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Balkans

Surdulica, le sanatorium martyr

Le procès de Slobodan Milosevic entre cette semaine dans le vif du dossier Kosovo avec la présentation par l’accusation des premiers témoins qui devraient évoquer la responsabilité de l’ancien président yougoslave dans ce conflit. Vendredi dernier l’ancien maître de Belgrade a vivement critiqué l’OTAN, annonçant son intention de faire convoquer à la barre un grand nombre de leaders occidentaux, parmi lesquels Bill Clinton ou Jacques Chirac. Et dans la liste des crimes qu’il impute à l’Alliance, figure le bombardement du sanatorium de Surdulica, une petite ville du sud de la Serbie, le 31 mai 1999. Reportage de Jean-Arnault Dérens, notre correspondant dans la région.
Le sanatorium se dresse sur une colline surplombant la ville de Surdulica, au milieu d’un petit bois de pins. Construit en 1922, c’est le premier établissement de ce type établi dans les Balkans. «La tuberculose n’a jamais quitté la Serbie, et elle particulièrement virulente dans les périodes d’après-guerre. C’est une maladie de la misère qui se développe à la faveur des mouvements de population, sur les routes de l’exil et dans les camps de réfugiés», explique le docteur Snezana Mitic. «Mais nous affrontons une forme spécifique de tuberculose, qui est résistante à tous les traitements connus et qui pourrait même se révéler dangereuse pour toute l’Europe».

Le 31 mars au soir, une bombe frappe l’un des deux pavillons du sanatorium, où se trouvaient une soixantaine de personnes, des patients atteints de tuberculose et des réfugiés de Croatie, installés à Surdulica depuis 1995. Le directeur de l’établissement, Zvonimir Stamenkovic, se souvient : «j’ai joué un moment au basket-ball avec deux adolescent réfugiés, puis je suis rentré dans le pavillon central pour effectuer une intervention urgente sur un patient. Peu après minuit, la bombe est tombée. J’ai vu les corps déchiquetés de deux adolescents». Bilan de l’attaque : au moins vingt morts, car tous les restes humains n’ont pas pu être identifiés.

Dans l’autre pavillon, un patient a été tué par le souffle de l’explosion dans la salle réservée aux asthmatiques graves. Dans cette même pièce, aux murs branlants et aux placards éventrés, quatre à cinq patients, tous réfugiés du Kosovo, regardent à la télévision la longue péroraison de l’ancien maître de Belgrade. Personne ne veut émettre le moindre commentaire.

«scandale moral»

Pour le docteur Stamenkovic, les bombardements et même le procès de Slobodan Milosevic appartiennent à l’histoire qui, seule, pourra juger. «Le sanatorium n’a jamais abrité de base de l’armée, il était indiqué comme établissement médical dans toutes les cartes de la région depuis des décennies : rien ne peut permettre d’expliquer l’attaque, mais cela ne sert à rien d’accuser l’OTAN. La barbarie que nous avons vécue est tout simplement un scandale moral à la fin du XXe siècle».

Surdulica est l’un des derniers bastions du Parti socialiste de Serbie (SPS), la formation de Slobodan Milosevic. Près d’un quart de la population de cette petite ville de 20 000 habitants est d’origine rom, et des centaines de réfugiés serbes et roms du Kosovo se sont installés à Surdulica. «Après la victoire de l’opposition démocratique à Belgrade, les élus SPS de Surdulica ont voulu démissionner, en expliquant que leur commune était trop pauvre pour s’offrir le luxe d’être dans l’opposition», explique Milo Petrovic, responsable d’une organisation humanitaire.

Le directeur du sanatorium refuse de répondre aux questions politiques. «Notre seul devoir est de combattre la tuberculose, mais qui pourra nous aider ? La Serbie ne produit aucun des médicaments qui nous sont nécessaires, et le seul bâtiment utilisable tombe en ruines. Les canalisations sont rompues et nous n’avons même pas l’eau courante».

Dans le parc de sanatorium, il rappelle que 232 pins ont été brûlés par le souffle de l’explosion, ajoutant : «je préfère le rappeler pour ne pas évoquer les êtres humains qui ont été tués. Le peuple serbe a dû gravir de nombreux Golgotha au cours de son histoire. Milosevic a commis des crimes évidents, mais je préfère oublier ce passé pour me consacrer à mon combat : la tuberculose est une vieille dame aux habits neufs qui nous menace tous».



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 17/02/2002