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Comores

Azali tient à empocher «la prime au sortant»

L'Union des Comores va enfin voir le jour. Conformément à l'accord-cadre signé à Fomboni le 17 février 2001 dans le cadre du processus de réconciliation nationale, les Comoriens ont validé un nouveau projet constitutionnel dimanche dernier. 77% des votants ont opté pour le «oui». Mais le pouvoir et l'opposition n'ont pas l'air de s'entendre pour la suite des événements.
Il y a eu très peu d'enthousiasme en réalité de la part de la population pour ce référendum. A Moroni, où se trouve 60% des électeurs déclarés, les centres de vote n'ont guère été pris d'assaut. Mais la République Fédérale Islamique des Comores –tout le monde s'accorde sur ce principe– n'existera plus. Désormais, s'annonce pour tous une nouvelle ère sur ce minuscule archipel de quatre îles, situé à l'entrée du canal de Mozambique. Fini le temps de la déstabilisation permanente, fini le temps des coups d'État et des séparatismes de tous bords, en théorie du moins. Aidé de cette nouvelle constitution, l'ensemble de la classe politique de l'Archipel (excepté à Mayotte, restée française) pense pouvoir reconstruire une identité nationale, mise à mal par plus de vingt-cinq années de crise politique et économique, tout en privilégiant quelques différences insulaires supposées. Plus concrètement, l'Union des Comores viendrait mettre fin à l'éclatement provoquée par l'insurrection anjouanaise il y a quatre ans et par la crise institutionnelle ouverte par le coup d'État militaire du Colonel Azali Assoumani le 30 avril 1999.

Trois mois de course électorale devront consolider les résultats de ce référendum. Un premier vote aura lieu le 10 mars 2002 pour déterminer une constitution propre au fonctionnement de chaque île. Chacune des trois (Mohéli, Anjouan, Grande Comore) devra ensuite se choisir le chef de son exécutif (qui portera peut-être le titre de «gouverneur»), avant d'envoyer son candidat à l'élection pour la présidence de l'Union. Enfin, il y aura l'élection des parlements de chaque île, qui s'opérera juste avant l'élection des 33 députés de l'Assemblée de l'Union. Une vraie bataille s'annonce donc entre les partis de l'opposition traditionnelle, les chefs anjouanais et le pouvoir du colonel Azali. Les premiers semblent un peu coupés du quotidien de leurs compatriotes et s'attachent actuellement à la reconstitution de leurs forces sur le terrain. Les seconds ont promis avant tout de défendre les intérêts de la population sans succomber aux querelles partisanes. La junte au pouvoir, elle, hésite à reprendre le chemin des casernes.

Théoriquement, si Azali souhaite, comme le sous-entendent ses proches, se présenter aux élections de l'Union, il devrait, selon les engagements pris dans le cadre du processus de réconciliation nationale, démissionner dans les sept jours suivant la proclamation des résultats du référendum.

Vers un coup d'État constitutionnel ?

Selon l'opposition, Azali voudra rester au pouvoir : trois mois de transition seraient ainsi l'occasion pour lui de mieux préparer l'opinion à son retour éventuel à la tête des trois îles, Mayotte n'étant évoquée pour l'instant que de façon purement symbolique. Il s'agirait là de «la prime au sortant» : une perspective qui n'enchante que très peu le porte-parole du camp anti-Azali, Ali M'saïdié Houmed. «si c'est le cas, déclarait-il à l'AFP il y a deux jours, il rompt l'accord de Fomboni et renie sa signature. C'est un second coup d'État». Pour les partisans du président, son départ signifierait le retour au désordre, d'autant plus qu'il vient de déjouer un dernier coup de force, survenu à trois jours du référendum. Un coup de force qui laisse bien des opposants songeurs et perplexes, tels cet ex-djohariste : «On a de plus en plus l'impression qu'il s'agissait d'un coup monté pour rassurer la population et faire du chef de l'armée un héros. Azali, lors du coup d'État de Bob Denard de 1995, était passé pour un lâche aux yeux de la population. Il était parti se réfugier à l'ambassade de France, alors qu'il était chef de l'état-major. La France passe quand même pour l'instigateur de tous les mauvais coups survenus ici. Aller à l'ambassade, c'était pour tout le monde se rendre à l'ennemi. Vouloir le faire passer pour un héros aujourd'hui à quelques jours de sa décision concernant les élections de l'Union est un peu grossier. Mais c'est ce que nous raconte son entourage. Ceci étant, rien ne l'empêche de rentrer en caserne et de veiller sur la sécurité des Comoriens. Il n'a pas besoin de gérer la période de transition pour cela».

Le Premier ministre, Hamada Madi Boléro, considère que le retour du colonel Azali en caserne est un risque inutile. Son ministre de l'information, Ali Toihir, lui, souhaite qu'il y ait compromis jusqu'au dépôt des candidatures en février 2002. D'après lui, le coup de force de Mohéli oblige à relire autrement les dispositions de l'accord-cadre signé par l'ensemble de la classe politique à Fomboni le 17 février dernier. Autrement dit, l'Union des Comores entamerait son histoire par «un mauvais pas», dû au non-respect d'une de ces principales clauses. Msaidié Ali Houmed pense que sur ce point «l'opposition ne cédera jamais». Azali, lui, ne s'est pas prononcé pour l'instant.

Au-delà de ce débat, se posent d'autres questions. Cette constitution est soupçonnée par exemple d'encourager les régionalismes insulaires. Les partisans déboutés du «non» ont ainsi conclu que «donner trop d'autonomie à chacune des îles, signifiait la mort d'un ensemble historiquement constitué, avant l'arrivée des colons. C'est pour cela d'ailleurs que la France a finalement s'est engagée pour le «oui», après avoir refusé de signer l'accord-cadre de Fomboni. Les séparatistes avaient déjà gagné sur le plan de l'opinion publique». Le propos est celui d'un militant de la société civile en forum sur le net. «On avait tous fini, écrit-il, par dire «tant pis! Si les Anjouanais veulent s'en aller, qu'ils s'en aillent». Avec cette constitution, nous légitimons ce fait, en donnant plus d'indépendance à chaque île, sous prétexte de décentralisation. Quant à cette histoire de présidence tournante, stipulée dans la constitution, avec à chaque fois un président de l'Union issu d'une île différente, c'est n'importe quoi. Cela signifie que même s'il n'est pas convaincant, le président devra être accepté par la population, parce que ce sera le tour de son île d'avoir quelqu'un à la tête de l'Union. Autant dire un casse-tête juridique…». Il n'empêche : la quasi-totalité des hommes politiques de l'archipel ont appelé à voter «oui» à cette constitution. Il s'agissait selon eux de «la dernière opportunité offerte à la population» concernant son devenir après la crise politique et institutionnelle de ces quatre dernières années.



par Soeuf  Elbadawi

Article publié le 27/12/2001