Irak
Des disciples de Ben Laden au Kurdistan ?
Le calme qui régnait au Kurdistan irakien depuis plusieurs mois grâce à une très nette amélioration des relations entre les deux principaux partis kurdes, le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani, et l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) de Jalal Talabani, vient d’être perturbé par des affrontements qui ont fait plusieurs dizaines de morts.
Survenant au moment où les «faucons» de l’administration américaine espèrent convaincre le président George W. Bush d’attaquer l’Irak dans le cadre de sa guerre contre le terrorisme, ces affrontements au Kurdistan irakien retiennent d’autant plus l’attention qu’ils ont été provoqués par un groupe islamique qui serait lié à l’organisation d’Oussama Ben Laden.
Longtemps très minoritaire, le mouvement islamique kurde irakien a bénéficié de la véritable guerre civile qui a opposé les grands partis kurdes traditionnels de 1994 à 1998, faisant plusieurs milliers de morts parmi les combattants, déplaçant des dizaines de milliers de civils et aboutissant à la partition du Kurdistan irakien en deux régions ayant chacune leur gouvernement kurde dirigé par le PDK à Erbil et l’UPK à Souleimania. Ce mouvement islamique a aussi bénéficié du soutien financier et matériel de l’Iran, qui a vu dans l’essor de ce mouvement un moyen d’affaiblir Massoud Barzani et Jalal Talabani et de faire pression sur eux en créant une troisième région kurde: basé à Halabja, près de la frontière iranienne, le mouvement islamique échappait totalement au contrôle du gouvernement de l’UPK de Souleimania, dont dépend administrativement la région de Halabja.
Les succès des islamistes aux élections des associations étudiantes, en particulier à l’université de Dohouk, et aux élections municipales, notamment à Souleimania, ont amené les dirigeants kurdes à réviser leurs relations avec des partis islamiques qu’ils ont longtemps considérés comme leurs partenaires normaux dans un pays où 95 % de la population est musulmane, et où il paraissait normal que le ministre de la justice soit un représentant du principal parti islamiste, le «Mouvement islamiste du Kurdistan». C’est l’assassinat de François Hariri, le 18 février dernier, qui a provoqué la rupture. En assassinant ce représentant de la communauté chrétienne du Kurdistan, un homme qui avait été l’un des plus proches collaborateurs du général Barzani, et qui avait été le gouverneur d’Erbil, les islamistes déclaraient pratiquement la guerre à Massoud Barzani, et, par-delà le chef du PDK, à tous les partis kurdes historiques. Et ils obligeaient les dirigeants kurdes à regarder d’un peu plus près ce qui se tramait au sein de la nébuleuse kurde irakienne.
Les «soldats de l’islam»
Le mouvement islamique au Kurdistan irakien a une histoire complexe, riche en scissions et en affrontements. Le parti principal a longtemps été le «Mouvement islamique du Kurdistan» (MIK), proche des «Frères Musulmans», dirigé par le moulla Abdoul Aziz, puis, après sa mort, par ses deux fils mollah Ali et mollah Sadik. En fait, loin d’être un parti, le MIK regroupe des courants et des hommes très divers, et s’est très vite fragmenté en plusieurs «partis» qui n’ont cessé de se réunifier... et de s’affronter. On peut ainsi citer le «Mouvement de la Renaissance Islamique» dirigé par le mollah Sadik Abdel Aziz, le frère du mollah Ali Abdel Aziz, qui après s’être séparé du MIK, l’a réintégré pour former le «MIUK», le «Mouvement Islamique Unifié du Kurdistan» .
Plus représentative est l’Union Islamique du Kurdistan» (UIK) de Salahadin Mohammed Bahaadin. Très proche des Frères Musulmans, se déclarant «réformiste» et opposé à l’emploi de la violence, ce groupe qui n’a pas de milice est représenté dans le gouvernement kurde d’Erbil (le ministère de la Justice). Il entretient de bonnes relations avec les Frères Musulmans égyptiens, avec la ligne d’Erbakan en Turquie, et avec les organisations islamistes proches des Frères musulmans d’Arabie Saoudite.
D’autres groupes se déclarent officiellement partisans de la lutte armée. Parmi eux le «Groupe Islamique du Kurdistan» (GIK) d’Ali Bapir, l’émir» du groupe, et cheikh Mohammed Barzinji (son «guide spirituel»). L’aile extrémiste du mouvement islamique kurde irakien est composée de groupuscules comme le «Djihad islamique», les «Pechmergas de Soran», et le «Tawhid», qui se sont séparés du MIK en 1998 et 1999 et sont dirigés par le mollah Krekar et cheikh Salman. Voulant imposer le port du voile en vitriolant des femmes non couvertes d’une «Aba», organisant des attentats contre les salons de coiffure et les débits de boissons, et contre les chrétiens -ce serait le «Tawhid» qui serait responsable de l’assassinat de François Hariri- ces groupes ont été pourchassés par le PDK et l’UPK et ont dû se réfugier dans les montagnes, près de la frontière iranienne, dans les régions de Haj Omran et de Qandil.
Il y a quelques mois ces trois groupes se sont unifiés pour former le «Jound al Islam» (Soldats de l’Islam), dirigé par un certain Abou Abdalla al Shafihi, un dissident du MIK qui serait allé se battre en 1993 en Afghanistan contre les Russes. Composé de dissidents du MIK, le «Jound al Islam» a pu s’équiper avec des armes lourdes prélevées sur les stocks du MIK, et il représenterait aujourd’hui une force de 300 à 400 combattants, composée de 5 katibas (brigades) armées de mortiers de 80 et 120 mm, de lanceurs de roquettes multiples, des mini-katyushas, et d’artillerie classique.
Après de violents combats fin septembre, les forces de l’UPK ont chassé les islamistes de Halabja, et ceux-ci sont désormais réfugiés à Tawila et Biyara, à la frontière iranienne. L’UPK, dont quarante «pechmergas» (combattants) ont été égorgés après avoir été faits prisonniers par traîtrise le 23 septembre, a lancé une campagne de propagande de grande ampleur pour démontrer que le «Jound al Islam» est lié à l’organisation Al Qaida d’Oussama Ben Laden: Des «Arabes afghans», un Jordanien, un Égyptien et un Syrien, assureraient la liaison avec Ben Laden, et auraient remis plusieurs centaines de milliers de dollars à «Jound al Islam». Et quatre combattants de «Jound al Islam» d’origine jordanienne auraient été tués au Kurdistan.
On doit cependant accueillir ces informations avec une certaine prudence, car on voit mal l’Iran soutenir un mouvement lié de près ou de loin à Oussama Ben Laden et aux Talibans. Et l’on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une campagne destinée à provoquer une intervention américaine en Irak, comme le souhaitent ardemment certains chefs kurdes...
Longtemps très minoritaire, le mouvement islamique kurde irakien a bénéficié de la véritable guerre civile qui a opposé les grands partis kurdes traditionnels de 1994 à 1998, faisant plusieurs milliers de morts parmi les combattants, déplaçant des dizaines de milliers de civils et aboutissant à la partition du Kurdistan irakien en deux régions ayant chacune leur gouvernement kurde dirigé par le PDK à Erbil et l’UPK à Souleimania. Ce mouvement islamique a aussi bénéficié du soutien financier et matériel de l’Iran, qui a vu dans l’essor de ce mouvement un moyen d’affaiblir Massoud Barzani et Jalal Talabani et de faire pression sur eux en créant une troisième région kurde: basé à Halabja, près de la frontière iranienne, le mouvement islamique échappait totalement au contrôle du gouvernement de l’UPK de Souleimania, dont dépend administrativement la région de Halabja.
Les succès des islamistes aux élections des associations étudiantes, en particulier à l’université de Dohouk, et aux élections municipales, notamment à Souleimania, ont amené les dirigeants kurdes à réviser leurs relations avec des partis islamiques qu’ils ont longtemps considérés comme leurs partenaires normaux dans un pays où 95 % de la population est musulmane, et où il paraissait normal que le ministre de la justice soit un représentant du principal parti islamiste, le «Mouvement islamiste du Kurdistan». C’est l’assassinat de François Hariri, le 18 février dernier, qui a provoqué la rupture. En assassinant ce représentant de la communauté chrétienne du Kurdistan, un homme qui avait été l’un des plus proches collaborateurs du général Barzani, et qui avait été le gouverneur d’Erbil, les islamistes déclaraient pratiquement la guerre à Massoud Barzani, et, par-delà le chef du PDK, à tous les partis kurdes historiques. Et ils obligeaient les dirigeants kurdes à regarder d’un peu plus près ce qui se tramait au sein de la nébuleuse kurde irakienne.
Les «soldats de l’islam»
Le mouvement islamique au Kurdistan irakien a une histoire complexe, riche en scissions et en affrontements. Le parti principal a longtemps été le «Mouvement islamique du Kurdistan» (MIK), proche des «Frères Musulmans», dirigé par le moulla Abdoul Aziz, puis, après sa mort, par ses deux fils mollah Ali et mollah Sadik. En fait, loin d’être un parti, le MIK regroupe des courants et des hommes très divers, et s’est très vite fragmenté en plusieurs «partis» qui n’ont cessé de se réunifier... et de s’affronter. On peut ainsi citer le «Mouvement de la Renaissance Islamique» dirigé par le mollah Sadik Abdel Aziz, le frère du mollah Ali Abdel Aziz, qui après s’être séparé du MIK, l’a réintégré pour former le «MIUK», le «Mouvement Islamique Unifié du Kurdistan» .
Plus représentative est l’Union Islamique du Kurdistan» (UIK) de Salahadin Mohammed Bahaadin. Très proche des Frères Musulmans, se déclarant «réformiste» et opposé à l’emploi de la violence, ce groupe qui n’a pas de milice est représenté dans le gouvernement kurde d’Erbil (le ministère de la Justice). Il entretient de bonnes relations avec les Frères Musulmans égyptiens, avec la ligne d’Erbakan en Turquie, et avec les organisations islamistes proches des Frères musulmans d’Arabie Saoudite.
D’autres groupes se déclarent officiellement partisans de la lutte armée. Parmi eux le «Groupe Islamique du Kurdistan» (GIK) d’Ali Bapir, l’émir» du groupe, et cheikh Mohammed Barzinji (son «guide spirituel»). L’aile extrémiste du mouvement islamique kurde irakien est composée de groupuscules comme le «Djihad islamique», les «Pechmergas de Soran», et le «Tawhid», qui se sont séparés du MIK en 1998 et 1999 et sont dirigés par le mollah Krekar et cheikh Salman. Voulant imposer le port du voile en vitriolant des femmes non couvertes d’une «Aba», organisant des attentats contre les salons de coiffure et les débits de boissons, et contre les chrétiens -ce serait le «Tawhid» qui serait responsable de l’assassinat de François Hariri- ces groupes ont été pourchassés par le PDK et l’UPK et ont dû se réfugier dans les montagnes, près de la frontière iranienne, dans les régions de Haj Omran et de Qandil.
Il y a quelques mois ces trois groupes se sont unifiés pour former le «Jound al Islam» (Soldats de l’Islam), dirigé par un certain Abou Abdalla al Shafihi, un dissident du MIK qui serait allé se battre en 1993 en Afghanistan contre les Russes. Composé de dissidents du MIK, le «Jound al Islam» a pu s’équiper avec des armes lourdes prélevées sur les stocks du MIK, et il représenterait aujourd’hui une force de 300 à 400 combattants, composée de 5 katibas (brigades) armées de mortiers de 80 et 120 mm, de lanceurs de roquettes multiples, des mini-katyushas, et d’artillerie classique.
Après de violents combats fin septembre, les forces de l’UPK ont chassé les islamistes de Halabja, et ceux-ci sont désormais réfugiés à Tawila et Biyara, à la frontière iranienne. L’UPK, dont quarante «pechmergas» (combattants) ont été égorgés après avoir été faits prisonniers par traîtrise le 23 septembre, a lancé une campagne de propagande de grande ampleur pour démontrer que le «Jound al Islam» est lié à l’organisation Al Qaida d’Oussama Ben Laden: Des «Arabes afghans», un Jordanien, un Égyptien et un Syrien, assureraient la liaison avec Ben Laden, et auraient remis plusieurs centaines de milliers de dollars à «Jound al Islam». Et quatre combattants de «Jound al Islam» d’origine jordanienne auraient été tués au Kurdistan.
On doit cependant accueillir ces informations avec une certaine prudence, car on voit mal l’Iran soutenir un mouvement lié de près ou de loin à Oussama Ben Laden et aux Talibans. Et l’on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une campagne destinée à provoquer une intervention américaine en Irak, comme le souhaitent ardemment certains chefs kurdes...
par Chris Kutschera
Article publié le 10/12/2001