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Congo démocratique

«La société civile est incontournable»

Face aux rebelles du RCD-Goma, qui tiennent la plus grande partie de l'Est du Congo démocratique, la société civile se mobilise, pour se faire entendre, mais aussi pour palier l'absence d'Etat. L'abbé Jean-Marie Balegaminé, directeur du bureau diocésain de développement, à Bukavu, témoigne.
RFI : Quelle est la situation humanitaire actuelle dans la région de Bukavu ?

Jean-Marie Balegaminé : La situation de la population est catastrophique, dans le sens où tout le tissu socio-économique est délabré. La population essaye de se débattre pour se maintenir. Souvent, l'insécurité, les circonstances politiques, le fait que les gens ne sont pas payés ne permettent pas de sortir facilement de la situation que la population traverse.

RFI : Comment se manifestent ces difficultés au quotidien ?

J-M B : L'insécurité autour de la ville empêche l'approvisionnement. Les combattants ont mené une guerre alimentaire, en coupant la ville des zones rurales qui la fournissaient à un prix convenable. Le pouvoir en place, soutenu par Kigali, a commencé à vendre du manioc qui vient du Rwanda, ce qui est incompréhensible et inacceptable, parce que, dans le temps, c'est Bukavu et ses environs qui vendaient le manioc au Rwanda. Aujourd'hui, la tendance est d'aller chercher la nourriture dans ce pays. C'est une stratégie voulue pour affaiblir la population.

RFI : Quelle est la situation alimentaire dans les zones rurales ?

J-M B : Il est évident que, quand on est dans l'insécurité, on ne cultive pas. Et parfois, ceux qui cultivent, on vient ravager leurs champs, on organise des razzias, on vous détruit ou on vous pique tout ce qui est dans les champs. C'est comme l'élevage des poules et des chèvres, si on ne peut plus le faire, on a plus de quoi manger. Par ailleurs, beaucoup de populations se déplacent et donc ne cultivent plus. Elles sont obligées de vivre en ville aux dépend de ceux qui ne sont plus payés et qui n'ont plus la capacité de les prendre en charge. On tombe dans la misère et on doit s'appuyer sur l'aide humanitaire d'urgence qui ne suffit pas. Il faut savoir aussi que certaines personnes font des kilomètres pour chercher de la nourriture. Elles dépensent souvent la petite énergie qu'elles avaient, qui n'est souvent même pas compensée par ce qu'elles vont pouvoir récupérer. Résultat : des maladies comme le choléra et la méningite ressurgissent. Avec la recrudescence de la malaria, c'est le signe de l'incapacité du corps à se défendre.

RFI : En l'absence de services publics de base, qui assure le minimum de soins de santé ?

J-M B :
Plus de 75% des institutions médicales sont tenues par les églises catholiques, protestantes et autres, heureusement, avec l'appui aussi de quelques organismes internationaux et humanitaires. Et c'est grâce à cela qu'on donne accès aux soins de santé avec un système de coûts forfaitaires, auxquels n'ont, malheureusement, pas accès ceux qui sont dans les zones reculées. Ce qui est salutaire à Bukavu, c'est que la pharmacie diocésaine a un laboratoire qui fabrique des médicaments contre la toux, certains vers, des pommades, certaines gélules. Elle fabrique également des sérums contre la malaria qui permettent de maintenir quelque peu la santé, surtout qu'ils sont d'un coût réduit.

RFI : On a le sentiment qu'une sorte d'administration parallèle s'est formée, faute d'Etat. Cela remonte-t-il à la période Mobutu où les services publics étaient déjà déliquescents ?

J-M B :
Cela avait commencé sous Mobutu, dans la mesure où les salaires n'étaient plus payés. Mais la guerre a aggravé la situation, puisque beaucoup d'écoles ont été fermées ou détruites par la guerre. On a dû recommencer pratiquement à zéro sur une bonne partie de la province. Quant aux soins de santé, ils étaient minimaux du temps de Mobutu, mais la situation a empiré avec la guerre.

RFI : Le fameux «dialogue intercongolais», a connu de ratées avec l'échec de la réunion d'Addis-Abeba, mi-octobre. Comment est-ce perçu dans la région ?

J-M B :
C'est une déception qu'on ait retardé le dialogue proprement dit parce que toute la population y aspirait. Déjà à Bukavu, toute la société civile était très occupée à le préparer. Depuis le Haut-Katanga jusqu'à la province orientale tout le monde s'était rassemblé pour réfléchir afin d'avoir la même position par rapport au gouvernement de Kinshasa et à la rébellion. Il était important que nous puissions nous rencontrer et retrouver une certaine unité du pays. La date du 15 octobre, date de la réunion avortée d'Addis-Abeba nous a, au moins, permis d'en arriver là. La déception c'est que le dialogue n'ait pas commencé.

RFI : Comment s'organise la société civile face à l'administration rebelle ?

J-M B :
Des représentants de la population, des corps tels que les avocats les hommes d'affaires, les enseignants se retrouvent pour former un bureau de la société civile qui est la structure permanente de réflexion. Elle réfléchit sur la situation d'après les informations reçues de la base, prend l'orientation de réagir ou non à une attitude du pouvoir. Plusieurs fois, la société civile a eu l'occasion de se manifester par des marches, par des célébrations oecuméniques pour la paix ou pour les gens qui ont été tués.

RFI : Ne craignez-vous pas que la société civile, dont personne ne peut nier le rôle essentiel dans votre pays soit marginalisée face aux mouvements rebelles et au gouvernement de Kinshasa, qui doivent notamment se rencontrer en décembre au Nigeria ?

J-M B :
Toutes ses rencontres sont au service de la préparation du vrai dialogue. Il serait souhaitable que la société civile soit associée. De toute façon, je crois que le chef de l'Etat et les chefs rebelles sont conscients qu'ils ne peuvent pas se passer de la société civile. S'ils veulent être légitimés la référence à la société civile est incontournable



par Propos recueillis par Christophe  CHAMPIN

Article publié le 24/11/2001