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Centrafrique

Nouvelle épreuve de force

Le régime d'Ange-Félix Patassé est à nouveau ébranlé, cinq mois après le putsch avorté du 28 mai 2001. Cette fois c'est un ancien fidèle, l'ex-chef d'état-major de l'armée, qui est accusé de complot et a pris les armes pour échapper à une arrestation.
Cinq mois après la tentative de coup d'Etat du 28 mai 2001, la Centrafrique est à nouveau dans la tourmente. Le complot avait alors été attribué à l'ex-chef de l'Etat André Kolingba, ennemi juré du président Patassé. Cette fois, c'est la tentative d'arrestation d'un pilier fraîchement déchu du régime actuel qui a mis le feu aux poudres.

Le 3 novembre, autour de 1 heure du matin (heure locale), des militaires se rendent au domicile du général Bozizé. Ils ont pour mission d'arrêter un homme qu'ils connaissent bien. Chef d'état-major des armées jusqu'au 26 octobre, cet ancien proche d'Ange-Félix Patassé est tombé en disgrâce. Apprécié de la troupe, dont il a contribué à resserrer les rangs après les mutineries de 1996 et 1997, il est désormais dans le collimateur du régime, qui le soupçonne à son tour de velléités putschistes. La commission mixte d'enquête chargée de faire la lumière sur les événements du 28 mai, constituée de magistrats et de parlementaires proches du pouvoir, affirme en tous cas détenir des éléments prouvant sa culpabilité. Et après avoir interrogé des complices présumés de la conjuration et découvert des caches d'armes dans trois domiciles de la capitale, cette dernière a délivré un mandat d'amener contre lui.

Le baroud d'honneur d'un ancien pilier du régime

Soutenu par des militaires ralliés qui barrent l'accès à sa résidence, dans le nord de Bangui, la capitale, le général Bozizé refuse de se rendre. L'épreuve de force s'engage dans la nuit entre ses partisans et les forces loyalistes. Des tirs d'armes légères et lourdes commencent à retentir. Rapidement, des négociations s'engagent, par l'intermédiaire de l'ancien ministre sénégalais de l'Intérieur Lamine Cissé, depuis peu représentant des Nations unies à Bangui. Un comité de sages, composé de notables de la préfecture d'Ouham, l'un des fiefs du président Patassé, dont est également originaire le général Bozizé tente parallèlement de calmer le jeu.

Car l'affaire est particulièrement embarrassante pour le chef de l'Etat. Le coup d'Etat manqué du 28 mai a été largement présenté par le pouvoir comme un complot yakoma, l'ethnie de l'ex-président Kolingba, généralement considérée comme hostile à Patassé. Or, cette fois, c'est au sein de son propre clan que se livre la bataille. Le général Bozizé est un Gbaya du nord, un groupe, qui avec la petite ethnie Sara du chef de l'Etat, soutient traditionnellement le régime. Mais l'ancien chef d'Etat major a aussi été étroitement associé au parcours politique d'Ange-Félix Patassé. Comme co-auteur d'une tentative de renversement du général Kolingba, en 1982. Mais aussi, à partir de 1996, en tant qu'homme fort d'une armée qu'il a eu la lourde charge de remettre au pas.

«Compte tenu de l'ascendant dont Bozizé jouissait sur ses hommes, Patassé commençait sérieusement à se méfier de lui, affirme un ancien responsable, préférant conserver l'anonymat. Il a eu la même attitude avec l'ex-ministre de la Défense Jean-Jacques Démafouth.» Aujourd'hui sous les verrous, ce dernier avait mené à bien la restructuration de l'armée, avant d'être lui aussi accusé par la commission mixte d'enquête d'avoir comploté contre le régime. «Peut-être qu'ils ont effectivement été tentés par le pouvoir, ajoute notre interlocuteur. Mais il faut dire que ce dernier est à prendre

Le régime en place tente de renouer avec les institutions financières internationales, depuis plusieurs mois. Au mois d'octobre, il a également envoyé son Premier ministre Martin Zinguélé convaincre Paris et Bruxelles d'apporter son soutien au chef d'Etat. Mais l'isolement de ce dernier va croissant. A l'affût du moindre indice de conspiration, il ne fait plus confiance à l'armée régulière pour assurer sa sécurité, préférant, selon nos sources, s'appuyer sur sa garde présidentielle, essentiellement composée de Saras et de Gbayas, et surtout sur le contingent libyen qui lui a sauvé la mise, il y a cinq mois. Une centaine de soldats, équipés de véhicules blindés et de lance-roquettes, sont déjà déployés à Bangui, alors que quatre-vingts autres sont arrivés ce lundi 5 novembre à bord d'un Antonov.

La situation restait tendue ce lundi en fin de journée à Bangui, alors que des échanges de tirs ont eu lieu au Nord de la ville dans la matinée. Comme par le passé, des bonnes volontés extérieures se manifestent toutefois pour contribuer à apaiser la situation. Le Tchad a ainsi dépêché son ambassadeur auprès du représentant de l'ONU dans la capitale, alors que l'Organisation de l'unité africaine (OUA) a annoncé l'envoi d'une délégation. Fort de l'aide de la Libye, d'autant plus prompte que Tripoli protège ses intérêts économiques en Centrafrique, Ange-Félix Patassé l'insubmersible pourrait encore une fois à sauver son régime. Mais la base de son pouvoir se réduit manifestement comme une peau de chagrin.



par Christophe  Champin

Article publié le 05/11/2001