Serbie
Le «mendiant de luxe» de Belgrade
Elevé en France, économiste brillant, le ministre de l’Economie de Serbie a pour mission depuis un an de redresser l’économie d’un pays ruinée par la guerre et l’hyperinflation. Pour cela il «tend la main» dans les capitales occidentales.
De notre correspondante à Belgrade
Elu personnalité de l’année par un hebdomadaire belgradois, classé parmi les 100 leaders importants par le Forum économique de Davos, Bozidar Djelic fait figure de symbole du nouveau pouvoir en Serbie. Réformiste et proeuropéen, il séduit par son enthousiasme. Echaudés par des années de malversations, les Serbes veulent croire en son intégrité.
Arrivé à Paris à l’âge de 10 ans, ce fils d’immigrés, élevé dans une petite chambre par sa mère couturière, a suivi un parcours exemplaire : lycée Louis-le-Grand, Sciences Po, HEC et MBA à Harvard. A 35 ans, il est consultant dans le prestigieux cabinet McKinsey spécialisé en stratégie industrielle. Mais il ne résiste pas à l’appel de la nouvelle équipe au pouvoir à Belgrade, dit adieu aux 4 millions de francs par an et devient ministre des finances bénévole. «J’ai vu l’opportunité de participer à quelque chose de grand», explique-t-il.
L’ambition est grande, mais les difficultés le sont aussi. Quand il prend ses fonctions: «La Serbie avait un déficit à 15% du PNB, une dette extérieure de 142% du PNB, ce qui la classait dans les deux pays les plus endettés du monde, un taux de chômage proche de 50%, un tiers de la population en dessous du seuil régional de pauvreté, une dette interne encore plus grande que la dette externe. Qui plus est un cas unique d’un pays qui en dix ans a connu deux hyperinflations et une perte de deux tiers de PNB ».
La Serbie : premier de la classe des pays en transition
Mise au ban de la communauté internationale pendant le règne de Slobodan Milosevic, la Serbie est aujourd’hui membre du FMI, de la Berd (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) et de la Banque mondiale. Surtout, la dette a été renégociée au sein du Club de Paris avec 66% d’abandon de dette. Bozidar Djelic rappelle avec fierté que selon la Berd, la Serbie a enregistré les progrès les plus importants en 2001 parmi les pays en transition. «La monnaie est devenue convertible, l’inflation maîtrisée, le système fiscal refondu, les lois de privatisation et de réforme du code du travail ont été votées», déclame Djelic.
Une aide de 1,33 milliards de dollars sur trois ans a été accordée par la conférence des bailleurs de fonds, dont la date a étrangement coïncidé avec le transfert de Slobodan Milosevic à la Haye, fin juin 2001. Mais le ministre explique qu’une «partie de l’aide est là pour que l’Occident puisse se rembourser des dettes. L’argent ne touche pas le sol, il revient dans les coffres de l’Occident. Cela dit, quelque chose comme les deux tiers de l’argent qui va venir sera sous forme de dons».
En pratique, 4,18 milliards de francs d’aide ont été accordés au pays cette année et on s’attend à 6,74 milliards de francs en 2002. «J’aurais aimé que l’aide internationale soit plus appuyée», avoue Djelic. «L’aide financière aidera les Serbes à mieux accepter, l’idée que les bombardements de 1999 étaient dirigés contre un homme et un régime et pas contre un peuple, car le résultat effectif n’est pas tout à fait cela». Selon lui, les dégâts causés par les bombardements sur les infrastructures civiles sont de l’ordre de 8 à 9 milliards de dollars. Pourtant, celui qui se surnomme par auto-dérision «mendiant de luxe» lorsqu’il va à l’étranger affiche la fierté: «très vite nous voulons être un partenaire commercial et pas un récipiendaire d’aides».
Il y a eu entre 540 et 674 millions de francs d’investissements directs en 2001. Mais seulement 2% des relations commerciales se font avec la France. Selon Djelic, «il va y avoir dans les trois années qui viennent une injection d’environ 4 milliards de dollars d’argent étranger et la privatisation de 7000 entreprises». Pour celui qui a connu la transition en Russie, en Roumanie et en Pologne, «il y a un mouvement au sein des Balkans qui peut faire que cette zone qui a été celle de toutes les catastrophes soit celle du plus fort développement économique dans les 10 années qui viennent».
Les atouts humains? «Le fait qu’il n’y ait pas un village en Serbie où il n’y a pas un contact direct avec quelqu’un qui vit à l’Ouest et donc un effet de mimétisme important; une tradition autogestionnaire qui n’a pas que du mauvais dans la mesure où les managers et les ouvriers se sentent responsables de leur usine sans tout attendre du centre; la diaspora dont plusieurs milliers de membres sont rentrés au pays», assure Djelic. Les syndicats? «Ils ont montré un degré de maturité étonnante», répond-t-il, citant le cas de l’usine automobile de Zastava, où après avoir voulu lyncher les ministres, 99% des ouvriers ont accepté la baisse de 11 800 à 3 700 employés en échange d’un programme social.
Jusqu’à présent les Serbes se sont montrés plutôt patients, même si leur niveau de vie ne s’est pas sensiblement amélioré. Le salaire moyen est de 115 euros par mois, alors qu’il faut 180 euros par mois pour couvrir les besoins élémentaires d’un ménage. Sachant qu’un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et que le taux de chômage est de près de 40%, on risque de voir le bureau de Bozidar Djelic illuminé jusqu’à 3h du matin encore longtemps.
Ecouter également:
L'interview de Bozidar Djelic par Milica Cubrilo
Elu personnalité de l’année par un hebdomadaire belgradois, classé parmi les 100 leaders importants par le Forum économique de Davos, Bozidar Djelic fait figure de symbole du nouveau pouvoir en Serbie. Réformiste et proeuropéen, il séduit par son enthousiasme. Echaudés par des années de malversations, les Serbes veulent croire en son intégrité.
Arrivé à Paris à l’âge de 10 ans, ce fils d’immigrés, élevé dans une petite chambre par sa mère couturière, a suivi un parcours exemplaire : lycée Louis-le-Grand, Sciences Po, HEC et MBA à Harvard. A 35 ans, il est consultant dans le prestigieux cabinet McKinsey spécialisé en stratégie industrielle. Mais il ne résiste pas à l’appel de la nouvelle équipe au pouvoir à Belgrade, dit adieu aux 4 millions de francs par an et devient ministre des finances bénévole. «J’ai vu l’opportunité de participer à quelque chose de grand», explique-t-il.
L’ambition est grande, mais les difficultés le sont aussi. Quand il prend ses fonctions: «La Serbie avait un déficit à 15% du PNB, une dette extérieure de 142% du PNB, ce qui la classait dans les deux pays les plus endettés du monde, un taux de chômage proche de 50%, un tiers de la population en dessous du seuil régional de pauvreté, une dette interne encore plus grande que la dette externe. Qui plus est un cas unique d’un pays qui en dix ans a connu deux hyperinflations et une perte de deux tiers de PNB ».
La Serbie : premier de la classe des pays en transition
Mise au ban de la communauté internationale pendant le règne de Slobodan Milosevic, la Serbie est aujourd’hui membre du FMI, de la Berd (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) et de la Banque mondiale. Surtout, la dette a été renégociée au sein du Club de Paris avec 66% d’abandon de dette. Bozidar Djelic rappelle avec fierté que selon la Berd, la Serbie a enregistré les progrès les plus importants en 2001 parmi les pays en transition. «La monnaie est devenue convertible, l’inflation maîtrisée, le système fiscal refondu, les lois de privatisation et de réforme du code du travail ont été votées», déclame Djelic.
Une aide de 1,33 milliards de dollars sur trois ans a été accordée par la conférence des bailleurs de fonds, dont la date a étrangement coïncidé avec le transfert de Slobodan Milosevic à la Haye, fin juin 2001. Mais le ministre explique qu’une «partie de l’aide est là pour que l’Occident puisse se rembourser des dettes. L’argent ne touche pas le sol, il revient dans les coffres de l’Occident. Cela dit, quelque chose comme les deux tiers de l’argent qui va venir sera sous forme de dons».
En pratique, 4,18 milliards de francs d’aide ont été accordés au pays cette année et on s’attend à 6,74 milliards de francs en 2002. «J’aurais aimé que l’aide internationale soit plus appuyée», avoue Djelic. «L’aide financière aidera les Serbes à mieux accepter, l’idée que les bombardements de 1999 étaient dirigés contre un homme et un régime et pas contre un peuple, car le résultat effectif n’est pas tout à fait cela». Selon lui, les dégâts causés par les bombardements sur les infrastructures civiles sont de l’ordre de 8 à 9 milliards de dollars. Pourtant, celui qui se surnomme par auto-dérision «mendiant de luxe» lorsqu’il va à l’étranger affiche la fierté: «très vite nous voulons être un partenaire commercial et pas un récipiendaire d’aides».
Il y a eu entre 540 et 674 millions de francs d’investissements directs en 2001. Mais seulement 2% des relations commerciales se font avec la France. Selon Djelic, «il va y avoir dans les trois années qui viennent une injection d’environ 4 milliards de dollars d’argent étranger et la privatisation de 7000 entreprises». Pour celui qui a connu la transition en Russie, en Roumanie et en Pologne, «il y a un mouvement au sein des Balkans qui peut faire que cette zone qui a été celle de toutes les catastrophes soit celle du plus fort développement économique dans les 10 années qui viennent».
Les atouts humains? «Le fait qu’il n’y ait pas un village en Serbie où il n’y a pas un contact direct avec quelqu’un qui vit à l’Ouest et donc un effet de mimétisme important; une tradition autogestionnaire qui n’a pas que du mauvais dans la mesure où les managers et les ouvriers se sentent responsables de leur usine sans tout attendre du centre; la diaspora dont plusieurs milliers de membres sont rentrés au pays», assure Djelic. Les syndicats? «Ils ont montré un degré de maturité étonnante», répond-t-il, citant le cas de l’usine automobile de Zastava, où après avoir voulu lyncher les ministres, 99% des ouvriers ont accepté la baisse de 11 800 à 3 700 employés en échange d’un programme social.
Jusqu’à présent les Serbes se sont montrés plutôt patients, même si leur niveau de vie ne s’est pas sensiblement amélioré. Le salaire moyen est de 115 euros par mois, alors qu’il faut 180 euros par mois pour couvrir les besoins élémentaires d’un ménage. Sachant qu’un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et que le taux de chômage est de près de 40%, on risque de voir le bureau de Bozidar Djelic illuminé jusqu’à 3h du matin encore longtemps.
Ecouter également:
L'interview de Bozidar Djelic par Milica Cubrilo
par Milica Cubrilo
Article publié le 02/01/2002