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Balkans

Le procès Milosevic ravive les plaies de Mitrovica

La ville de Mitrovica est la seule du Kosovo où les Serbes vivent encore en nombre. Dans cette cité divisée entre des quartiers serbes et des quartiers albanais, le retransmission télévisée du procès est très commentée.
De notre correspondant dans les Balkans

Dans les cafés de la partie serbe de Mitrovica, le silence s’installe dès que débutent les retransmissions du procès Milosevic. «Voilà encore le singe qui va parler», s’exclame seulement une jeune serveuse, lorsque le premier témoin de l’accusation, l’ancien dirigeant communiste albanais Mahmut Bakalli, prend la parole.

Unanimement, les auditeurs apprécient la prestation de l’ancien maître de Belgrade, pour lequel les Serbes du Kosovo ont presque tous voté comme un seul homme durant des années. «Milosevic rétablit enfin la vérité, après tous les mensonges de l’OTAN. Il parle en notre nom à tous», confirme un téléspectateur d’une cinquantaine d’années. Mardi matin, le quotidien Nacional a publié une enquête qui confirmerait que pour la majorité des Serbes, Slobodan Milosevic défend la Serbie toute entière et non pas ses seuls intérêts personnels.

L’ambiance est pourtant bien différente dans le quartier de Mikro Naselje, accroché sur les pentes de la colline qui domine la ville de Mitrovica. Mikro Naselje représente une enclave multiethnique dans la partie serbe de Mitrovica. Ici, vivent toujours 1100 personnes, pour moitié albanaises et pour moitié serbes. Les chefs des deux communautés, le Serbe Nebojsa Maric et l’Albanais Zeqir Rushiti ont réussi à préserver ce minuscule îlot de coexistence.

«Nous évitons de parler du procès avec nos voisins albanais»

Nebojsa Maric dirige la boulangerie du quartier, où travaillent trois employés, un Serbe, un Albanais et un Bosniaque: «c’est la seule entreprise multiethnique du Kosovo», prétend-il fièrement. Ici aussi, la télévision est branchée en permanence sur le procès de La Haye. «Certains Serbes pensent que Milosevic doit répondre de ses crimes, d’autres qu’il n’est pas le seul coupable, et que les dirigeants de l’OTAN devraient aussi rendre compte de leurs actes», explique Nebojsa. «Mais nous évitons de parler du procès avec nos voisins albanais: la vie commune constitue notre avenir obligatoire, et la politique nous a trop longtemps divisée».

Le contre-interrogatoire serré auquel Slobodan Milosevic a soumis Mahmut Bakalli a déconcerté plusieurs Albanais: «comment peut-on laisser parler Milosevic ainsi? C’est lui, le criminel, qui se transforme en accusateur», s’indigne Skendër, un jeune homme d’une vingtaine d’années. L’ancien Président yougoslave a sévèrement réfuté l’usage du terme «d’apartheid», utilisé par Mahmut Bakalli pour qualifier la situation dans laquelle ont vécu les Albanais du Kosovo à partir de 1981.

Quelques hommes se regroupent sur la place boueuse du quartier pour partir vers les zones albanaises du sud de la ville. Deux fois par jour, les militaires français de la KFOR organisent des convois sévèrement protégés pour acheminer les Albanais de Mikro Naselje vers Mitrovica sud. «L’apartheid? Mais oui», s’exclame Gazmend, qui se présente comme un commerçant, et survit d’un petit commerce de produits alimentaires entre les deux parties de la ville. «Je me sentirais libre lorsque je pourrais me promener dans ma ville natale sans qu’il y ait des barbelés à tous les coins de rue et des soldats étrangers pour assurer ma protection».

Les Serbes du Kosovo sont des prisonniers parqués dans des enclaves, les Albanais qui vivent au nord de Mitrovica sont eux-mêmes enclavés dans les zones serbes, mais à l’échelle du quartier de Mikro Naselje, la vie commune semble pourtant possible. «Si le procès de Milosevic doit raviver les anciennes blessures, il sera contre-productif», estime Nebojsa Maric. «Nos deux communautés doivent obligatoirement réussir à tourner la page du passé».



par A Belgrade, Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 19/02/2002