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Syrie

La répression se durcit

L'arrestation du député indépendant Ryad Seif, au lendemain de l'organisation d'un débat public à son domicile, constitue un coup dur pour le timide mouvement en faveur de la démocratie en Syrie. Ryad Seif est la troisième figure de l'opposition à se retrouver sous les verrous en l'espace d'un mois, après son collègue indépendant, le député Maamoun Homsi, et le vétéran communiste Ryad Turk.
De notre correspondante en Syrie

L'arrestation jeudi soir du député indépendant Ryad Seif est tout, sauf une surprise. La veille, il avait organisé à son domicile, sans autorisation officielle, une conférence à laquelle ont assisté plus de 300 personnes, au cours de laquelle il n'a été question que de liberté, de démocratie et de droits des citoyens. Le conférencier était un éminent sociologue syrien installé en France, Bourhan Ghalioun, qui a appelé le président syrien Bachar al Assad à organiser, dans un délai de deux à trois ans, des élections parlementaires libres, seul moyen de sortir de la «guerre civile larvée» que vit la Syrie selon lui.

M. Ghalioun, professeur à la Sorbonne, a estimé que le pays était dans l'impasse totale, qu'il n'y avait eu aucun progrès économique, politique ou social depuis 20 ans, que le PIB avait au contraire baissé de 16 % en 18 ans, et que le chômage qui touche plus de 20 % de la population, combiné avec la démographie galopante, constituaient un cocktail explosif.

En présentant le conférencier, M. Seif a affirmé avoir tenté, sans succès, d'obtenir une autorisation officielle pour la reprise des activités de son cercle politique. Le pouvoir avait en effet fermé en février dernier tous les salons politiques en Syrie, qui avaient fleuri après l'accession au pouvoir du président Bachar al-Assad en juin 2000, et posé des conditions extrêmement difficiles à leurs organisateurs pour les rouvrir, comme la nécessité de présenter à l'avance la liste des intervenants et du public.

M. Seif a en outre condamné l'arrestation, il y a un mois, de son collègue, le député indépendant Maamoun Homsi, et celle du vétéran communiste Ryad Turk, 71 ans, arrêté le 1er septembre, entraînant des applaudissements nourris de l'auditoire, serré dans les pièces de l'appartement, l'escalier et le jardin. La séance avait cependant été houleuse. Des représentants du parti Baas étaient venus en masse, et certains d'entre eux ont pris la parole après la conférence pour dénigrer le professeur Ghalioun, affirmant que ses paroles étaient «pleines de venin» et ils avaient même failli en venir aux mains lorsqu'un membre du public avait critiqué le parti au pouvoir.

Les salons politiques, seuls moyens d'expression

«Vous contrôlez tout: l'Etat, l'armée, la sécurité, les médias... Laissez au moins les gens s'exprimer dans les salons», leur a lancé le professeur Ghalioun. Car ces salons sont la seule forme d'expression, en l'absence de partis ou de médias d'opposition. Le 5 août, Ryad Turk, chef du Parti communiste syrien-bureau politique, avait donné une conférence dénonçant la répression dans un autre salon politique, le cercle Atassi, qui avait continué à organiser des débats le premier dimanche de chaque mois malgré sa fermeture officielle. Les gens étaient également entassés par dizaines dans les pièces et la cuisine de l'appartement pour écouter le vétéran communiste, dont c'était la première apparition publique a Damas depuis sa libération en 1998, après avoir purgé 17 ans de prison. Quelques jours plus tard, il intervenait en direct sur la télévision satellitaire qatariote al-Jazira, critiquant en termes très durs le régime. Son arrestation ne s'est pas fait attendre. Quant à Maamoun al-Homsi, un député indépendant comme Ryad Seif, il a entamé une grève de la faim pour protester contre des taxes d'un million de dollars, qui lui ont été imposées arbitrairement selon lui, et réclame la levée de l'état d'urgence en Syrie. Il a été arrêté le lendemain et accusé de provoquer des troubles.

«Ces arrestations en série visent à nous terroriser, à nous faire taire, mais elles n'y parviendront pas», a affirmé vendredi Hassan Abdel Azim, porte-parole du Rassemblement national démocratique, qui regroupe cinq partis interdits dont celui de M. Turk.

Il est vrai que, quelque soit la sévérité des mesures prises par les autorités, un retour total en arrière est impossible: l'éclosion des salons politiques a brisé le mur de la peur, et même après leur fermeture officielle, les gens ont continué à parler. Une petite chose a également changé : désormais, les autorités annoncent l'arrestation d'opposants et les autorisent à rencontrer des avocats. «J'ai plus de 45 ans et pour la première fois de ma vie, je lis dans le journal qu'un dirigeant politique a été arrêté et qu'il a été traduit en justice. C'est déjà un début», a dit au cours de la conférence de mercredi soir un membre du public, faisant référence à Ryad Turk qui avait passé 17 ans en prison sans jugement la première fois.

Dans les cercles proches du pouvoir, on fait valoir que le chef de l'Etat, avant de s'en prendre aux opposants, s'était attaqué en juillet dernier à ses proches, accusés de corruption, arrêtant des personnes liées à la contrebande dans le nord-ouest de la Syrie dont il est originaire.



par Acil  TABBARA

Article publié le 07/09/2001