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Corse

Polémique sur le regroupement des détenus nationalistes

Les partis d'opposition, de même que le Mouvement des citoyens (MDC) de Jean-Pierre Chevènement, ont vivement dénoncé la décision du gouvernement annoncée samedi d'autoriser prochainement le transfert de détenus nationalistes corses du continent vers un centre de détention de l'île.
De longue date, le regroupement des prisonniers corses est une revendication centrale des mouvements nationalistes. Le ministre de l'Intérieur Daniel Vaillant est allé dans ce sens, samedi 27 octobre, en annonçant, à l'issue d'une visite de vingt-quatre heures en Corse destinée à relancer le processus de Matignon, que le gouvernement envisageait de créer un centre de détention pour permettre le regroupement chez eux de nationalistes condamnés pour des actes terroristes. «Des élus ont regretté qu'il n'y ait pas de centre de détention en Corse, ce qui crée des difficultés pour les familles de l'île et qu'on ne rencontre pas dans d'autres régions, a déclaré Daniel Vaillant. C'est donc une forme d'iniquité».

Ils sont actuellement une quarantaine de nationalistes, pour la plupart en détention provisoire en région parisienne afin, conformément à la loi, d'être à proximité des magistrats instructeurs spécialisés dans les affaires de terrorisme. Onze autres sont des condamnés définitifs. Le gouvernement pourrait mettre en place un nouveau centre de détention dans l'enceinte de la prison de Borgo, près de Bastia (Haute-Corse), qui n'accueille jusqu'à présent que les détenus en préventive ou condamnés à de courtes peines.

Le dirigeant nationaliste Jean-Guy Talamoni a réagi avec prudence, se déclarant «intéressé mais en même temps circonspect». Il estime que trop d'inconnues pèsent encore sur la façon dont cette annonce sera traduite dans les faits. Les élus de son mouvement, Corsica Nazione, avait boycotté la venue de Daniel Vaillant à l'Assemblée de Corse.

«Qui a fait reculer Jospin ?»

A droite, on n'a pas manqué de fustiger le projet. Patrick Devedjian, conseiller politique du Rassemblement pour la République (RPR, chiraquien), y voit une «capitulation» et estime que «la prison de Borgo va être une prison autogérée par les extrémistes». Selon lui, l'administration pénitentiaire ne pourra pas tenir la prison si tous les nationalistes y sont regroupés, car «ils imposeront leur ordre». Le président du groupe RPR à l'Assemblée nationale et ancien ministre de l'Intérieur Jean-Louis Debré juge ce projet «dangereux» et s'interroge : «Il y a peu, Jospin disait que l'incarcération des détenus en Corse n'était ni possible ni souhaitable. Alors pourquoi change-t-il tout à coup de position ? Sous quelle pression capitule-t-il ? Qui l'a fait reculer ?».

Philippe De Villiers, président du Mouvement pour la France (MPF), juge cette décision «scandaleuse. Elle aura pour effet d'éloigner géographiquement les détenus corses des magistrats instructeurs parisiens chargés des affaires de terrorisme, et de reconnaître le concept de prisonnier politique revendiqué par les indépendantistes (...) On peut désormais craindre que la prochaine étape soit l'amnistie pour les crimes de sang». Quant à l'ancien ministre de l'Intérieur Charles Pasqua, qui préside le Rassemblement pour la France (MPF), il parle d'une «abdication supplémentaire».

Certaines critiques, attendues, viennent de la gauche. Le Mouvement des citoyens (MDC) de Jean-Pierre Chevènement, lui aussi ex-ministre de l'Intérieur, a vu dans l'annonce de Daniel Vaillant une décision «indigne». Le candidat à l'élection présidentielle, qui a démissionné du gouvernement en août 2000 à cause de son hostilité au processus de Matignon, a estimé lundi que «chacun sait qu'en réalité, dans la prison de Borgo, les prisonniers sont quasiment les maîtres du terrain (...) Je veux bien qu'on mette les détenus à Marseille ou à Nice, c'est un tout petit voyage, mais pas à Borgo, pour des raisons de sécurité», a déclaré Jean-Pierre Chevènement lundi.

Concernés au premier chef, les gardiens de prison ont montré leurs réticences. A Borgo, le personnel s'est mis en grève lundi pour demander des moyens supplémentaires. Dans le sud-est de la France, un mouvement lancé lundi matin par les syndicats a bloqué la quasi-totalité des prisons. L'Union fédérale autonome des syndicats pénitentiaires a estimé que la mise en £uvre de cette décision impliquait d'évaluer «la sécurité des personnels et les risques d'évasion».

Face aux critiques, le Parti socialiste, pilier de la majorité parlementaire, a défendu le projet. Le secrétaire à la communication Alain Bergounioux a réfuté l'idée qu'il s'agisse d'une concession faite aux nationalistes. «Tout ceci est bien sûr très loin d'une mise en cause de l'unité de la République, comme le prétendent la droite et le MDC». Marylise Lebranchu, ministre de la Justice, a assuré qu'il n'y avait «pas de changement» dans la politique du gouvernement à l'égard des détenus nationalistes corses, et a tenu a préciser que les 39 personnes actuellement en détention provisoire dans les affaires de terrorisme resteraient incarcérés à Paris ou dans sa région. «Ces prévenus sont à la disposition du parquet et des juges anti-terroristes, qui sont à Paris». Les détenus nationalistes concernés par le projet ne seraient donc que les onze condamnés définitifs.



par Philippe  Quillerier-Lesieur (avec AFP)

Article publié le 30/10/2001