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Comores

Un bien étrange coup de force

Le calme est revenu sur Mohéli, après le débarquement raté d’une douzaine de mercenaires sur la petite île de l’archipel des Comores. L’enquête ouverte par le gouvernement a permis de confirmer l’hypothèse du coup d’Etat. Neuf assaillants ont été tués ou arrêtés par l’Armée Nationale du Développement.
«Je suis certain que les autorités françaises n’y sont pour rien». Cette déclaration du Premier ministre comorien, Hamada Madi Boléro, auprès du correspondant de l’AFP ce jeudi, devait mettre fin aux rumeurs persistantes concernant une éventuelle manipulation de la part de la France dans le coup de force manqué d’hier matin. Selon lui, les mercenaires, treize au total, étaient partis de Nosy Be à Madagascar en zodiacs pour prendre le pouvoir à Moroni. Ils se sont arrêtés à Mohéli à cause d’une panne de carburant. Leur opération, si l’on en croit le Premier ministre, est commanditée par d’anciens ministres et responsables militaires comoriens, dont le colonel Hassan Harouna, ancien délégué à la défense du régime takiiste (1996-1998).

L’enquête n’a pas encore livré tous les éléments relatifs au coup de force. A l’heure qu’il est, neuf mercenaires ont été tués ou arrêtés par l’Armée Nationale de Développement (AND). Une première dans l’histoire des Comores, où l’armée, d’après un journaliste de la radio nationale, a toujours eu la réputation d’être un «corps composé de lâches». En moins de vingt-cinq ans, le pays a connu dix-neuf coups d’Etat ou tentatives supposées et les militaires ne se sont jamais illustrées dans une quelconque résistance face à l’envahisseur. Lors de son dernier passage dans l’archipel, le mercenaire français Bob Denard, malgré la bénédiction des services secrets français, connut certes quelques velléités de résistance. Une prise d’assaut de son Q.G à Radio Comores fut menée par un dénommé Campagnard, proche de l’actuel président, Assoumani Azali. Chef d’état-major à l’époque, ce dernier avait justement terni son image, en allant se réfugier durant tout le siège à l’ambassade de France. Au final, Denard dut abdiquer. Mais uniquement à cause d’une intervention de militaires français, mandatés par Paris, au nom des accords de défense qui lie la France et les Comores.

La déroute des putchistes

La réussite des éléments de l’armée nationale à Mohéli ne peut que jouer en faveur du pouvoir Azali dans l’opinion. A quatre jours du référendum qui doit parachever le processus en cours de réconciliation nationale par l’adoption d’une nouvelle constitution, la bataille de Mohéli montre que l’Etat comorien, malgré la fragilité de ces dernières années, a encore les moyens de défendre ses citoyens. Un seul blessé dans les unités de défense de l’AND, alors qu’il y a eu trois mercenaires abattus et trois autres faits prisonniers à Mohéli même, ainsi qu’un assaillant en fuite arrêté à Anjouan. Un palmarès inattendu, qui est la résultante d’une réaction quasi immédiate de l’état-major comorien, qui a organisé la contre-attaque dès l’annonce du coup de force, en réquisitionnant notamment un avion de tourisme. Rassurée par la réaction du gouvernement à Moroni, la population de la petite île a pris part ensuite aux combats. Elle en effet battu à mort deux des éléments de ce commando, qui, hier encore, se faisait passer pour un détachement des forces spéciales de l’armée américaine, débarqué là à cause d’une complicité supposée du président Azali avec le mouvement terroriste de Al-Quaida.

Restent des questions. Comment un commando armé a pu s’attaquer aux Comores à un moment pareil ? A Moroni, l’armée nationale est sur le pied de guerre depuis quelques jours à cause du référendum constitutionnel de dimanche prochain. On peut penser que le coup de force manqué va ainsi calmer les esprits des partisans du «non» à la nouvelle constitution. Autre question : comment une banale panne d’essence a-t-il pu diriger le commando sur Mohéli, l’île la moins stratégique de l’archipel ? Les arguments farfelus annoncés par les mercenaires, la prise d’assaut de la seule brigade de gendarmerie de l’île qui n’a rien «d’un fort d’armée» (dixit un habitant de la ville de Fomboni), le désintérêt manifeste dudit commando pour l’aéroport de l’île d’où ont débarqué les unités de l’armée nationale… «Il y a une dimension qui échappe à nos analyses, explique un membre de l’opposition joint dans la journée. A moins de penser qu’il s’agit d’un coup mené par une bande d’abrutis, le choix du lieu, l’improvisation sur place, plus la réaction ce matin du gouvernement qui tient à nous assurer que la France n’a rien à voir avec ces mercenaires, qui sont quand même Français, tout cela nous laisse un peu perplexes». Ce coup de force à Mohéli fait suite à deux autres tentatives de déstabilisation survenues dernièrement dans l’île séparatiste d’Anjouan. L’une d’entre elles était conduite au mois de septembre par un proche du pouvoir à Moroni, Combo Ayouba, qui, depuis, est retourné dans les rangs de l’AND sans être nullement inquiété.



par Soeuf  Elbadawi

Article publié le 20/12/2001