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Comores

Vivendi abandonne l’archipel

Après un ultime bras de fer engagé contre ses partenaires locaux, la multinationale a dû plier bagage en décembre dernier. L'Etat comorien lui doit près de 10 millions de francs. La Société Comorienne des Hydrocarbures lui réclame 2 millions de francs. Vivendi opte pour une solution négociée dès que la situation politique se sera rétablie dans le pays.
Vivendi n'opérera donc plus aux Comores. Après quatre années d'existence, la CEE -nom de sa filiale sur place- n'a semble-t-il occasionné que des déceptions auprès de sa clientèle. Dans les principales villes des trois îles indépendantes, le délestage est devenu monnaie courante. L'éclairage public a été réduit à sa plus simple expression. Dans l'arrière-pays, de longues périodes sans électricité se sont succédé. Les habitudes alimentaires ont pratiquement changé, à cause des coupures intempestives. Une situation que les usagers pensaient révolue, après la privatisation de l'EEDC, la compagnie nationale d'électricité. Une situation qui explique en partie le départ précipité de Vivendi (rapatriement en catastrophe de ses employés expatriés avant les fêtes de Noël).

Mais d'abord un peu d'histoire. Suite à un programme de privatisation des entreprises publiques initié par les bailleurs de fonds internationaux au milieu des années 90, l'Etat comorien accepte de se séparer de la compagnie nationale d'eau et d'électricité, afin de lui éviter une faillite irrémédiable. Mauvaise gestion et dysfonctionnement du système de distribution en sont les principales causes. Certains hommes politiques, tel le président Taki Abdulkarim, ont le sentiment de "brader" ainsi une partie de l'économie nationale. Mais sous la pression notamment de la Banque Mondiale, la Générale des Eaux (future Vivendi) finira par emporter le marché. C'est ainsi que naîtra en juin 1997 la comorienne de l'Eau et de l'Electricité (CEE).

En signant un contrat d'affermage avec l'Etat comorien, qui demeure propriétaire des installations, Vivendi s'engage à remettre sur pied le réseau national de distribution de l'eau et de l'électricité, devenu à moitié vétuste. L'AFD (Agence Française de Développement) apporte de son côté «la dot de la mariée» : 60 millions de francs, destinés à la réhabilitation des installations existantes, ainsi qu'à l'exploitation, supposée déficitaire, des trois premières années. D'autres bonnes volontés se présenteront. La Banque Européenne pour l'Industrialisation financera un groupe de 1 600 Kva (à hauteur de 6,6 millions de francs). L'Etat du Koweït fera don de quatre nouveaux groupes d'une valeur de 6 millions de francs. L'Emirat de Shardjah offrira 5 millions de francs pour réparer les groupes de la principale centrale, à Voidjou sur l'île de la Grande Comore. La CEE bénéficie pour la seule année 97 d'un apport de près de 77,6 millions de francs selon Luc Facceti Ben Saïd Mohamed Cheik (Consultant indépendant). Ce qui lui permet de démarrer «théoriquement» sous les meilleurs auspices.

«Vivendi a pris la mariée et touché la dot sans rien donner en retour»

Sa clientèle augmente: le réseau passe entre 1997 et 1998 de 18000 à 24000 abonnés. A Anjouan, malgré la crise séparatiste, la CEE tente de relancer les installations hydroélectriques : il en existait trois au total, susceptibles de remarcher. Notons au passage que la production électrique aux Comores fonctionne essentiellement sur la base de centrales thermiques alimentée par du gasoil. Cette diversification des sources d'énergie devait donc permettre de diminuer les achats de carburant à la compagnie nationale des hydrocarbures, qui revenaient trop chers. Les prix prohibitifs ayant forcément une incidence sur le prix du KWh.

Racontée de cette manière-là, l'aventure de Vivendi sous le ciel comorien pouvait plaire ou susciter l'envie. Mais dès 1998, les données ont changé. plusieurs «incidents» sont venus ternir l'image de la multinationale sur place. Un premier concerne une augmentation des tarifs : les abonnés n'avaient pas été prévenus au préalable. Un deuxième problème survient avec la réduction de l'éclairage public.

Sur les tarifs, Vivendi, qui, selon les usagers, se montrait «ingrate» envers l'Etat comorien, est revenu sur sa mesure. La compagnie a quand même rappelé qu'elle subissait des pertes sèches à cause des resquilleurs, branchés sur le réseau sans payer. Concernant l'éclairage public, elle a fait valoir le fait qu'il appartenait à l'Etat et aux collectivités locales de prendre en charge ce secteur. Malgré tout le remue-ménage qui a suivi, la CEE a continué d'exercer. Avec un bilan annuel peu encourageant à chaque fois. La filiale Vivendi connaîtra un déficit de 5 millions de francs en 1998, de 3 millions de francs en 99 et de 17 millions de francs en 2000, selon les autorités comoriennes.

L'opinion par ailleurs n'a cessé depuis 1998 d'exprimer son désaveu à la société, parfois violemment. Pourquoi ? «Parce que les gens avaient l'impression, raconte un ex-agent de l'EEDC, de s'être fait avoir. Pour tout le monde, Vivendi avait pris la mariée, touché la dot, sans rien donner en retour. Les particuliers veulent bien payer leur facture régulièrement mais n'ont pas d'électricité chez eux, ni à l'extérieur. On avait fini par regretter l'époque de la compagnie nationale». Les rapports se sont durcis au fur et à mesure entre la CEE et la population. Quelques manifestations ont eu lieu. Elles ont été durement réprimées par la force publique. Et l'opinion s'est mis à critiquer le régime d'Azali, qui a dû très vite trouver une parade de sortie.

Le premier ministre, H. M. Boléro, a alors pris le parti des usagers mais avoua à l'opinion qu'il ne savait pas comment dégager l'Etat Comorien du contrat qui le liait à la multinationale. En novembre, un incident majeur survient. Vivendi fait appel au gouvernement pour lutter contre la fraude (branchements sauvages sur le réseau), demande à revoir ses relations avec la SHC (les hydrocarbures nationales qui lui revendent le gasoil à un prix prohibitif) et surtout exige que la dette de l'Etat vis à vis de la société (près de 10 millions de FF selon Vivendi France) soit réglée sous une quarantaine de jours. Autrement, la multinationale allait se désengager. Le gouvernement répond à l'ultimatum, en faisant valoir la dette contractée par la multinationale auprès de la SCH (une ardoise s'élevant à 2 millions de FF). Le patron de la SCH, un proche du Colonel Azali, refusa ainsi de fournir du gasoil à nouveau à la CEE, à moins d'être payé.

La suite fut plus radicale. Paul Emile Roblez, le directeur de la CEE, adressa un courrier le 5 décembre au ministre de l'équipement, dans lequel il précise ses conditions : soit le gouvernement fléchit la position de la SHC, soit l'Etat règle sa dette, soit la CEE cesse d'être en activité, à cause -officiellement- d'une rupture de stocks de gasoil. Le gouvernement ne réagissant pas, la CEE cesse au soir du 6 décembre de fournir de l'électricité à l'ensemble du réseau. Aussitôt après, un directoire composé de nationaux était désigné pour remplacer l'équipe de Paul Emile Roblez. La SCH livrait à son tour le gasoil et l'électricité revenait.

A Paris, Vivendi parle aujourd'hui d'une solution négociée entre les deux parties dans le but final de céder ou de liquider la structure à Moroni. Ainsi attendent-ils une «stabilisation» et l'arrivée «de nouveaux interlocuteurs» au pouvoir pour boucler le dossier définitivement.



par Soeuf  Elbadawi

Article publié le 04/02/2002