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Monnaie unique européenne

Les anti-euro font de la résistance

A J-57, quelques associations refusent encore et toujours la monnaie unique. Elles espèrent même bloquer l'énorme machine que constitue le processus de passage à l'euro.
A moins de deux mois du grand basculement, toute la France se prépare, bon gré mal gré, à l'arrivée de la monnaie unique. Toute ? Non, car un groupe d'irréductibles a décidé de résister jusqu'au bout à celui qui, à leurs yeux, sera bientôt un occupant : l'euro. Déjà, il envahit les comptes en banques, les factures, les étiquettes, les écrans publicitaires, et prochainement les porte-monnaie. «Mais malgré le matraquage officiel, les campagnes de propagande coûteuses, il n'a pas encore envahi les esprits. Et nous comptons bien l'en empêcher». L'euro, disent-ils, est une monnaie illégitime, une escroquerie politique, le moteur insidieux d'un fédéralisme rampant qui va détruire la France. Sans parler du gigantesque désordre monétaire, du traumatisme psychologique, du mécontentement social qui selon eux ne vont pas manquer de survenir, et dont ils espèrent bien profiter pour bouter l'intrus.

Le Comité francilien de défense du franc, l'Alliance pour la souveraineté de la France sont parmi ces associations rebelles qui prônent le combat, par tous les moyens légaux, contre l'arrivée de l'euro. Ils distribuent des tracts, font signer des pétitions, collent des affiches et des autocollants demandant le maintien du franc. Leur fait-on remarquer qu'on n'en voit guère dans les rues ? «Et des autocollants euros bienvenus chez les commerçants, répond ce jeune militant, vous en voyez tant que ça ? Pourtant, les autorités en ont fourni 450 000. On ne peut pas dire que ça fasse un tabac. Ils ont beau nous envoyer de force des chéquiers en euros, 90% des paiements se font toujours en francs. Un fiasco !».

Les deux associations organisent régulièrement des réunions en région parisienne, comme le font leurs homologues dans toutes les régions de France. Ce soir, elles sont à Levallois-Perret, dans la banlieue ouest. Affluence modeste, une centaine de personnes de tous âges se pressent dans la salle prêtée par la municipalité. Une femme tient à la main le dernier livre de Philippe de Villiers, figure incontournable de l'opposition à la monnaie unique, Vous avez aimé les farines animales, vous adorerez l'euro. Parmi eux, beaucoup de gaullistes, quelques communistes, des adhérents du RPF de Charles Pasqua, des partisans du républicain Jean-Pierre Chevènement.

«On va faire de nous des handicapés des étiquettes»

A la tribune, le numismate Michel Prieur, dirigeant de CGB, un important bureau de change de la rue Vivienne à Paris, s'adresse à une assistance conquise. «Cette monnaie n'est pas la vôtre. Elle ne véhicule aucune valeur, aucune image des héros de l'Europe. C'est une monnaie sans âme, une tentative de rupture avec l'histoire monétaire. Avec son taux de change ahurissant de 6,55957 F, cette création de technocrate, qui n'a rien d'humain, va transformer nos actes d'achat en gymnastique cérébrale. L'année 2002 verra de graves problèmes économiques et des conflits sociaux rappelant mai 68. On veut rapprocher les peuples ? C'est l'inverse qui va se produire. Un conseil: si vous avez des économies, placez les dans des investissements hors zone euro, en dollars ou en francs suisses».

Dénonçant «l'euro, cette monnaie d'occupation», Francis Choisel, de l'Alliance pour la souveraineté de la France, explique que «lors de Maastricht, nous avons été trompés. On nous a promis qu'avec la même monnaie en Europe, l'argent circulerait sans frais de change. Mais les banques, faute d'un système de compensation européen, prélèvent des commissions énormes pour les virements transfrontaliers, parfois jusqu'à 24%. La Commission de Bruxelles fait mine de s'offusquer et rappelle les banques à l'ordre, alors que c'était prévisible depuis des années !». Et de s'en prendre à la suppression du franc, «une amputation en échange de laquelle on nous donne une prothèse, la calculette. On fait de nous des handicapés des étiquettes (...) Quant à ceux qu'on appelle les publics fragiles, ils seront les principales victimes. L'euro va mettre en difficulté ceux qui le sont déjà».

Vient l'heure des questions. «Nous, des ringards, des grognons, des partisans d'un repli frileux? sourit Georges Clément, responsable du Comité francilien de défense du franc. Mais vouloir garder son indépendance, c'est moderne, ou archaïque ? J'ai une société aux Etats-Unis, et j'exerce aussi une activité de formation en management. En ce moment, je prépare le passage à l'euro pour des chaînes d'hypermarchés ! Vous nµimaginez pas l'angoisse des caissières, qui refusent de se trouver en première ligne».

Les intervenants dialoguent avec la salle. Chacun donne son conseil pour essayer de gripper la machine. Un mot d'ordre: harceler. D'abord, bien sûr, refuser tout paiement en euros. Boycotter, râler, tenter de rallier son entourage, les commerçants, les clients. Exiger auprès de son banquier de conserver son compte en francs. L'exaspérer en commandant plusieurs chéquiers en euros sans aller les chercher («les banquiers n'aiment pas les stocks»). Prévenir tout magasin euro-zélé qu'on va acheter en face. Répondre à chaque prix annoncé en euros: «parlez français». Régler ses factures de téléphone et d'électricité, certes dans les délais, mais en plusieurs fois («ce n'est pas interdit»). Faire connaître les sites Internet anti-euro. (www.jeboycotteleuro.com , www.argent.fr, et souverainete.ifrance.com/souverainete/)

Ne s'agit-il pas d'un combat d'arrière garde ? «Les gens que nous rencontrons, bien que souvent résignés, sont presque tous d'accord avec nous, assure Georges Clément. Notre tactique est celle du grain de sable. Vous savez, la machine économique est très fragile. Notre but est que les commerçants et la grande distribution soient tellement désorganisés qu'ils en arrivent à faire pression pour prolonger l'usage du franc. Un hypermarché a une marge nette de seulement 1,5 à 1,8%. Que surviennent des désordres aux caisses, des erreurs, et cette marge devient vite négative. N'oubliez pas que nous serons en période électorale. Les autorités ne pourront pas résister très longtemps».
En fait de grain de sable, l'effet recherché est aussi celui de la boule de neige. Même si, pour l'instant, les rebelles de l'euro sont numériquement minoritaires, ils ne désespèrent pas d'avoir bientôt politiquement raison.



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 05/11/2001