Rwanda
Enquête: des génocidaires présumés réfugiés en France
En mai dernier en Belgique, quatre Rwandais ont été jugés et condamnés pour leur participation au génocide de 1994. En France, plusieurs Rwandais sont soupçonnés, d’être auteurs ou complices de ce crime contre l’humanité qui a fait environ 800.000 morts. Catherine Ninin a enquêté en France et au Rwanda.
Ecouter l’émission Reporteurs de Catherine Ninin
(Premier volet, durée 15 minutes, 19/12/2001)
Ecouter l’émission Reporteurs de Catherine Ninin
(Deuxième volet, durée 15 minutes, 20/12/2001)
Depuis 1994, environ 1500 Rwandais ont demandé le droit d’asile en France. D’après les chiffres de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), un peu moins de 20% se sont vu refuser le statut de réfugié. Ce qui est intéressant, c’est que certains refus le sont en application des Conventions de Genève de 1954 qui excluent les auteurs de crimes de guerre ou contre l’humanité. Autrement dit, comme l’exprime pudiquement l’Ofpra «il y a de sérieuses raisons de penser que ces personnes se ont rendues complices de crimes de génocide».
Par ailleurs, le Tribunal pénal international pour le Rwanda installé à Arusha depuis 1994 enquête sur les key leaders autrement dit sur ceux qui ont guidé la main des tueurs. Ils ont dressé une liste confidentielle, la liste Gama, qui comprend 200 noms d’instigateurs du génocide. Des personnes qui se trouvent actuellement un peu partout en Afrique, aux Etats-Unis, mais aussi en Europe et particulièrement en France. Comme l’explique Laurent Walpen, c’est en raison des liens particuliers qu’entretenait la France avec le régime du président Habyarimana.
Aujourd’hui, une dizaine de personnes qui se trouveraient en France intéressent le Tribunal. Ces deux dernières années, la France a extradé vers Arusha à la demande du Tribunal pénal international deux suspects. Mais Paris a laissé passé entre ces filet un gros poisson. Il s’agit de l’ancien ministre rwandais de la Planification. Augustin Ngirabatware, soupçonné d’avoir financé les milices, c’est aussi l’un des fondateurs de Radio Mille Collines. Il a vécu pendant trois ans avec sa femme et ses enfants dans une tour du 13e arrondissement de Paris.
Lorsque le Tribunal pénal international le réclame, les policiers français se présentent à son domicile le 12 novembre 1999 mais l’homme s’est volatilisé la veille. Un hasard ? Sans doute pas. Alors d’où est venu la fuite ? De quelles complicités a-t-il bénéficié ? Son avocat, Michel Aurillac, ancien ministre de la Coopération de Jacques Chirac (entre 1986 et 1988), et aussi pilier des réseaux gaullistes en Afrique peine à répondre à ces questions. En tout cas, Augustin Ngirabatware aurait fui grâce à un passeport gabonais. Et c’est aussi au Gabon qu’il se trouverait aujourd’hui, Son beau père, Félicien Kabuga, un richissime homme d’affaire rwandais, passé lui aussi par Paris, séjournerait aujourd’hui au Kenya.
Des plaintes déposées en France pour génocide ou complicité
Pour Carla del Ponte, procureur général du Tribunal pénal international, il n’est pas impossible que ces hommes passent encore de temps en temps par Paris et, selon elle, la grande difficulté en France c’est bien de localiser ces criminels qui circulent chaque fois avec des nouveaux passeports. A noter aussi que Madame Habyarimana, la veuve du président rwandais, qui elle n’est pas recherchée par le Tribunal, passe aussi de temps en temps par Paris.
Depuis 1995 une dizaine de plaintes ont été déposées en France par des associations comme la Fédération internationale des droits de l’homme et aussi à la demande de familles de victimes. Plusieurs instructions sont en cours et la justice a opéré des mises en examen pour crime de génocide ou complicité de génocide. Des procès pourraient se tenir en France en vertu du principe de compétence universelle. En effet depuis 1996, la justice française a incorporé le statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda ce qui lui fait obligation de poursuivre et de juger ces personnes. Seulement, comme l’explique l’avocat William Bourdon, tout cela piétine. Deux raison à cela probablement un manque de volonté politique, et surtout une certaine frilosité des juges peu habitués à juger des crimes commis à l’étranger contre des étrangers et par des étrangers.
Parmi ces affaires instruites en France, figurent trois dossiers particuliers qui concernent un prêtre, un médecin et un ancien préfet. Les accusations qui les visent sont extrêmement graves et à ce jour, aucun juge ni aucun enquêteur français ne s’est rendu au Rwanda. RFI a décidé de se rendre sur place et j’ai enquêté à Kigali notamment sur le père Wenceslas Munyeshaka. Ce prêtre qui officie chaque dimanche dans une paroisse de Normandie est mis en examen pour crime de génocide. J’ai rencontré à Kigali plusieurs témoins qui l’accusent d’avoir livré aux milices extrémistes hutues, des Tutsis réfugiés dans sa paroisse. J’ai tenté de rencontrer le père Wenceslas, un dimanche à la sortie de la messe et il a refusé de me répondre.
Autre cas, celui d’un ancien préfet qui vit aujourd’hui à Troyes. Lui aussi est mis en examen, il a même passé six mois à la prison de la Santé à Paris. Il est sous contrôle judiciaire. Laurent Bucyabaruta était le préfet de Gikongoro, une des région les touchées par les massacres. Pour vous donner un exemple, à Murambi, dans une ancienne école à moins d’un kilomètres de la préfecture, plusieurs dizaines de milliers de Tutsis ont été tués. Qui a organisé cela ? Le préfet avait-il les moyens d’empêcher ces tueries ? Des condamnés à mort de la prison de Ginkongoro, témoignent ainsi que des rescapés. Des témoignages parfois accablants auxquels répond Laurent Bucybarut, interrogé il y a quelques mois par la télévision française.
Enfin, Nous parlerons d’un gynécologue qui vit à Bordeaux: le Dr Sosthène Munyémana qui lui n’est pas mis en examen bien qu’une instruction soit en cours. Là encore des témoignages terribles ont été recueillis à Butare le mettant en cause. Une fois encore, la encore refus du médecin de répondre à mes questions...
Alors sept ans après le génocide, toujours pas de procès, c’est long. Mais quelque chose semble bouger du côté de la justice... selon un arrêt de la cour de cassation de paris, un juge devrait être prochainement désigné pour instruire plusieurs dossiers dont ceux là.
En août dernier, Hubert védrine le ministre des Affaires étrangeres était de passage à Kigali. Il a promis que les coupables seraient jugés en France, C’est aussi le souhait de Carla del Ponte.
(Premier volet, durée 15 minutes, 19/12/2001)
Ecouter l’émission Reporteurs de Catherine Ninin
(Deuxième volet, durée 15 minutes, 20/12/2001)
Depuis 1994, environ 1500 Rwandais ont demandé le droit d’asile en France. D’après les chiffres de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), un peu moins de 20% se sont vu refuser le statut de réfugié. Ce qui est intéressant, c’est que certains refus le sont en application des Conventions de Genève de 1954 qui excluent les auteurs de crimes de guerre ou contre l’humanité. Autrement dit, comme l’exprime pudiquement l’Ofpra «il y a de sérieuses raisons de penser que ces personnes se ont rendues complices de crimes de génocide».
Par ailleurs, le Tribunal pénal international pour le Rwanda installé à Arusha depuis 1994 enquête sur les key leaders autrement dit sur ceux qui ont guidé la main des tueurs. Ils ont dressé une liste confidentielle, la liste Gama, qui comprend 200 noms d’instigateurs du génocide. Des personnes qui se trouvent actuellement un peu partout en Afrique, aux Etats-Unis, mais aussi en Europe et particulièrement en France. Comme l’explique Laurent Walpen, c’est en raison des liens particuliers qu’entretenait la France avec le régime du président Habyarimana.
Aujourd’hui, une dizaine de personnes qui se trouveraient en France intéressent le Tribunal. Ces deux dernières années, la France a extradé vers Arusha à la demande du Tribunal pénal international deux suspects. Mais Paris a laissé passé entre ces filet un gros poisson. Il s’agit de l’ancien ministre rwandais de la Planification. Augustin Ngirabatware, soupçonné d’avoir financé les milices, c’est aussi l’un des fondateurs de Radio Mille Collines. Il a vécu pendant trois ans avec sa femme et ses enfants dans une tour du 13e arrondissement de Paris.
Lorsque le Tribunal pénal international le réclame, les policiers français se présentent à son domicile le 12 novembre 1999 mais l’homme s’est volatilisé la veille. Un hasard ? Sans doute pas. Alors d’où est venu la fuite ? De quelles complicités a-t-il bénéficié ? Son avocat, Michel Aurillac, ancien ministre de la Coopération de Jacques Chirac (entre 1986 et 1988), et aussi pilier des réseaux gaullistes en Afrique peine à répondre à ces questions. En tout cas, Augustin Ngirabatware aurait fui grâce à un passeport gabonais. Et c’est aussi au Gabon qu’il se trouverait aujourd’hui, Son beau père, Félicien Kabuga, un richissime homme d’affaire rwandais, passé lui aussi par Paris, séjournerait aujourd’hui au Kenya.
Des plaintes déposées en France pour génocide ou complicité
Pour Carla del Ponte, procureur général du Tribunal pénal international, il n’est pas impossible que ces hommes passent encore de temps en temps par Paris et, selon elle, la grande difficulté en France c’est bien de localiser ces criminels qui circulent chaque fois avec des nouveaux passeports. A noter aussi que Madame Habyarimana, la veuve du président rwandais, qui elle n’est pas recherchée par le Tribunal, passe aussi de temps en temps par Paris.
Depuis 1995 une dizaine de plaintes ont été déposées en France par des associations comme la Fédération internationale des droits de l’homme et aussi à la demande de familles de victimes. Plusieurs instructions sont en cours et la justice a opéré des mises en examen pour crime de génocide ou complicité de génocide. Des procès pourraient se tenir en France en vertu du principe de compétence universelle. En effet depuis 1996, la justice française a incorporé le statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda ce qui lui fait obligation de poursuivre et de juger ces personnes. Seulement, comme l’explique l’avocat William Bourdon, tout cela piétine. Deux raison à cela probablement un manque de volonté politique, et surtout une certaine frilosité des juges peu habitués à juger des crimes commis à l’étranger contre des étrangers et par des étrangers.
Parmi ces affaires instruites en France, figurent trois dossiers particuliers qui concernent un prêtre, un médecin et un ancien préfet. Les accusations qui les visent sont extrêmement graves et à ce jour, aucun juge ni aucun enquêteur français ne s’est rendu au Rwanda. RFI a décidé de se rendre sur place et j’ai enquêté à Kigali notamment sur le père Wenceslas Munyeshaka. Ce prêtre qui officie chaque dimanche dans une paroisse de Normandie est mis en examen pour crime de génocide. J’ai rencontré à Kigali plusieurs témoins qui l’accusent d’avoir livré aux milices extrémistes hutues, des Tutsis réfugiés dans sa paroisse. J’ai tenté de rencontrer le père Wenceslas, un dimanche à la sortie de la messe et il a refusé de me répondre.
Autre cas, celui d’un ancien préfet qui vit aujourd’hui à Troyes. Lui aussi est mis en examen, il a même passé six mois à la prison de la Santé à Paris. Il est sous contrôle judiciaire. Laurent Bucyabaruta était le préfet de Gikongoro, une des région les touchées par les massacres. Pour vous donner un exemple, à Murambi, dans une ancienne école à moins d’un kilomètres de la préfecture, plusieurs dizaines de milliers de Tutsis ont été tués. Qui a organisé cela ? Le préfet avait-il les moyens d’empêcher ces tueries ? Des condamnés à mort de la prison de Ginkongoro, témoignent ainsi que des rescapés. Des témoignages parfois accablants auxquels répond Laurent Bucybarut, interrogé il y a quelques mois par la télévision française.
Enfin, Nous parlerons d’un gynécologue qui vit à Bordeaux: le Dr Sosthène Munyémana qui lui n’est pas mis en examen bien qu’une instruction soit en cours. Là encore des témoignages terribles ont été recueillis à Butare le mettant en cause. Une fois encore, la encore refus du médecin de répondre à mes questions...
Alors sept ans après le génocide, toujours pas de procès, c’est long. Mais quelque chose semble bouger du côté de la justice... selon un arrêt de la cour de cassation de paris, un juge devrait être prochainement désigné pour instruire plusieurs dossiers dont ceux là.
En août dernier, Hubert védrine le ministre des Affaires étrangeres était de passage à Kigali. Il a promis que les coupables seraient jugés en France, C’est aussi le souhait de Carla del Ponte.
par Catherine Ninin
Article publié le 21/12/2001