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Balkans

La ville natale de Milosevic n’arrive pas à tourner la page

Le procès de Slobodan Milosevic à La Haye ne suscite guère de passions en Serbie, sauf à Pozarevac, la ville natale et le fief de l’ancien maître de Belgrade et de sa famille. Reportage.
De notre correspondant dans les Balkans

Le tour des principales curiosités de Pozarevac est vite fait: il y a tout d’abord l’ancienne maison des Milosevic, protégée par de grands murs blancs. La demeure est abandonnée depuis la révolution du 5 octobre 2000. La sonnette de la grande porte d’entrée résonne dans le vide, et seule une voisine entrouvre furtivement un rideau pour jeter un coup d’œil sur les visiteurs.

Dans un faubourg de la ville, les installations du parc d’attraction pour enfants Bambiland, construit par Marko Milosevic, le fils de l’ancien maître de Belgrade, achèvent de rouiller. Bambiland avait été inauguré durant les bombardements de l’Otan, mais avait dû fermer ses portes moins d’un an plus tard. Ce modeste complexe qui se dresse sur un terrain vague à la sortie de la ville est aujourd’hui abandonné. Un quartier pavillonnaire moderne borde le parc. «C’était un quartier modèle qui était destiné aux policiers et aux militaires», explique Marko, un jeune militant local du Parti démocratique. «Faute d’argent, il n’a jamais été terminé, mais les occupants des maisons ne doivent sûrement rien payer».

Beaucoup plus imposante, la discothèque Madonna, qui appartenait aussi à Marko Milosevic, est également laissé à l’abandon. «Certains soirs, il y avait jusqu’à 4000 ou 5000 personnes qui venaient faire la fête. On entendait la musique dans tout le quartier. Les criminels de toute la Serbie s’y donnaient rendez-vous», explique un voisin, visiblement satisfait du calme revenu. Les murs de l’immense édifice au style indiscernable sont recouverts de fresques. L’une proclame: «stop the violence».

«Ici, tout le monde continue d’avoir peur»

Pozarevac, ville natale de Slobodan et de son épouse Mira Markovic était le fief du clan Milosevic. «Il contrôlait tout, de la vie politique au trafic de drogue», rappelle Marko, qui regrette que personne n’essaie d’enquêter sur les multiples réseaux du clan Milosevic. «Ici, tout le monde continue d’avoir peur. La peur est devenue pour nous un mode de vie». Mais peur de quoi? L’ombre des Milosevic s’est un peu éloignée de la ville, même si les réseaux criminels liés à Marko Milosevic, qui s’est lui-même enfui vers la Russie et résiderait désormais en Azerbaïdjan, continuent d’être présents en ville. «Des centaines de gens ordinaires travaillaient aussi pour les Milosevic. Ils se taisent et essaient de se faire oublier», explique Marko. Les partisans de l’ancien président disposent toujours pourtant de la moitié des sièges au conseil municipal. «Rien n’a changé. Les partis politiques de la nouvelle majorité et les cadres de l’ancien régime se sont entendus pour se partager la gestion de l’exécutif municipal. Du coup, tous les dossiers gênants sont enterrés, et la ville est condamnée à l’immobilisme».

Les habitants de Pozarevac suivent le procès de La Haye avec plus d’attention que le reste de la population serbe, et de plus en plus de gens s’avouent humainement solidaires de Milosevic, qui est tout de même le fils le plus célèbre de Pozarevac. Dans un café du centre-ville, les rares consommateurs ne se retournent vers le poste de télévision qui diffuse en direct le procès de La Haye que lorsque Slobodan Milosevic prend pour la première fois la parole, mercredi après-midi. «Qu’il a l’air triste et fatigué», soupire une serveuse. Seuls les vieux opposants de longue date affichent leur indifférence. Au siège du Parti démocratique, quelques militants expliquent: «nous avons combattu Milosevic durant des années, maintenant nous voulons l’oublier, mais il aurait mieux valu qu’il soit jugé d’abord en Yougoslavie puis à La Haye».

Depuis la révolution du 5 octobre 2000, rien n’a vraiment changé à Pozarevac, conclut Marko, sauf que l’on y vit encore plus mal. Les Milosevic amenaient au moins un peu d’argent à Pozarevac.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 14/02/2002