Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Congo démocratique

De l’uranium de Mobutu chez Saddam ?

Selon un intermédiaire italien contacté à Bruxelles par des dignitaires mobutistes, des «bouteilles» et des «barres» d’uranium 235 et 238 ont transité par la Libye, avant d’être vraisemblablement acheminées vers d’autres «Etats voyous».
Plus de dix kilos d’uranium 235 et 238, «prélevés» à la veille de la chute du maréchal Mobutu d’un mystérieux centre de recherche nucléaire situé près de Kinshasa par un des responsables des douanes, Beyeye Djéma, sont très probablement entre les mains d’un des «Etats voyous» depuis le printemps dernier. Cette affaire a été révélée ce 28 novembre au quotidien italien Repubblica par l’un des intermédiaires qui a participé personnellement aux négociations et acquis une documentation détaillée et des photos de cette «marchandise» pas comme les autres qui circule clandestinement et est devenue la principale préoccupation de l’AIEA. Et des Etats-Unis, depuis le 11 septembre 2001.

Cette affaire a commencé le 24 janvier dans la suite 603 du Sofitel Toison d’or de Bruxelles, où Bebeye Djéma (environ 60 ans) a rencontré le technicien italien F.P. (49 ans). Les deux ne se connaissent pas, mais ont un ami commun : l’ancien ambassadeur zaïrois à Tripoli (Libye) Omama Dionge, actuellement réfugié politique en Italie, et qui connaît bien le technicien italien qui a passé de longues années sur des chantiers de bâtiment en Afrique centrale. Omama pense que F.P. peut «aider» son ami Beyeye à bien vendre sa marchandise. Et Beyeye d’aller tout droit au but : il sort du frigo une petite bouteille d’Evian, pour montrer au technicien italien à quoi ressemble un kilo d’uranium prêt à la vente. F.P. tout d’abord ne comprend pas : il croyait que les amis de Mobutu ne faisaient que du trafic de diamants. Il se laisse néanmoins convaincre par Beyeye qui lui rappelle qu’une «bouteille» d’un kilo d’uranium se négocie à quelque cent cinquante millions de dollars, et surtout que le président Laurent-Désiré Kabila, après avoir pris la place de Mobutu en 1996, «a été en Libye où il a obtenu des hélicoptères, des blindés et beaucoup d’armes légères en échange d’un seul kilo d’uranium».

La «bombe atomique du pauvre»

Les dix «bouteilles» d’uranium 238 que Beyeye propose à F.P. sont d’origine américaine : elles ont été produites en novembre 1990 par la société Ohmart Corp. de Cincinnati (Ohio) qui travaille pour l’industrie nucléaire américaine. Mais le dignitaire mobutiste propose également au technicien italien de l’uranium enrichi (235), bien plus dangereux, car il est pratiquement prêt pour être utilisé dans la fabrication dans ce qu’on appelle la «dirty bomb» (ou la «bombe atomique du pauvre»). Ce qui rappelle étrangement une affaire tout à fait comparable, survenue en 1998 : à l’époque sept «barres» d’uranium enrichi provenant du même centre de recherche nucléaire du Zaïre avaient transité par des filières mafieuses italiennes, avant de disparaître quelque part au Maghreb ou au Machrek.

Pour rassurer son interlocuteur, Beyeye précise qu’il a pu mettre la main sur cet uranium «grâce à l’aide des Américains, avec lesquels j’ai de bons rapports». Pressé de les vendre, il demande à F.P. et à leur ami commun Omama Dionge de vendre le lot complet d’uranium qu’il possède, et pas uniquement une partie. Il parle d’un «contact libyen» très intéressé par cette marchandise. Il s’agirait en réalité d’un Africain noir de nationalité soudanaise.

Le technicien italien commence alors à se poser des questions sur la destination finale de la «marchandise». Peu à peu il comprend qu’il s’agit de l’Irak de Saddam Hussein. Mais il n’exclut pas non plus la Corée du Nord. Et il prend peur des conséquences facilement imaginables d’une éventuelle acquisition de cet uranium par l’un des «Etats voyous». Pour cette raison, il préfère ne pas se rendre à Tripoli en compagnie d’Omama Diongue, rencontrer l’intermédiaire soudanais. Cependant il n’a pas de doutes sur la suite de cette affaire : la «marchandise» a bien été réceptionnée à Tripoli par «un Africain noir», mais nul ne peut dire ce qu’il en a fait et vers où elle a été acheminée.



par Elio  Comarin

Article publié le 28/11/2001