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Pakistan

Musharraf affirme son emprise

En dehors de l'Afghanistan, son voisin le Pakistan semble être le pays qui risque d'être le plus ébranlé par les bombardements américains. Dans ce contexte, le président Musharraf tente de renforcer son autorité.
De notre envoyé spécial au Pakistan

Présent dans la coalition internationale contre le terrorisme, mais avec un oeil critique. C'est la position -le grand écart, ironisent certains- adoptée par le Pakistan au lendemain des frappes américano-britanniques contre l'Afghanistan.

Si c'est en uniforme militaire -pour mieux rappeler qu'il est le chef des Armées- que Pervez Musharraf a fait sa première apparition publique après les attaques contre Kaboul, le président pakistanais -confiant et détendu- a néanmoins tenu à se détacher des seules opérations militaires.

Comme pour mieux rassurer ses concitoyens. «J'ai reçu l'assurance qu'étant ciblées, les frappes ne dureront pas longtemps, quelques jours au plus», a-t-il déclaré. Des propos que contredisent l'idée de guerre à long terme contre le terrorisme défendue par Georges W. Bush et la menace d'une guérilla longue et meurtrière brandie par les Talibans.

Celui qui s'est imposé au pouvoir à Islamabad suite à un coup d'Etat a préféré mettre l'accent sur l'avenir de l'Afghanistan. Un avenir qui ne passe surtout pas par un retour aux affaires de l'Alliance du nord. «Lorsqu'ils étaient au pouvoir à Kaboul de 1992 à 1994, les dirigeants de l'Alliance du nord se sont conduits comme des bouchers criminels», a dénoncé Pervez Musharraf.

Ce dernier se dit partisan d'un gouvernement représentatif de toutes les composantes de la société afghane. «En respectant l'équilibre démographique»,a-t-il précisé. Traduction: les Pachtounes -l'ethnie majoritaire- doivent détenir le pouvoir. Des Pachtounes qui sont aussi nombreux au Pakistan.

Manifestations violentes mais limitées

Au chapitre économique, Pervez Musharraf a appelé la communauté internationale à investir massivement en Afghanistan. «La reconstruction de ce pays ruiné par vingt ans de guerre est la meilleure arme contre le fondamentalisme», a souligné le général-président, avant d'ajouter que les actions militaires des Etats-Unis contre l'Afghanistan ne seront pas suffisantes pour éliminer durablement le terrorisme. «Il faut aller à la racine du mal, à savoir l'humiliation et l'injustice subies quotidiennement depuis des années par les musulmans du Cachemire, d'Irak et de Palestine», a insisté le président pakistanais.

Le chef de l'Etat a réitéré son engagement aux côtés des Etats-Unis -confirmant que les missiles de croisière américains avaient utilisé l'espace aérien pakistanais- mais il a aussi tenu à exprimer sa différence pour satisfaire une opinion publique mal à l'aise face à une attaque contre un pays musulman.

Certains l'ont d'ailleurs exprimé violemment. A l'appel des partis fondamentalistes, plus de 10.000 personnes ont manifesté à Quetta et à Peshawar. La police a dû faire usage de gaz lacrymogènes pour disperser la foule -surtout composée de jeunes des écoles coraniques- qui a mis le feu à plusieurs voitures et bâtiments.

A Quetta, des tirs d'armes automatiques ont même été entendus, et les forces de l'ordre ont eu du mal à reprendre le contrôle de la rue. L'effigie brûlée à Peshawar ne symbolisait d'ailleurs pas Georges W. Bush, comme lors des manifestations anti-américaines des jours précédents, mais Pervez Musharraf, accusé d'avoir trahi la cause des musulmans.

Le chef de l'Etat pakistanais cependant refuse de considérer ces manifestations comme une menace pour son gouvernement. «La majorité silencieuse des Pakistanais approuve ma politique», martèle-t-il. Une analyse que partage Ayub Munir, professeur de sciences politiques à l'université de Lahore: «L'armée pakistanaise est disciplinée. Elle viendra facilement à bout de ces excités. Ils ne sont pas représentatifs du pays. En outre, 10.000 manifestants, c'est peu».

Il est vrai qu'à Islamabad, Lahore et Karachi, la rue est restée globalement calme. Les magasins étaient ouverts, les enfants allaient à l'école et on ne sentait aucune agressivité à l'encontre des étrangers, malgré l'appel des chefs intégristes à «chasser les Américains et les Anglais du Pakistan». Mais tout le monde ne partage pas l'optimisme du chef de l'Etat. «Certes les manifestations sont encore limitées. Mais si les bombardements sur l'Afghanistan se poursuivent, si on compte de nombreuses victimes civiles, alors la situation peut s'embraser au Pakistan. Les prochains jours seront décisifs», estime Arif Jamal, un spécialiste des mouvements fondamentalistes.

Une autre nouvelle a fait du bruit lundi au Pakistan: celle d'un large remaniement de la haute direction militaire, et notamment le limogeage du chef des services secrets, un véritable Etat dans l'Etat au «Pays des purs». Personne ne croit à l'explication donnée par Pervez Musharraf, celle d'un hasard de calendrier car ce remaniement aurait été prévu de longue date.

La mise à l'écart d'Ahmed Mahmood -le chef des services secrets- correspond à la nouvelle politique afghane d'Islamabad. Ahmed Mahmood -considéré comme un radical- était en effet le symbole de l'aide militaire et politique qu'ont longtemps apporté les services secrets pakistanais -L'ISI, pour Inter Service Intelligence- aux Talibans. Il était aussi le symbole du soutien apporté par Islamabad à la guérilla séparatiste au Cachemire. Dans la soirée de lundi, au cours de leur premier contact depuis les attentats du 11 septembre, le Premier ministre indien et le président pakistanais ont estimé nécessaire de tout faire pour éviter d'enflammer les esprits dans le Cachemire.

A partir du moment où les Talibans ne sont plus des alliés et où la lutte contre le terrorisme devient une priorité, alors il était impératif de changer le chef des services secrets pour le remplacer par un homme plus neutre. Une décision certainement appréciée par les Etats-Unis. Avec ce remaniement militaire, Pervez Musharraf a écarté tous ceux qui étaient à ses côtés lors du coup d'Etat du 12 octobre 1999. Il conforte ainsi sa position à la tête du pays au moment où paradoxalement il a pris, en s'engageant du côté des Américains, le plus gros risque politique de sa carrière.



par Jean  Piel, à Islamabad

Article publié le 08/10/2001