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France: présidentielle 2002

Les patrons dans la campagne électorale

A quelques mois de la présidentielle et des législatives, le Mouvement des entreprises de France, le Medef, a décidé d’intervenir dans le débat politique. «En avant l’entreprise, en avant la France» - le nom des 7 forums nationaux organisés d’octobre 2001 à janvier 2002 - est avant tout destiné à diffuser les idées des chefs d’entreprise dans l’opinion.
C’est sur fond de manifestation des intermittents du spectacle, que s’est ouvert le 4 décembre à Nantes, le 5e forum du Medef intitulé «Approfondir la démocratie sociale». Ernest-Antoine Seillière, son président, était présent pour animer l’un des sept forums nationaux ayant pour but de recueillir l’opinion des entrepreneurs et de faire ainsi entendre la parole de la société civile dans la campagne électorale. Une première pour le patronat qui s’investit désormais dans le débat public à la veille d’échéances électorales importantes.

L’accueil à Nantes a donc été mouvementé. Une centaine d’intermittents du spectacle a occupé la salle du Congrès, où devait se tenir le forum du Medef, retardant ainsi le début des débats. Notamment à l’appel du syndicat des artistes CGT, une délégation a été reçue par Ernest-Antoine Seillière afin de discuter de l’ancienne convention d’assurance chômage des intermittents. A l’issue de cette rencontre, les manifestants ont évacué la salle et ont rejoint, à l’extérieur, une centaine d’autres qui brandissaient des banderoles où l’on pouvait lire en breton «Kessler, Seillière, on va vous botter le cul». Les manifestants, apparemment très en colère ont également lancé des œufs et des tomates sur la façade et sur les participants du congrès.

S’immiscer dans le débat public

Après ce contretemps, le président des entrepreneurs français a pu ouvrir le forum où environ 1500 entrepreneurs régionaux s’étaient rendus. Ernest-Antoine Seillière s’est prononcé pour «un vrai renouveau du dialogue social face à l’autoritarisme méprisant de l’Etat et des syndicats cantonnés dans leurs modes d’action et leur conservatisme traditionnel». Au cours de ce forum, plusieurs patrons ont expliqué, tour à tour lors de tables rondes, leurs difficultés à diriger leurs entreprises en raison d’une «législation aberrante» ou de «carcans administratifs complexes».

Avec cette tournée en province, il ne s’agit pas pour Ernest-Antoine Seillière (voir interview ci-dessous), de soutenir tel ou tel candidat comme cela avait été le cas en 1981 quand François Ceyrac, alors président du CNPF, avait appelé à voter pour Jacques Chirac. La donne est cette fois tout à fait différente. Alors que depuis quelques années, la classe politique s’immisce de plus en plus dans la vie des entreprises, pourquoi le Medef n’en ferait-il pas autant ? Tel est le credo, aujourd’hui, des entrepreneurs français qui avec leur nouveau discours rompent avec les traditions. En somme, ils veulent contribuer à faire connaître à l’opinion française leurs propositions qui selon eux pourraient très certainement améliorer son niveau de vie. Des propositions qui pourraient également amplifier le dialogue et amener ainsi les acteurs de la vie politique et économique à décider rapidement de la réforme des retraites, la rénovation de la Sécurité sociale etc…

Rencontre avec Ernest-Antoine Seillière, président du Medef.

RFI : Pourquoi le Medef s’immisce-t-il dans la campagne électorale ?
Ernest-Antoine Seillière : Nous avons pris le parti de ne pas nous taire pendant cette période où le débat public bat son plein. De tradition, les représentants des entrepreneurs laissaient la place au politique par pudeur. Aujourd’hui, nous pensons au contraire que la société civile dont nous sommes un élément central a toutes les raisons de vouloir se faire entendre dans une période pré-électorale. Nous ne sommes pas en politique, nous n’aspirons en aucune manière à exercer le pouvoir d’état, nous n’avons pas de candidat, nous ne donnons aucune consigne d’aucun genre, nous ne travaillons pour personne mais nous faisons entendre aux Françaises et aux Français la voix des entrepreneurs et leurs propositions.

RFI : Est-ce à dire que vous revendiquez un droit d’ingérence dans le débat public, au nom de la société civile ?
E.A.S : Nous avons utilisé cette expression de «droit d’ingérence» dans le débat public parce que c’est une manière de faire prendre conscience à tous de quelque chose de nouveau. Nous avons tout à fait le droit de faire ingérence dans le débat public, cela va de soi. Seuls ceux qui préféreraient que nous nous taisions font mine de s’en scandaliser.

RFI : Certains entrepreneurs craignent que vous n’appeliez à voter pour un candidat plutôt que pour un autre. Qu’en pensez-vous ?
E.A.S : Ce n’est absolument pas le cas. Peu d’entrepreneurs ont cette crainte car il est affirmé à tous les niveaux et c’est l’unanimité que ce n’est pas notre rôle de prendre partie pour tel ou tel candidat à telle ou telle élection. C’est au contraire notre rôle de faire en sorte que ces candidats reprennent le plus possible nos propositions qui doivent impérativement être dans le débat. C’est pour cela que nous utilisons un langage un peu remuant, comme par exemple ce droit d’ingérence dans le débat public. Quand nous disons que nous allons harceler les politiques avec nos propositions, c’est pour bien montrer que l’on ne peut plus imaginer que notre pays puisse réussir sans prendre en compte la voix des entrepreneurs qui s’expriment. Nous sommes donc dans cette démarche.

RFI : Etes-vous confiant dans la capacité des partis de droite à entendre ce message ?
E.A.S : Nous sommes confiants dans le fait que si la société civile ne s’exprime pas alors les forces politiques n’ont pas de raison de prendre en compte un message. Nous croyons qu’il y a un devoir d’expression, d’ailleurs nous appelons tous les entrepreneurs de France à s’exprimer pendant cette période, à reprendre en compte ce message et à se faire entendre. C’est vrai que les politiques ont raison de négliger ceux qui ne s’expriment. Le silence nous paraît dans ces circonstances tout à fait condamnable et nous espérons que nous serons entendus par les forces politiques et encore une fois pour le Medef, le problème de la droite et de la gauche et de l’issue du scrutin politique n’est pas notre problème. D’ailleurs nous avons et je le dis souvent l’exemple de partis de gauche qui ont entendu le message des sociétés civiles et qui ont donc moderniser considérablement leur approche des problèmes de société, leur attitude vis-à-vis des acteurs économiques. Il y a par exemple en Allemagne ou en Grande Bretagne un socialisme qui s’est modernisé et donc nous n’avons pas de raison de penser qu’en France, cela ne soit pas possible. Notre position est une position non partisane.

RFI : Que pensez-vous du retour soigneusement orchestré de Christian Blanc, ancien patron de la RATP et d’Air France sur la scène publique ?
E.A.S : Je n’ai strictement aucun commentaire à faire autre que celui-ci : il semble bien tout de même qu’un acteur nouveau apparaisse, qu’il a pris très rapidement, en étant pratiquement que lui-même, une stature dans le débat public et Christian Blanc le fait avec un message de société civile dans des domaines qui ne sont pas les nôtres mais qu’il aborde. Je trouve assez significatif qu’avec une très grande rapidité, un acteur de la société civile se soit hissé à un niveau très audible et de le faire en faisant prendre conscience à la classe politique qu’elle ne peut pas ignorer les messages de la société civile.

RFI : Que ferez-vous de vos propositions, le 15 janvier, lors de l’Assemblée générale du Medef et à l’issue des 7 forums nationaux ?
E.A.S : Toutes ces réunions nous permettent de synthétiser un certain nombre de messages, de propositions que nous allons soumettre à un congrès exceptionnel, à Lyon, mi-janvier. Nous pensons que les propositions présentées seront adoptées et dès lors elles deviendront les propositions des entrepreneurs pendant cette période qui va s’ouvrir : débat électoral de la présidentielle et des législatives. Nous aurons donc entre le 15 janvier et le moment de ces élections à faire en sorte par des moyens de terrain que chaque élu, chaque candidat soit bi



par Propos recueillis par Clarisse  VERNHES

Article publié le 05/12/2001