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Sida

La mobilisation des séropositifs

Fortement représentées à la conférence internationale sur le sida à Ouagadougou, les personnes vivant avec le VIH sont en première ligne sur le front pour un large accès aux soins de santé et traitements. Actuellement, selon Onusida, il n’y a pas plus de 30 000 Africains qui ont accès aux anti-rétroviraux sur les 28 000 infectés. «Des médicaments moins chers et pour tous», revendiquent alors les séropositifs africains. Entretien avec Boua Bi Drigone, président du réseau ivoirien des personnes séropositives.
De notre correspondant au Burkina Faso

RFI : Quelle est la réalité de l’accès aux soins de santé dans votre pays, la Côte d’Ivoire ?

Boua Bi Drigone:
Le traitement est disponible dans mon pays depuis deux ans. L’ONU-Sida a mis en place il y a deux ans donc, une initiative spéciale de subvention des anti-rétroviraux qui permet d’avoir les médicaments 95 % moins cher. C’était une phase pilote qui bénéficiait à 2 000 personnes alors qu’on parlait de 31 000 cas déclarés. Alors qu’on espérait que l’initiative soit davantage étendu, la Côte d’Ivoire est tombée dans une crise pendant deux qui a handicapé l’ensemble du système de santé dans ses activités de prévention et de prise en charge. Si bien que nous avons connu des ruptures de médicaments dans le courant de l’année 2000. Les personnes vivant avec le VIH ont même été amenées à aller en grève pour cela. Aujourd’hui, on annonce le mise en place d’un nouveau projet en janvier 2002 après la phase pilote qui est achevée. Mais là encore, on parle de prendre en charge 4000 personnes alors que le nombre de cas déclarés de sida est estimé à au moins 45.000 en Côte d’Ivoire. On revient donc à la même situation que celle de la phase pilote surtout que beaucoup de personnes infectées vivent dans l’ombre. Nous réclamons que non seulement le projet ne s’étende plus sur un temps limité mais surtout que les subventions bénéficient à tous.

C’est possible grâce à un vrai engagement des pouvoirs publics, des partenaires et des communautés. Déjà, grâce à la baisse insufflée par les négociations avec les firmes pharmaceutiques, mon ordonnance mensuelle est passée de 260 000 FCFA à 60.000 francs. Et si les subventions, qui me permettaient de payer en réalité 10.000 francs avant, continuent, je ne devrais payer désormais que dans l’ordre de 1000 francs. En tout cas, nous pensons que les coûts des médicaments ne doivent pas dépasser 5000 FCFA par mois.

RFI : Vous ne réclamez donc pas comme certains la gratuité totale des médicaments ?

BBD:
C’est utopique de s’attendre à une gratuité des médicaments. En Afrique, on dit que lorsqu’on te met l’eau de bain, c’est à toi de te frotter le corps si tu veux vraiment te laver. Donc, les malades doivent faire un effort pour encourager les bonnes volontés. La gratuité ne paraît pas comme une bonne politique. On peut avoir un large accès aux soins si toutes les firmes acceptaient de baisser les prix. Sinon, tant que vous avez des ordonnances de tri-thérapie avec un médicament générique et deux qui sont sous brevet, on ne résout pas le problème. Je pense que ce qu’on peut faire à la place d’une simple gratuité, c’est l’accompagnement des malades de sida en leur procurant des activités rémunératrices de revenus.

RFI : Est-ce qu’aujourd’hui, vous avez retrouvé l’espoir de vivre grâce aux soins qui existent désormais ?

BBD:
En 1995, lorsque j’ai appris que j’avais le sida, j’ai signé plusieurs testaments. Aujourd’hui, le sida ne me dit plus grand chose parce que je vis. Grâce aux médicaments, j’ai plus que espoir. Ma femme est séronégative après cinq ans de vie conjugale avec moi et je joue au football.

RFI : Hormis les soins et traitements, quelles sont les autres préoccupations des séropositifs africains?

BBD:
Nous voulons convaincre les personnalités bien connues qui sont infectées à sortir de l’ombre pour parler avec nous à visage découvert afin que toute la communauté se reconnaît en elles. Philippe Lituani l’a fait. Je connais dans mon pays des hauts cadres porteurs du virus et qui ne veulent pas se déclarer.Mais qui viennent nuitamment pour s’inscrire dans nos associations afin de bénéficier de la subvention de l’Etat qui couvre 95 % du prix des médicaments. Prenez l’exemple de l’Ouganda où le directeur du protocole du président Museveni est infecté. Le président lui-même le déclare et ça fait prendre conscience. Si aujourd’hui les hautes personnalités politiques ne se dérobait pas du problème de sida, les résultats seraient meilleurs.

Ma seconde bataille concerne la mise en place d’«anti-rétroviraux juridiques», c’est-à-dire une législation qui protège les personnes vivant avec le VIH. Par exemple, à deux reprises, on m’a refusé le visa d’entrée aux Etats-Unis parce que j’ai le sida. On dit que je suis porteur d’une maladie qui menace la santé de la population. C’est une discrimination qui ne se justifie pas. Il y a donc la nécessité d’adopter une législation mondiale pour protéger les séropositifs. S’il y a des conférences scientifiques, pourquoi pas de conférence juridique pour évaluer les conséquences de la discrimination liées au VIH/Sida.



par propos recueillis par Alpha  Barry

Article publié le 12/12/2001