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Tunisie

Mouada en liberté surveillée, Hammami en prison

La libération conditionnelle de l’opposant politique Mohamed Mouada montre bien la difficile tolérance dont bénéficient tous les mouvements politiques en Tunisie. Le pouvoir a durci les réglementations en matière de liberté d’expression et d’association rendant très difficile l’exercice libre d’une opposition politique en Tunisie.
Mohamed Mouada est un opposant politique très gênant en Tunisie. Ancien allié du pouvoir du président Zine El Abidine Ben Ali, il a rapidement pris ses distances en plaçant son parti, le Mouvement des démocrates socialistes, dans une opposition résolue. Il s’était dit dupé par les apparentes bonnes intentions affichées par le président Ben Ali dès son arrivée au pouvoir en 1987. Mais les garanties qu’il avait annoncées ont été mises à mal par des décrets gouvernementaux et des textes législatifs, qui permettent à l’Etat de poursuivre «tout Tunisien qui établit de façon délibérée des relations avec des agents de n’importe quel Etat étranger ou d’une instance étrangère ou internationale, pour exposer ou diffuser des informations qui portent préjudice aux intérêts vitaux de la Tunisie». Ces dispositions contestées par les organisations de défense des droits de l’homme et les partis politiques n’ont rien changé aux lois qui ont, au contraire offert un cadre légal à la répression.

Le Mouvement des démocrates socialistes, entre alignement forcé et opposition critique, s’est scindé en plusieurs courants, au milieu des années 90, avant que le pouvoir tunisien ne parachute à sa tête une direction complaisante. Son président Mohamed Mouada, contesté par une partie des militants, a été accusé «d’intelligence avec l’étranger» et condamné pour la première fois en février 1996 à onze ans de prison. Mais au mois de décembre de la même année, il bénéficiait d’une remise de peine sous conditions. Cette libération conditionnelle ne l’avait pas empêché de se présenter aux élections présidentielles de 1999 contre le président Ben Ali, candidat à sa propre succession. Ce politicien sexagénaire, qui voulait faire entendre sa différence, multipliait les actions politiques à la recherche d’un front uni de défense des libertés publiques. Il n’hésita pas en 2001 à s’allier avec le chef d’un parti islamiste interdit, Rached Ghanouci, pour publiquement s’opposer à la nouvelle candidature du président Ben Ali, aux élections de 2004.

L'arrestation chaotique de Hamma Hammani

Mais en juin 2001, la libération conditionnelle de Mohamed Mouada a été annulée. Renvoyé en prison, il n’a pas moins poursuivi ses actions politiques en recherchant des alliances tous azimuts. Il s’est fait défenseur des organisations de défense des droits de l’homme, dont en particulier la Ligue tunisienne des droits de l’homme, qui a maille à partir avec les autorités politiques et judiciaires du pays. Cette stratégie adoptée par Mohamed Mouada a donné un écho international à ses revendications et suscité l’intervention de personnalités étrangères qui ont su à leur tour alerter l’opinion internationale. Danielle Mitterrand, épouse de l’ancien chef d’Etat français et présidente de la fondation France libertés, écrivait après une visite en Tunisie, en août 2001, «Quelle détermination du pouvoir tunisien dans son entreprise de dévastation de la société civile!».

Après avoir mis la question des libertés individuelles et politiques en Tunisie sous le feu des projecteurs des organisations internationales, de nombreux hommes politiques et même des syndicalistes emprisonnés ont entamé des grèves de la faim pour obtenir du gouvernement tunisien quelques allègements de sa politique répressive et de contrôle des libertés d’expression. Mohamed Mouada en engageant une grève de la faim le 14 janvier 2002, réclamait aussi une totale remise de sa peine de prison. Il avait été emprisonné à nouveau pour purger le reliquat des onze années de prison auxquelles il avait été condamnées. Très affaibli, il avait bénéficié d’une grande mobilisation internationale qui a finalement porté ses fruits. Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme avait demandé l’intervention de l’Union européenne, un groupe de quatre députés français en mission à Tunis, ont également demandé la libération de l’opposant dont l’état de santé était devenu très critique.

Le 31 janvier, dès sa libération Mohamed Mouada rassure ses sympathisants en déclarant qu’il continuera d’œuvrer pour l’instauration «d’un régime démocratique en Tunisie». Mais il reste, en principe, interdit d’activité politique.

Un autre opposant politique Hamma Hammami n’a pas connu cet élargissement de la justice tunisienne. Porte-parole du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), non reconnu, il avait été condamné en 1999 par contumace à neuf ans de prison ferme, et vivait depuis en clandestinité. Les manifestations de solidarité en sa faveur ont été récemment interdites par la police tunisienne. L’accès aux locaux de la Ligue tunisienne des droits de l’homme a même été interdit aux militants qui devaient y tenir une réunion de soutien, le vendredi 24 janvier.

Samedi matin, cet opposant tunisien a quitté la clandestinité pour se présenter devant la justice, mais il a été aussitôt évacué manu militari de la salle d'audience, avant même le début de son procès, par des policiers en uniforme. Ses avocats ont aussitôt dénoncé ce "enlèvement" et quitté la salle en bloc, après une longue attente dans une ambiance chaotique.

Quelques heures plus tard Hamma Hammami et deux de ses camarades, Abdeljabar Madouri et Samir Taamallah ont été définitivement condamnés à purger leur peine, et emprisonnés, par un tribunal présidé par le magistrat Mustapha Kaabachi, en l'absence de leurs avocats. Taamallah a été pour sa part condamné à deux années supplémentaires de prison pour "outrage à magistrat".



par Didier  Samson

Article publié le 03/02/2002