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Liban

Le témoin-clé de Sabra et Chatila disparaît

Tué jeudi matin dans l’explosion d’une voiture piégée, l’ancien chef de guerre, ministre et député chrétien Élie Hobeika est mort dans la violence comme il a toujours vécu. Un des témoins-clés du massacre de Sabra et Chatila vient de disparaître.
De notre correspondant à Beyrouth

L’assassinat de Élie Hobeika a plongé le Liban dans un état de choc. Ce n’est pas que le personnage controversé, au lourd passé, fasse l’unanimité parmi les Libanais. C’est que ce type d’attentat à la voiture piégée contre des hommes politiques ramène à la mémoire les tristes souvenirs d’une guerre civile que l’on croyait à jamais oubliée. Ensuite, ce meurtre intervient dans un contexte bien particulier. En effet, vingt-quatre heures avant sa mort, Élie Hobeika avait rencontré les membres d’une délégation de sénateurs belges venus recueillir des témoignages dans le cadre de la plainte déposée contre le Premier ministre israélien Ariel Sharon par des rescapés des massacres de Sabra et Chatila, commis en 1982.

L’enquête sur l’attentat contre Hobeika n’en est qu’à ses débuts. Mais on peut d’ores et déjà assurer qu’il a été préparé et exécuté par des professionnels qui surveillaient l’ancien ministre depuis assez longtemps.

Hobeika était un spécialiste du renseignement. Formé en Israël au début de la guerre civile libanaise, il a longtemps dirigé les services de renseignements de la milice chrétienne des Forces libanaises. Son nom a été cité dans des rapports officiels israéliens comme étant directement responsables des massacres de Sabra et Chatila, accusation qu’il a nié jusqu’au bout. C’est en 1984 que Hobeika opère le plus important changement dans sa vie politique. Il entame une relation avec la Syrie qui se terminera par son expulsion et son éviction des régions chrétiennes, en 1985. L’accord tripartite signé avec les milices musulmanes sous l’égide de Damas est mort-né.

Après une longue traversée du désert qui le mènera à Paris, à Damas, et dans la Bekaa libanaise, Hobeika cueillera enfin les fruits de ses convictions politiques avec l’accord de Taëf qui met fin à la guerre civile libanaise. Il est nommé ministre avant d’être élu député pour deux mandats consécutifs.

Hobeika se sentait menacé

Son échec aux élections de l’an 2000 n’est que le début de ses ennuis. La plainte déposée en Belgique par les rescapés de Sabra et Chatila risque d’ouvrir un des dossiers les plus compromettants pour Hobeika. Mais à la surprise générale, l’ancien ministre contre-attaque en réaffirmant son innocence ainsi que celle de la milice chrétienne qu’il dirigeait. Il affirme être en possession de documents écrits, de vidéocassettes et d’enregistrements sonores prouvant «sans l’ombre d’un doute» l’implication d’Ariel Sharon, à l’époque ministre de la Défense d’Israël, dans le massacre de réfugiés palestiniens. Il se dit prêt à témoigner devant la justice.

Vingt-quatre heures avant son assassinat, Hobeika reçoit à Beyrouth, pendant trois heures les membres de la délégation belge. Il aurait montré à ses interlocuteurs certaines pièces à conviction et aurait affirmé en posséder d’autres. Il a réitéré sa volonté à témoigner au procès en Belgique. Hobeika «se sentait menacé», a affirmé le chef de la délégation belge après son assassinat. Menacé, peut-être, cela ne l’a pas pour autant obligé à changer ses habitudes. Comme tous les jeudis matins, il allait pratiquer sa passion favorite, la plongée sous-marine. Homme méfiant de nature, il prenait beaucoup de précautions. Il se déplaçait toujours avec quatre gardes du corps, n’empruntait jamais le même trajet et ne se séparait pas un instant de son gilet pare-balles. Mais cela ne fut pas suffisant pour le sauver. Il est mort en emportant ses lourds secrets.




par Paul  Khalifeh

Article publié le 25/01/2002