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Pakistan

La population entre fatalisme et tristesse

Loin des images de fanatisme des manifestations organisées par les mouvements islamistes, la majorité de la population pakistanaise observe avec crainte les derniers événements et s'inquiète des conséquences des bombardements américains.
De notre envoyé spécial au Pakistan

«L'attaque américaine était inévitable. Les Talibans l'ont bien cherché. Ils protègent un terroriste et salissent l'image de l'islam. Mais ce n'est pas ainsi qu'on va éliminer le terrorisme dans le monde», défend, fataliste, Farooq Munir qui depuis douze ans conduit l'un des taxis jaune et noir qui circulent dans Islamabad. Loin des réactions enflammées des fondamentalistes ou de la confiance arrogante affichée par les autorités, les Pakistanais jugent les frappes américaines contre l'Afghanistan avec un mélange de fatalisme et de tristesse.

Au marché de Rawalpindi, la banlieue populaire d'Islamabad, les conversations sont vives. «Comment justifier ces frappes ? Les Talibans ne sont pas des terroristes, juste des musulmans favorables à des valeurs et à un mode de vie qui déplaisent aux Etats-Unis. Le problème n'est pas Oussama Ben Laden, mais une société basée sur l'islam», s'énerve un marchand des quatre-saisons. Il est aussitôt conspué par ses collègues. «Tu n'as pas de barbe et tu passes des soirées devant la télévision. Tu serais malheureux chez les Taliban», lui répond un homme, déclenchant l'hilarité de la foule. «A chaque attentat dans le monde, les musulmans sont montrés du doigt, et peut-être avec raison. Notre religion serait-elle violente ? Les Pakistanais sont pourtant calmes et accueillants», souligne avec dépit Taroon, étudiant en biologie à l'université d'Islamabad.

«Les Afghans vont nous détester»

Une curiosité mêlée d'inquiétude est présente aussi. «Combien de victimes ont fait les frappes ? Quelle est l'étendue des dégâts à Kaboul ?», interrogent de nombreux passants. Plus que pour l'Afghanistan, les habitants d'Islamabad s'inquiètent des conséquences du conflit sur leur pays. «Cela va encore amener des réfugiés. Déjà que l'emploi est rare», grommelle le gardien d'une villa. «Les Afghans vont nous détester pour nous être rangés aux côtés des Américains. C'est dommage ; nous avions de bonnes relations avec eux», regrette Reena Chaudhary qui gère un restaurant dans la capitale pakistanaise.

Sans vouloir désigner de coupables, les Pakistanais déplorent une situation qui menace l'économie d'un pays déjà pauvre et aggrave les tensions sociales. «La paix est toujours préférable, et il n'est pas bon que des musulmans se positionnent contre d'autres musulmans», explique Aurang Zeb, un militaire à la retraite. «Nous être rangé du côté des Américains ne nous apportera aucun avantage. Vu d'Europe ou des Etats-Unis, les Afghans et les Pakistanais sont un peu les mêmes et sont synonymes de danger», commente Alamgir Babar, un pilote de la compagnie nationale. La majorité des Pakistanais renvoient dos à dos les intégristes -«ils sont malhonnêtes, n'ont pas la compétence de diriger le pays et s'enrichissent grâce à l'islam»- que les Etats-Unis, «ce pays qui nous a trahit si souvent et ne défend que ses propres intérêts». Les intellectuels, pour leur part, reconnaissent que le Pakistan a certainement fait le bon choix en soutenant la coalition internationale contre le terrorisme. Mais cela ne rend pas les Etats-Unis sympathiques à leurs yeux. «Larguer des colis humanitaires sur les populations que l'on bombarde, c'est le comble de l'hypocrisie», dénonce avec colère Taroon Medhi, professeur de français à Islamabad.





par Jean  Piel, à Islamabad

Article publié le 10/10/2001