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Afghanistan

Karzaï : un président en quête d’autorité

Alors que le chef du gouvernement intérimaire en Afghanistan poursuit son tour des grandes capitales en venant à Paris, la situation intérieure du pays n'est toujours pas stabilisée. La sécurité reste un problème majeur, les relations entre factions politiques demeurent conflictuelles et la situation humanitaire se dégrade.
Hamid Karzaï qui a pris la tête du gouvernement intérimaire mis en place en Afghanistan à la suite de la chute du régime taliban et de la Conférence de Bonn, en décembre, a engagé depuis plusieurs semaines une opération à destination des principales puissances occidentales (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Japon, France) mais aussi des voisins incontournables de son pays (Pakistan, Iran, Inde). Sa tournée internationale vise à plaider la cause de l’Afghanistan et à s’assurer du soutien des Etats visités dans la reconstruction de son pays dévasté par vingt ans de guerre.

A Tokyo, au mois de janvier, les pays donateurs ont promis à l’Afghanistan une aide de 4,5 milliards de dollars étalée sur cinq ans. Une petite partie des ces fonds a déjà été «dépensée», comme l’a indiqué le ministre des Finances afghan, Hadayat Hamin Arsala. Et depuis, certains pays ont même décidé de rallonger les crédits. Le Pakistan a ainsi débloqué 10 millions de dollars, en plus des 100 millions promis à Tokyo, pour aider l’Afghanistan à faire face à ses problèmes les plus urgents. L’Inde a octroyé la même somme à la suite du passage d’Hamid Karzaï, le 27 février, pour «une utilisation immédiate par le gouvernement afghan». La Commission européenne, qui s’est engagée à hauteur de 200 millions d’euros à Tokyo, a approuvé fin février la première tranche de financement d’un programme de reconstruction, d’un montant de 57,5 millions d’euros, qui doivent permettre de soutenir la mise en place du gouvernement intérimaire et de satisfaire les besoins les plus «urgents».

Drame humanitaire et luttes ethniques

L’Afghanistan est un pays exsangue dans lequel la situation humanitaire est très préoccupante. Les populations sont menacées par une crise alimentaire sévère, parfois proche de la famine, à cause de la faiblesse des récoltes et par la recrudescence des maladies comme les infections respiratoires qui sont en forte augmentation. Le nord du pays est la région la plus touchée. Pour le directeur exécutif de Médecins sans frontières, Christopher Stokes, tous les donateurs n’ont pas encore tenu leurs engagements et les ressources sont insuffisantes pour prendre en charge l’ensemble des besoins. «Dans le nord du pays, un nouveau désastre se prépare et ne pourra être évité que par une action immédiate et sans entrave».

Mais toutes les interventions sont rendues plus difficiles par l’instabilité politique et l’absence de sécurité qui caractérisent encore le pays. Dans la région de Mazar-e-Sharif notamment, des affrontements entre factions rivales ont eu lieu ces derniers temps. Ils ont opposé les partisans ouzbèkes de Rachid Dostom, vice-ministre de la Défense, aux Tadjiks fidèles à Mohammad Fahim, le ministre des Affaires étrangères. Près de 20 000 personnes d’origine pachtoune, minoritaire dans le Nord, victimes de persécutions ethniques, ont été obligées de fuir cette région. Les forces occidentales présentes en Afghanistan ont aussi été l’objet d'attaques. La base américaine sur l’aéroport de Kandahar a essuyé des tirs de roquettes. Une patrouille britannique a été mitraillée dans les rues de Kaboul.

Le meurtre du ministre de l’Aviation, le 14 février, a encore ajouté un élément d'instabilité politique et a montré la fragilité du régime en place en Afghanistan, fruit d'une coalition hétérogène réalisée sous la pression des Occidentaux. Abdul Rahman, un Pachtoune rallié aux royalistes, n'a semble-t-il pas été tué par des pèlerins en colère bloqués sur l'aéroport de Kaboul dans l'attente d'un avion pour La Mecque. Il aurait été victime d'un véritable «assassinat» perpétré par des hauts responsables du gouvernement proches des partisans du défunt commandant Massoud, les Panchiris (Tadjiks), dans le cadre d’un complot. C'est en tout cas ce que Hamid Karzaï, qui est lui d'origine pachtoune, a annoncé le lendemain du meurtre. Cet événement est révélateur du fait que les luttes intestines au sein du gouvernement intérimaire sont loin d'être interrompues. Si Hamid Karzaï a réussi à devenir en deux mois le véritable porte-parole de son pays sur la scène internationale, il a, en effet, plus de mal à installer son pouvoir en Afghanistan et à s'imposer face aux leaders de l'Alliance du Nord qui ont obtenu trois ministères clefs (Défense, Intérieur, Affaires étrangères), disposent d'assises locales et de forces armées. Les dangers de la situation politique dans ce pays ont d'ailleurs, d’après le New York Times, fait l’objet d’un rapport de la CIA qui a pointé les risques de «guerre civile» dus à la persistance des luttes de pouvoir entre les chefs de guerre et à la faiblesse des institutions nationales.

Dans ce contexte, Hamid Karzaï a plusieurs fois plaidé pour une extension et une prolongation du mandat de la Force internationale d’assistance à la sécurité (Isaf) qui prévoit 4700 soldats déployés jusqu’au mois de juin dans la région de Kaboul. Le chef du gouvernement intérimaire, qui a par ailleurs affirmé lors de son passage à Téhéran que «dès le retour au calme, les forces étrangères de maintien de la paix partiront», estime qu’il faudrait 30 000 hommes envoyés dans tout le pays et non plus seulement dans la capitale. En attendant qu’une armée et une police afghanes formées et équipées puissent assurer elles-mêmes la sécurité dans le pays. Ce qui pourrait prendre au moins 18 mois.



par Valérie  Gas

Article publié le 28/02/2002