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Serbie

La visite de la réconciliation

Jacques Chirac a effectué samedi la première visite d’un chef d’Etat français en République fédérale de Yougoslavie depuis 1983. Après Belgrade, le président français s’est rendu à Zagreb. Objectif : sceller la réconciliation franco-serbe, deux ans après la guerre du Kosovo et les bombardements de l’Otan sur Belgrade. Reportage.

«Aimons la France comme elle nous a aimés». Ces mots, gravés sur le monument de la «Reconnaissance à la France» qui commémore la fraternité d’armes des soldats serbes et français durant la Première Guerre mondiale, ont repris du lustre. Cet ouvrage surplombant le Danube et la Save, avait été recouvert d'un voile noir durant les bombardements alliés du printemps 1999.

Premier chef d’Etat en visite officielle à Belgrade depuis la chute de Slobodan Milosevic et l’avènement de la démocratie le 5 octobre 2000, Jacques Chirac a fleuri la statue d’une femme ailée élancée vers la liberté et ainsi scellé l’amitié franco-serbe, en l’inscrivant dans une perspective européenne dont il a souligné les exigences. Rendant hommage à la «leçon de cohésion nationale, de courage et de liberté», le président français a tracé le nouvel horizon pour le pays, après dix ans de guerres et d’isolement.

«Je souhaite que la Yougoslavie, moderne, démocratique, renoue avec son histoire glorieuse et qu'elle brille, comme elle le mérite, au sein de la famille européenne à laquelle elle a tant manqué. (...) Votre destin est en Europe. L'Europe et la France vous y attendent», a déclaré le chef de l'Etat lors d'un discours dans la «salle des héros» à la faculté de philologie de l'université de Belgrade.

Mais le président yougoslave Kostunica a été encouragé à «consolider» les réformes politiques «face aux vents mauvais du passé». Vojislav Kostunica, nationaliste modéré, est réservé face à la coopération avec le Tribunal pénal international sur l'ex-Yougoslavie (TPIY), qu’il considère comme anti-serbe. Il a notamment dénoncé le transfert au TPIY de Slobodan Milosevic, estimant qu’il faut un cadre légal autorisant l’extradition d’un citoyen yougoslave que son parti est loin de se dépêcher de mettre en place.

On reproche lui reproche également de protéger les généraux de l’armée, compromis par leur collaboration au régime de Slobodan Milosevic, ainsi que les «unités spéciales» responsables de crimes de guerre. Pour cette raison, ses relations sont très tendues avec le Premier ministre Zoran Djindjic, pragmatique et pro-européen. Leur rivalité a culminé la veille de l’arrivée du président Chirac avec la démission de Dragan Marsicanin, (numéro deux du parti de Kostunica), de la présidence du parlement serbe sous la pression d'alliés de Djindjic.

L’union, mot clé de la paix dans les Balkans

Dans ce contexte, le président Chirac a énoncé un principe : «l'avènement d'un Etat démocratique suppose que les coupables, quelles que soient leurs origines ou leurs convictions, rendent compte de leurs crimes devant la justice». Cela a eu le mérite de mettre du baume au cœur des serbes, qui reprochent au TPIY de ne pas mener assez d’enquêtes contre les criminels de guerre croates et les albanais. Le TPIY accuse l'armée yougoslave de protéger Mladic qui se trouverait sur le territoire serbe. Il faut dire que depuis plusieurs jours les rumeurs alimentent les conversations belgradoises : Mladic aurait été vu au restaurant, également lors d’une rencontre de football, près de sa villa ou encore à proximité de la caserne militaire de Topcider.

«Nous arriverons bien à les trouver», a assuré le président français. Quant à l’ébranlement de la coalition dirigeante devant les divisions entre les partisans du président yougoslave Vojislav Kostunica et le premier ministre de Serbie Zoran Djindjic, Jacques Chirac a émis le souhait que les «réformateurs» restent unis pour surmonter les difficultés économiques et sociales auxquels ils sont confrontés : «tout ce qui alimente les divisions est dangereux». Cette apparente neutralité d’un président habitué de la cohabitation, comporte aussi une appréciation plus fine du fossé qui sépare les deux courants de la coalition. «Nous ne plaçons pas tous les œufs dans le même panier», confiait un diplomate proche de l’Elysée, et cela s’est ressenti lors des hommages appuyés rendus par le président Chirac au premier ministre Djindjic. Distance est donc prise avec le Quai d’Orsay qui s’est jusqu’à présent plutôt rangé du côté de Vojislav Kostunica.

L’union aura été le mot clé des messages du président français dans un contexte où la paix dans les Balkans est toujours menacée. A l’heure où le dialogue est interrompu entre les deux républiques de la fédération yougoslave -la Serbie et le Monténégro-, et les albanais du Kosovo demandent l’indépendance, Jacques Chirac a considéré qu’il serait «anachronique que le sud-est du continent connaisse un processus de désintégration au moment où l’Europe accélère son processus d’intégration et de solidarité». Se prononçant pour un «Monténégro démocratique» dans une Yougoslavie «démocratique» et «rénovée», le président a au passage jeté l’opprobre sur les partisans de l’indépendance, et fait allusion à la douteuse provenance des fonds du président Djukanovic. Dans le même sens, le Kosovo a été appelé «à faire triompher le dialogue» et «la solidarité entre Albanais et Slaves». «Il faut privilégier ce qui unit à ce qui oppose», a-t-il dit, soulignant l'attachement de la France au respect de la résolution 1244 de l'ONU, qui prône notamment l'instauration d'une «autonomie substantielle» au Kosovo dans le cadre de la Yougoslavie et qui «ne donne pas vocation à l’Assemblée du Kosovo pour se prononcer sur son statut final».



Article publié le 09/12/2001