Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Pakistan

Des chrétiens massacrés dans leur église

Dimanche matin, à Bahawalpur (Penjab), une vingtaine de chrétiens ont été tués à la mitraillette alors qu'ils célébraient la messe dans l'église Saint-Dominique.
De notre envoyé spécial à Islamabad

«Depuis le début du conflit, on craignait des attaques contre les chrétiens. Mais un massacre de cette ampleur, nul n'aurait pu l'imaginer». Prêtre de l'église de Fatima à Islamabad, le Père John Levin ûun missionnaire irlandais installé au Pakistan depuis 1965- est effondré à l'annonce du massacre perpétré dimanche dans la ville de Bahawalpur au Penjab, dans l'est du Pakistan. La messe venait de commencer lorsque cinq hommes armés de mitraillettes ont pénétré dans l'église Saint-Dominique et ont tiré indistinctement sur l'assemblée, faisant 18 morts ûparmi lesquels plusieurs enfantsûet de nombreux blessés.

L'attentat n'a pas été revendiqué, mais selon la police, il serait le fait de fondamentalistes musulmans. Les chrétiens ûqui représentent 2% de la population, soit trois millions de personnesû sont régulièrement victimes de violence au Pakistan, surtout lorsque certains jugent l'islam attaqué. Pendant la guerre du Golfe déjà, plusieurs églises avaient été incendiées. Le conflit afghan a donc réveillé les haines. Certes, cette partie du Penjab est fréquemment le théâtre d'affrontements religieux, notamment entre sunnites et chiites, mais jamais dans l'histoire du Pakistan, la minorité chrétienne n'avait été victime d'un attentat aussi meurtrier.

En signe de solidarité, le président pakistanais, Pervez Musharraf, a dépêché deux ministres à Bahawalpur. Mais ce massacre témoigne de la vulnérabilité de la minorité chrétienne au Pakistan. Dans un pays créé au nom de l'islam, les chrétiens sont souvent soupçonnés d'être des traîtres. Une sorte de cinquième colonne au service de l'Occident auquel le christianisme est associé. Les chrétiens pakistanais souffrent donc de discriminations, notamment économiques. «Ils occupent les emplois dont personne ne veut. Certes il existe l'exception du médecin ou de l'avocat catholique. Mais la majorité est composée de domestiques, vidangeurs, au mieux chauffeurs de taxi. Les candidats à un emploi doivent indiquer leur religion. Les chrétiens sont systématiquement éliminés», tempête Shahbaz Bhatti, le président du Front de Libération des Chrétiens. Ce déclassement socio-économique tient à la religion, mais aussi à une habitude centenaire puisque nombre de catholiques sont issus de familles hindoues de basse caste converties lors de la colonisation britannique.

Un apartheid social et politique

Les chrétiens souffrent aussi d'un apartheid politique puisque, lors des élections, ils ne votent pas pour les mêmes candidats que le reste de la population, mais pour des candidats chrétiens. Quatre sièges leur sont réservés au Parlement. «Face à 217 députés musulmans, notre voix n'a guère d'influence. Nous sommes juste l'alibi d'une soi-disant tolérance. C'est pourquoi nous boycottons les élections», explique Shahbaz Bhatti. Certains défendent néanmoins ce système, dans l'espoir de grappiller les miettes du pouvoir, ou parce qu'ils estiment que c'est le seul moyen pour les chrétiens de faire entendre leur voix.

Autre sujet sensible: la loi sur le blasphème qui prévoit que toute personne qui aura insulté le Coran ou le Prophète sera condamnée à mort. Cette loi est surtout utilisée pour régler des conflits de voisinage. Une cinquantaine de chrétiens croupissent en prison, accusés à tort de blasphème. Aucun cependant n'a été exécuté depuis l'adoption de la loi, et en 1994 les autorités pakistanaises sont intervenues pour en contrôler l'application. D'une manière générale, on ne compte plus les violences qui vont jusqu'au meurtre, les abus contre les femmes, les humiliations quotidiennes dont les chrétiens pakistanais sont victimes. Souvent la police refuse d'intervenir. «Les dirigeants du pays sont issus d'écoles catholiques, et sont donc plutôt compréhensifs à notre égard. Mais ils doivent tenir compte de l'influence des intégristes musulmans qui abusent de l'ignorance de la population pour diffuser des messages de haine contre les chrétiens», souligne le Père John Levin.

Selon certains, les chrétiens au Pakistan sont aussi responsables de leur malheur. Ils ont développé une mentalité de ghetto cherchant peu à s'insérer dans la société. Leur forte division ûentre baptistes, méthodistes, évangélistes mais aussi entre paroisses catholiquesû les privent de toute influence. «L'Eglise du Pakistan est trop institutionnelle et pas assez proche du peuple. Nous avons des grands bâtiments, des écoles massives. Du coup, nous passons pour une institution riche et recluse, ce qui est entièrement faux», explique le Père John Levin, avant d'ajouter, optimiste : «Le dialogue avec les musulmans est possible. Les fondamentalistes ne sont qu'une minorité, et les gens apprécient nos actions caritatives». Une analyse que ne partage pas Shahbaz Bhatti: «L'intolérance est féroce au Pakistan. Les chrétiens ont pour seul choix la valise ou le cercueil».



par Jean  Piel

Article publié le 29/10/2001