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Lakhdar Brahimi, le «pompier volant»

Le représentant spécial de Kofi Annan pour l'Afghanistan a entamé au Pakistan une mission presque impossible: trouver un accord politique et militaire sur l'après-Taliban. Mais le diplomate algérien est un habitué du «déminage politique».
Lakhdar Brahimi, le «pompier volant» de Kofi Annan, tente de nouveau de trouver une solution au conflit afghan. En bon connaisseur des pays arabes mais aussi de l'Asie centrale et orientale, cet Algérien facile de contact et bon vivant a accepté de «jouer le rôle d' intermittent du maintien de la paix», alors même que la guerre ne fait que commencer. Mais il a un atout maître: il connaît déjà tous les protagonistes et il a un passé de négociateur infatigable et plutôt franc.

L'homme qui fêtera ses soixante-huit ans le 1er janvier prochain est marié à une femme d'origine croate, et père de trois enfants aujourd'hui bien casés: un dans la production télévisuelle, un autre à la Banque mondiale, et la troisième à CNN.

Bon méditerranéen, alors qu'il est issu d'une famille de notables du sud algérien, Lakhdar Brahimi a quitté ses études de droit, à Paris en 1956, pour rejoindre le FLN. Il n'a alors que vingt-deux ans mais il est aussitôt chargé de représenter la révolution algérienne à Djakarta, dans l'Indonésie militante de Sukarno, l'un des pères du non alignement et de la lutte contre le colonialisme. Puis, tout au long des années 60 il est au Caire, aux côtés de Nasser, alors leader charismatique du monde arabe, pour représenter d'abord le GPRA (le gouvernement provisoire) et ensuite l'Algérie indépendante.

Ainsi, lorsqu'il est nommé en 1971 ambassadeur à Londres par l'austère Houari Boumedienne, Lakhdar Brahimi est déjà doté d'une grande légitimité politique et d'une réelle crédibilité diplomatique liées à l'image à l'Algérie, qui aime alors se qualifier de «capitale morale du Tiers-Monde». Mais il dispose aussi d'un carnet d'adresse bien fourni en contacts, dans le Maghreb comme dans le Machrek. En Grande Bretagne, il en acquiert d'autres, du côté des Occidentaux, cette fois-ci.

«Le mollah Omar, c'est un curé de campagne du Moyen Age!»

Lorsqu'il rentre à Alger, en 1979, au lendemain de la mort de Houari Boumedienne, pour entrer au comité central, commence pour ce diplomate de carrière une brève parenthèse politique qu'il a par la suite qualifiée lui même de «pénible». Aussi, il accepte volontiers, en 1982, sa première «mission impossible» que lui confie le président Chadli: réconcilier Arafat et le président syrien Assad au lendemain de l'invasion israélienne du Liban. Ce qui lui permettra de devenir peu à peu un véritable spécialiste du «déminage politique», notamment au Liban. Secrétaire-adjoint de la Ligue arabe, il peut, près de dix ans plus tard, échafauder les fameux accords de Taëf qui mettent un terme à la guerre civile mais consacrent la mainmise syrienne au Liban. Il en est de même entre Aden et Sanaa: si aujourd'hui le Yémen ne fait qu'un seul pays, c'est aussi grâce à Lakhdar Brahimi, qui a compris que l'art du compromis ne s'apprend pas en quelques jours.

Revenu de nouveau à Alger en 1991, il est nommé ministre des Affaires étrangères par Chadli Bendjedid, avant que celui-ci ne soit écarté. Il conserve son poste sous Mohamed Boudiaf (assassiné) et sous son successeur (Ali Kefi). Mais le «déminage politique d'Alger» est bien plus difficile - et risqué - que celui de Beyrouth. Aussi, lorsque Boutros-Ghali lui propose en 1993 de devenir son représentant spécial, Lakhdar Brahimi accepte de devenir le «pompier volant de l'ONU» et commence aussitôt par le «déminage» de l'Afrique subsaharienne. Autre mission presque impossible.

Il supervise d'abord la difficile transition en cours en Afrique du sud et fréquente déjà le futur secrétaire général Kofi Annan, alors en charge des opérations de maintien de la paix. De 1995 à 1997 il est en Haïti, puis il revient aux principaux conflits, ouverts ou latents, du continent africain: Nigeria, Soudan, Cameroun, Burundià

En 1997, lorsque Kofi Annan est désormais secrétaire général, Lakhdar Brahimi est chargé du délicat dossier irakien, puis de l'Afghanistan, qui après une longue guerre civile, est aux mains des Taliban, eux mêmes sous la coupe du Pakistan. Mais sa mission échoue. En 1999 il jette l'éponge: il ne comprend ni la politique «presque suicidaire» du premier ministre pakistanais Nawaz Sharif (renversé en septembre de la même année par le général Musharaff) ni les ambiguïtés américaines vis-à-vis de Kaboul.

Mais deux ans plus tard il accepte de reprendre son bâton de pèlerin. Il connaît bien, désormais, le mollah Omar et ses «étudiants en théologie islamique». En privé il dit que ce mollah obscurantiste «ressemble un peu à un curé de campagne français du Moyen Age», hostile à la «décadence des citadins» et constamment en retard sur l'évolution réelle du pays. A ses yeux, il n'est sans doute pas un homme d'Etat, mais il n'est pas fondamentalement dangereux, «si l'on accepte que les femmes restent à la maison et les hommes soient tous barbus».

Quant à Oussama Ben Laden, Lakhdar Brahimi rappelle volontiers qu'il a quitté le Soudan pour regagner l'Afghanistan, en 1996, avant l'arrivée à Kaboul des Taliban. Selon lui il ne peut être qualifié de «cerveau» du terrorisme mondial, ni même de «manipulateur» d'autres mouvements islamistes. Si ceux-ci vont le consulter, c'est d'abord pour être aidés financièrement, pas pour perdre leur autonomie politique et stratégique. Et c'est pour cela que Ben Laden ne peut revendiquer les attentats qu'on lui attribue, notamment depuis la première attaque contre les tours jumelles du World Trade Center.

Lakhdar Brahimi aime également rappeler que les deux tiers des soi-disant «Arabes» qui aident les Taliban et Ben Laden sont en réalité des Pakistanais, et que de plus en plus d'Afghans sont hostiles à ces «étrangers» qu'ils soupçonnent d'exercer une influence «néfaste» sur le régime de Kaboul, notamment à partir de 1999 et de la fameuse destruction des Bouddhas géants de Bamiyan qu'ils auraient perpétré en dépit d'une instruction contraire du mollah Omar. Pour Lakhdar Brahimi «une influence est apparue qui n'existant pas avant 1999». Elle aurait «introduit des priorités nouvelles et fait des Taliban les complices d'un cahier des charges qui n'était pas le leur à l'origine, et qui, selon certains, serait venu d'ailleurs». En bon diplomate, Lakhdar Brahimi n'a pas voulu préciser d'où il viendrait.

Sa tournée en Asie centrale ne sera sans doute pas la dernière. Mais Lakhdar Brahimi est (presque) devenu le spécialiste des missions impossibles: après tout n'a-t-il pas réussi à faire signer un compromis honorable - provisoire mais réel û à deux adversaires aussi déterminés et têtus que les Ivoiriens Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara?

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par Hélène Da Costa



par Elio  Comarin

Article publié le 01/11/2001