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Congo démocratique

La paix piétine

Le 16 janvier 2001, Laurent Désiré Kabila était assassiné et immédiatement remplacé par son fils Joseph. Depuis, le processus de paix a incontestablement progressé. Mais à quelques semaines de l’ouverture, sans cesse repoussée, du dialogue intercongolais, l’imbroglio congolais est loin d’être résolu.
Un an après la mort de Laurent Désiré Kabila et l’accession au pouvoir de son fils Joseph, la crise qui secoue la RDC depuis août 1998 est toujours au cœur d’intenses tractations. En ligne de mire : la reprise du fameux dialogue intercongolais, prévu par les accords de paix de Lusaka, censé réunir autour d’une table tous les acteurs politiques et militaires internes du conflit. Interrompu quelques jours après son ouverture en octobre dernier, à Addis-Abeba, la rencontre tant attendue doit en principe reprendre dans les semaines qui viennent en Afrique du Sud. Quand exactement ? Nul n’ose raisonnablement avancer une date précise. Il y a quelques jours encore, les plus optimistes tablaient sur l’échéance de fin janvier. On parle désormais de la mi-février. Un retard que le «facilitateur» de cette rencontre, l’ex-président botswanais Ketumile Masire, attribue essentiellement à des difficultés financières.

Dans l’intervalle, les initiatives censées contribuer à la réussite du Dialogue, se multiplient. Ce lundi 13 janvier, un sommet spécial de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) consacré à la RDC et au Zimbabwe s’est tenu à Blantyre, au Malawi, en présence notamment de Joseph Kabila, et des ses homologues angolais et ougandais. Mais la controverse sur le résultat du sommet en dit long sur les divergences qui subsistent entre le pouvoir de Kinshasa et les mouvements rebelles qui contrôlent une grande partie du pays. Officiellement, c’est un succès, à en croire le président mozambicain Joachim Chissano, sous l’égide duquel deux rencontres entre le président congolais et les leaders des deux principaux groupes armés, Adolphe Onusumba du RCD-Goma et Jean-Pierre Bemba du MLC, ont eu lieu les 12 et 13 janvier. Le résultat a néanmoins immédiatement été relativisé par l’entourage d’Onusumba qui qualifie ses contacts d’essentiellement «protocolaires» et affirme que Joseph Kabila a «boycotté» une séance de travail prévue en marge du sommet.

Le retour des troupes ougandaises

Au moment où s’achevait la rencontre de Blantyre, une autre réunion, moins officielle, réunissant des représentants de partis politiques et de la société civile, s’est ouverte mardi à Bruxelles, sous l’égide du gouvernement belge, en présence de ministres congolais. L’ancienne puissance coloniale, très impliquée dans le processus de paix en RDC, y voit l’occasion d’encourager les acteurs non-armés de la crise congolaise à faire entendre leur voix à la veille du dialogue intercongolais. L’initiative est toutefois loin de faire l’unanimité dans la classe politique congolaise.

Deux des principaux partis d’opposition, l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) d’Etienne Tshisekedi et les FONUS (Forces novatrices pour l’union et la solidarité) de Joseph Olengakoy ont refusé de faire le voyage. «C’est une initiative unilatérale du vice-premier ministre belge, indépendante de la démarche du facilitateur, nous a déclaré le représentant de l’UDPS en France, Kibanza Mwania. Elle vise, en fait, à masquer les velléité d’ingérence de Louis Michel [le ministre belge des Affaires étrangères] qui veut nous imposer Kabila.» Même son de cloche au RCD-Goma, qui boycotte le rendez-vous de Bruxelles aux côté du MLC. «Cette réunion a été organisée par la Belgique pour asseoir ses prétentions colonialistes sur le Congo et (…) sauver de la noyade le petit Kabila», dénonce Créspin Kabasele responsable adjoint des relations extérieures. Autant d’accusations catégoriquement rejetées côté belge, dont le gouvernement assure n’être guidé par «aucune arrière-pensée» et n’avoir «pas d’agenda double pour l’Afrique».

A quelques semaines d’une rencontre capitale pour l’avenir du Congo démocratique, on frise donc la cacophonie. A Kinshasa, au siège de la Mission de l’organisation des nations unies pour le Congo (MONUC), dont plus de 3 000 hommes sont désormais déployés à travers le pays, on en relativise toutefois l’impact. Pour Manodje Mounoubaï, l’un des porte-parole de la MONUC, le sommet de Blantyre est un encouragement «important» en faveur de la paix. Et s’il reconnaît que l’absence à Bruxelles d’acteurs importants de la crise congolaise «pose la question de la validité de la réunion de Bruxelles», il y voit «une occasion de plus de préparer le dialogue intercongolais».

Or le temps presse. Selon le Réseau européen du Congo, un collectif d’Organisations non-gouvernementales opérant dans l’ex-Zaïre, la situation humanitaire ne cesse d’empirer, alors que la majorité des Congolais sont sous-alimentés. Dans les zones tenues par la rébellion, Médecin sans frontières (MSF) estime que le taux de mortalité à quintuplé chez les enfants de moins de cinq ans. Dans la région de l’Equateur, l’ONG évalue à 10% le taux de mortalité des suites de malnutrition et de malaria. MSF attribue ce bilan catastrophique à la violence et aux pillages fréquents dans une zone qui reste très instable.

Le général sénégalais Mountaga Diallo, commandant en chef de la MONUC, en sait quelque chose. «Le cessez-le-feu est largement respecté autour de la ligne de séparation [entre zones rebelles et gouvernementales. Là où ça ne va pas c’est dans l’Est», confie-t-il. Le Nord et le Sud Kivu, le Maniema et le Nord Katanga, connaissent régulièrement des affrontements entre miliciens maï-maï congolais et les nombreux groupes armés – rebelles hutus rwandais et burundais - opérant dans la région.

Pour Mountaga Diallo, c’est dans le nord-est que la situation militaire est la plus inquiétante. Outre les sanglants affrontements inter-ethniques, récurrents dans la zone de Bunia, frontalière de l’Ouganda, on assiste à une lutte fratricide entre mouvements rebelles, depuis plusieurs semaines, autour des villes de Béni, Butembo, Isiro et Bunia. Ils sont la conséquence directe d’un changement d’alliance et d’une atomisation au sein de la rébellion. Appuyé, encore récemment, par l’Ouganda, le MLC fait désormais alliance avec le RCD-Goma, activement soutenu par le Rwanda. Dans le même temps le RCD-ML (ou Kinsangani), petite faction dirigée par Mbusa Nyamwisi, proche l’Ouganda, mais ayant entamé des contacts avec Kinshasa, s’est scindée avec la création du RCD-National, une micro-faction, pour l’instant proche du MLC.

«Ce qui se passe dans le nord-est m’inquiète», avoue le commandant de la MONUC. Evoquant les affrontements passés entre troupes de Kampala et Kigali autour de Kisangani, ce dernier avoue sa crainte d’une nouvelle confrontation. De fait, l'Ouganda, dont la grande majorité des troupes avaient quitté le territoire congolais, a annoncé ce jeudi l'envoi de soldats pour mettre fin aux affrontements entre mouvements rebelles.

A quelques semaines du Dialogue intercongolais, la situation politico-militaire apparaît donc plus complexe que jamais. D’ici là, les efforts diplomatiques vont cependant se poursuivre. Les ministres français et britanniques des Affaires étrangères, Hubert Védrine et Jack Straw, doivent se rendre dans les prochains jours à Kampala, Kigali et Kinshasa pour une visite commune, destinée à appuyer le processus de paix dans la région. Des signes de détente sont, par ailleurs, perceptibles entre les autorités congolaises et burundaises, qui ont annoncé le retrait de leurs troupes engagées en RDC, où elles luttent contre les rebelles des Forces de défense de la démocratie, qui servent accessoirement de supplétifs aux troupes de Kinshasa. En échange, Bujumbura attend, bien sûr, un arrêt du soutien congolais aux groupes armés hutus. La paix - la vraie - n’est donc pas encore à l’ordre du jour dans le vaste Congo démocratique, mais la diplomatie progresse. Pas à pas.



par Christophe  Champin

Article publié le 17/01/2002