est loin d'être acquise. Au-delà des querelles, le c£ur du problème reste la désorganisation du monde agricole. Les coopératives ne fournissent que 25% de la production. Le reste est apporté par des centaines de milliers de petits planteurs, dispersés en brousse, pressés de vendre à n'importe quel prix pour disposer d'un peu de liquidités. La filière nourrit six à sept millions de personnes sur les quinze millions d'habitants. D'où l'urgence, selon les spécialistes, de diversifier les productions, seul recours face à la tyrannie des cours mondiaux.

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par Virginie  Gomez

Article publié le 15/09/2001