Attentats : la riposte
Guantanamo : Washington en accusation
Le sort réservé aux prisonniers d’Afghanistan transférés par les Etats-Unis sur leur base militaire de Guantanamo, à Cuba, fait l’objet de critiques de plus en plus vives. La position de Washington est dénoncée par les associations de défense des droits de l'homme et certains gouvernements commencent à manifester leurs craintes et leurs attentes.
La publication, dans la presse américaine et anglaise, de photos des prisonniers de Guantanamo, les pieds enchaînés, les mains menottées, les yeux bandés, à genoux dans un couloir entouré de barbelés, a provoqué de nombreuses réactions de désapprobation dans l'opinion internationale. Ces clichés qui auraient été pris par des militaires et transmis aux médias, ont renforcé l'inquiétude des associations de défense des droits de l'homme sur les conditions de détention des prisonniers de Guantanamo. L'accusation de mauvais traitement, qui avait déjà été formulée, a été de nouveau proférée à l'encontre des autorités américaines. Obligeant encore une fois, le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, à justifier la politique de son pays. Il a ainsi estimé que l'emploi de mot comme celui de «torture» était une «absurdité totale», que les allégations sur les mauvais traitements infligés aux prisonniers étaient «complètement fausses». Pour lui, les conditions de détention de ces hommes sont «correctes, humaines, appropriées». Si les installations du camp dans lequel ils sont hébergés sont «provisoires», Donald Rumsfeld estime que les prisonniers n’en bénéficient pas moins d’un confort minimum puisqu’ils auraient à leur disposition «des douches chaudes, des toilettes, de l’eau, des vêtements propres, des couvertures, des repas culturellement adaptés, des matelas pour la prière et le droit de pratiquer leur religion». Et même qu’ils peuvent recevoir des soins médicaux «bien au-delà de ce qu’ils auraient pu escompter recevoir en Afghanistan».
Rumsfeld dément
Cet argumentaire n’a pas calmé les esprits. D’autant que la question majeure, celle du statut des prisonniers, n’a pas encore été résolue. Les Etats-Unis estiment qu’ils détiennent des «combattants illégaux» et ne veulent pas leur reconnaître le statut de prisonniers de guerre, défini dans la Convention de Genève (des combattants en uniforme qui luttent au nom d’un gouvernement légitime). Ils s’abritent, pour justifier leur décision, derrière le fait qu’ils n’ont jamais reconnu la légitimité du gouvernement du Mollah Omar en Afghanistan. Les Etats-Unis considèrent aussi que ce débat juridique ne concerne que les détenus taliban. Les autres, c’est à dire les membres de l’organisation terroriste Al Qaïda, ne pouvant de toute manière pas prétendre bénéficier de l’application de la Convention de Genève.
Face à cette position de principe, l’organisation Human Rights Watch a demandé que le problème du statut des prisonniers soit examiné par des «tribunaux compétents». Pour le directeur-adjoint de cette association, Reed Brody, «les Conventions de Genève sont très claires et disent que les détenus bénéficieront de la présente convention en attendant que leur statut ait été déterminé par un tribunal compétent, pas par le secrétaire à la Défense». Amnesty International partage les mêmes inquiétudes sur le flou entretenu autour du statut des prisonniers et estime qu’il existe un véritable danger si ces derniers sont jugés par un tribunal militaire. Car ils pourraient, de ce fait, être condamnés à mort sans possibilité de faire appel.
Aux Etats-Unis même, le front de l’unanimité commence à s’effriter. Une requête, concernant la légalité de la détention des 158 prisonniers d’Afghanistan, a été déposée auprès d’un juge de Californie par un collectif de religieux, journalistes et avocats au sein duquel figure Ramsey Clark, un ancien ministre de la Justice. Le groupe demande que les prisonniers soient déférés devant un tribunal civil américain et que les chefs d’accusation soient rendus publics. Il estime que la détention de ces hommes est contraire à la constitution américaine. Une audience est prévue le 14 février pour examiner la requête.
Certains gouvernements ont aussi fait part de leurs inquiétudes sur le sort des détenus incarcérés à Guantanamo. Le Yémen a demandé Washington d’autoriser ses diplomates à se rendre auprès de ses ressortissants transférés sur la base cubaine. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fisher, a appelé les Etats-Unis à traiter les détenus comme des prisonniers de guerre, indépendamment de la définition à venir de leur statut. «Dans le combat contre le terrorisme international, nous défendons nos valeurs. Elles s’appliquent quelle que soit la personne.» Javier Solana, Haut représentant de l’Union européenne pour la politique extérieure, est du même avis. Il estime que «maintenir nos valeurs, nos principes et notre comportement est fondamental pour la bataille définitive contre le fanatisme et le terrorisme». Le ministère des Affaires étrangères français a indiqué que «quelle que soit leur nationalité et leur statut juridique», il attendait que «ces détenus bénéficient de toutes les garanties reconnues par le droit international». La Grande-Bretagne a rappelé qu’elle «s’opposerait à une éventuelle condamnation à mort» de ses ressortissants détenus et que l’application d’une telle peine «serait une façon de perdre l’autorité morale de la coalition».
Ce débat autour du statut juridique et du jugement des prisonniers risque de continuer encore quelques temps. Car la préoccupation immédiate des Américains semble être d’obtenir des détenus le maximum d’informations pour poursuivre leur œuvre de destruction du réseau terroriste Al Qaïda. Mais aussi éviter toute nouvelle tentative d’attentat sur leur sol ou contre leurs intérêts dans le monde. Donald Rumsfeld a été très clair sur ce point en affirmant que pour l’instant, «le renseignement primait sur l’administration rapide de la justice».
Ecoutez également :
Denis Robillard, président de la section française d'Amnesty International. Au micro de Franck Weil-Rabaud, 23/01/2002, 1'05".
Reed Brody, directeur adjoint de Human Rights Watch. Il revient sur le traitement des prisonniers afghans détenus sur la base de Guantanamo Bay à Cuba.
(L'Invité du matin, Arnaud Ponthus, 17/01/2002, 6'50")
Rumsfeld dément
Cet argumentaire n’a pas calmé les esprits. D’autant que la question majeure, celle du statut des prisonniers, n’a pas encore été résolue. Les Etats-Unis estiment qu’ils détiennent des «combattants illégaux» et ne veulent pas leur reconnaître le statut de prisonniers de guerre, défini dans la Convention de Genève (des combattants en uniforme qui luttent au nom d’un gouvernement légitime). Ils s’abritent, pour justifier leur décision, derrière le fait qu’ils n’ont jamais reconnu la légitimité du gouvernement du Mollah Omar en Afghanistan. Les Etats-Unis considèrent aussi que ce débat juridique ne concerne que les détenus taliban. Les autres, c’est à dire les membres de l’organisation terroriste Al Qaïda, ne pouvant de toute manière pas prétendre bénéficier de l’application de la Convention de Genève.
Face à cette position de principe, l’organisation Human Rights Watch a demandé que le problème du statut des prisonniers soit examiné par des «tribunaux compétents». Pour le directeur-adjoint de cette association, Reed Brody, «les Conventions de Genève sont très claires et disent que les détenus bénéficieront de la présente convention en attendant que leur statut ait été déterminé par un tribunal compétent, pas par le secrétaire à la Défense». Amnesty International partage les mêmes inquiétudes sur le flou entretenu autour du statut des prisonniers et estime qu’il existe un véritable danger si ces derniers sont jugés par un tribunal militaire. Car ils pourraient, de ce fait, être condamnés à mort sans possibilité de faire appel.
Aux Etats-Unis même, le front de l’unanimité commence à s’effriter. Une requête, concernant la légalité de la détention des 158 prisonniers d’Afghanistan, a été déposée auprès d’un juge de Californie par un collectif de religieux, journalistes et avocats au sein duquel figure Ramsey Clark, un ancien ministre de la Justice. Le groupe demande que les prisonniers soient déférés devant un tribunal civil américain et que les chefs d’accusation soient rendus publics. Il estime que la détention de ces hommes est contraire à la constitution américaine. Une audience est prévue le 14 février pour examiner la requête.
Certains gouvernements ont aussi fait part de leurs inquiétudes sur le sort des détenus incarcérés à Guantanamo. Le Yémen a demandé Washington d’autoriser ses diplomates à se rendre auprès de ses ressortissants transférés sur la base cubaine. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fisher, a appelé les Etats-Unis à traiter les détenus comme des prisonniers de guerre, indépendamment de la définition à venir de leur statut. «Dans le combat contre le terrorisme international, nous défendons nos valeurs. Elles s’appliquent quelle que soit la personne.» Javier Solana, Haut représentant de l’Union européenne pour la politique extérieure, est du même avis. Il estime que «maintenir nos valeurs, nos principes et notre comportement est fondamental pour la bataille définitive contre le fanatisme et le terrorisme». Le ministère des Affaires étrangères français a indiqué que «quelle que soit leur nationalité et leur statut juridique», il attendait que «ces détenus bénéficient de toutes les garanties reconnues par le droit international». La Grande-Bretagne a rappelé qu’elle «s’opposerait à une éventuelle condamnation à mort» de ses ressortissants détenus et que l’application d’une telle peine «serait une façon de perdre l’autorité morale de la coalition».
Ce débat autour du statut juridique et du jugement des prisonniers risque de continuer encore quelques temps. Car la préoccupation immédiate des Américains semble être d’obtenir des détenus le maximum d’informations pour poursuivre leur œuvre de destruction du réseau terroriste Al Qaïda. Mais aussi éviter toute nouvelle tentative d’attentat sur leur sol ou contre leurs intérêts dans le monde. Donald Rumsfeld a été très clair sur ce point en affirmant que pour l’instant, «le renseignement primait sur l’administration rapide de la justice».
Ecoutez également :
Denis Robillard, président de la section française d'Amnesty International. Au micro de Franck Weil-Rabaud, 23/01/2002, 1'05".
Reed Brody, directeur adjoint de Human Rights Watch. Il revient sur le traitement des prisonniers afghans détenus sur la base de Guantanamo Bay à Cuba.
(L'Invité du matin, Arnaud Ponthus, 17/01/2002, 6'50")
par Valérie Gas
Article publié le 23/01/2002