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Défense

L’Europe minuscule face aux Etats-Unis

Depuis la riposte aux attentats du 11 septembre, les Etats-Unis veulent jouer un rôle prépondérant en matière de sécurité.En présentant un budget militaire en hausse de 15%, George Bush met en évidence le fossé qui se creuse entre les Etats-Unis et l’Europe dans le domaine de la Défense. Une Europe qui peine à exister dans ce secteur.
Depuis la chute du mur de Berlin, en 1989, marquant la fin de la guerre froide, les relations internationales ont été bouleversées. Les équilibres politiques et militaires ont connu des évolutions sensibles. La diabolisation des blocs, Est-Ouest, qui servait de justification à la course aux armements, a progressivement disparu au profit d’une autre realpolitik qui est la conquête de nouveaux marchés, cheval de bataille des puissants groupes industriels occidentaux. La tendance à la chute du marché militaire s’était amorcée au milieu des années 80. Les échanges entre Etats européens s’étant réduits de moitié, il s’en était suivi des réductions des budgets nationaux de défense. Les conséquences se sont mesurées au ralentissement des programmes de recherche de haut niveau, sans oublier les pertes d’emploi qui ont atteint 37% des personnels utilisés par l’industrie liée à l’armement. Le morcellement de cette industrie en Europe a consolidé par ailleurs la puissance de l’industrie américaine qui n’avait pas besoin de programme d’harmonisation pour exister.

L’avance des Etats-Unis, pendant les dix années qui ont suivi la chute du mur de Berlin, a été d’autant plus notoire, que son administration, et en particulier le secrétariat à la Défense, reste le seul interlocuteur de l’industrie liée à la défense. Or en Europe, les différentes industries s’engagent par rapport à la politique étrangère, les intérêts et les choix stratégiques et de sécurité de leur pays respectif. Une difficulté partiellement contournée au milieu des années 90, du moins dans les intentions, par la mise en place d’une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) au sein de l’Union européenne. Par ailleurs, en juin 1996, lors d’un conseil des ministres de la Défense des pays membres de l’Organisation du traité de l’atlantique nord (Otan) le groupe des Européens décidait de développer une identité propre de sécurité et de défense au sein de cette organisation, en oeuvrant pour le renforcement de l’Union de l’Europe occidentale (UEO). Mais il a fallu un autre traité, celui d’Amsterdam de 1997 pour intégrer les missions de l’UEO aux compétences de l’Union européenne.

Malgré ces différentes tentatives de coordination des politiques européennes pour une relance des activités des industries liées à la défense, de nouveaux cercles de réflexion au sein des institutions européennes ont apporté la preuve que les Etats n’étaient pas prêts à abandonner une part de souveraineté dans ce domaine. Il est vrai que la nature même du commerce et des échanges dans ce secteur requiert une certaine confidentialité, ce qui réduit la divulgation des technologies et d’autant, les bénéfices financiers et le développement. C’est pourquoi l’Organisme conjoint de coopération en matière d’armement (OCCAR) a été créé au sein de l’UEO, pour une gestion des programmes communs. La Commission européenne faisant le constat de l’échec de cette industrie en Europe invite l’UEO à rapidement établir des liens avec ses propres instances et surtout avec le Groupe armement de l’Europe occidentale (GAEO).

La menace est américaine

La coopération tant souhaitée en Europe, n’implique en fait que six pays, la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Suède et la Grande-Bretagne qui détiennent 90% de l’industrie de la défense en Europe. Ces six pays ont défini entre eux un code de bonne conduite «Letter of intent», LOI, parce que leurs intérêts sur le vieux continent, face aux Etats-Unis, sont tout aussi communs qu’ils peuvent être divergents dans différentes parties du monde où leurs armées interviennent.

Mais pendant que l’Europe s’organisait pour mieux commercer et développer son industrie, quelques crises majeures ont propulsé les Etats-Unis loin devant leurs concurrents. D’abord, réduits à un rôle d’assistants au sein de l’Otan, les Européens ont tout de même pris une part importante dans la guerre du Golfe en 1991, dans une coalition mondiale voulue et conduite par les Etats-Unis. Mais dans le conflit en ex-Yougoslavie (la guerre du Kosovo) les Américains se plaignaient déjà de l’insuffisance des moyens européens qui ne seraient pas à la hauteur de leurs ambitions. La crédibilité du partenariat européen au sein de l’Otan en a pris un coup, lorsque l’Europe éprouvait beaucoup de difficultés «à envoyer 30 000 hommes au Kosovo dans le cadre des rotations bi-annuelles», alors qu’elle compte deux millions de personnes sous les drapeaux, déplorait le secrétaire général de l’Otan, Lord Robertson. Les Américains ironisant sur la répartition du travail revendiquent les grosses opérations, laissant le soin aux Européens d’aider «les vieilles dames à traverser la rue à Pristina». Par ailleurs, les événements du 11 septembre, et la riposte qu’ils ont engendrée, ont installé les Etats-Unis dans une position hégémonique, édictant leur volonté et ramenant les Européens, selon Lord Robertson, secrétaire général de l’Otan, au rang de «pygmées militaires».

Le marché européen trop fragmenté, détruit ses propres potentialités, alors qu’un transfert intracommunautaire des technologies serait un avantage indiscutable pour l’ensemble des pays européens. Selon la Commission européenne, ces échanges devraient s’appuyer sur des «acquis communautaires» pour rivaliser avec la politique militaire américaine. Cette recommandation de la Commission européenne est un appel au sursaut des Européens face à la volonté clairement affichée par les Américains de maintenir les Européens dans un état de dépendance, en s’opposant au transfert de technologies, ou en favorisant leurs entreprises, pour des contrats que des entreprises européennes pourraient exécuter, dans le cadre de programmes de l’Otan, par exemple. Le ministre allemand de la Défense Rudolph Scharping appelle cet allié privilégié de l’Europe «à plus de souplesse sur la question des transferts de technologie».

Dérive dangereuse

L’inquiétude des Européens s’est accrue avec l’annonce du président Bush, d’augmenter le budget militaire de 15%, c’est-à-dire dix fois supérieur à celui des pays européens, soit 379 milliards de dollars. Ce budget sera alloué à des programmes très spécifiques liés à la lutte contre le terrorisme (protection des frontières, lutte contre le bio-terrorisme), à la construction de nouveaux avions, des sous-marins, des missiles nucléaires, et tout ceci dans une logique de guerre qui s’exporte d’un champ à un autre, d’une région à une autre et d’un continent à un autre presque simultanément. Cette nouvelle orientation de la machine de guerre américaine inquiète les Européens qui y voient une dérive dangereuse de la conception du monde selon les Etats-Unis. Le secrétaire adjoint à la défense, Paul Wolfowitz déclare d’ailleurs que «la meilleure défense contre le terrorisme, c’est de porter la guerre chez l’ennemi».

Selon l’ancien secrétaire à la défense américain, William Cohen, «il y a un fossé technologique qui est en train de devenir un fossé politique. Plus il sera grand, moins les Etats-Unis se sentiront obligés de prendre en compte les demandes de leurs alliés. Il faut combler le fossé aussi vite que possible». A la conférence internationale sur la sécurité qui s’est tenue à Munich, les 2 et 3 février, les Européens face aux Américains ont exprimé leur divergence quant à la «mission» assignée à la coalition internationale contre le terrorisme. Les Etats-Unis considèrent qu’ils n’ont pas besoin d’un mandat de la communauté internationale pour mener une action de guerre dans un pays soupçonné de soutenir le terrorisme, comme l’Irak, l’Iran, ou la Corée du nord, qualifiés par le président Bush de pays de «l’axe du mal». Pour Alain Richard, le ministre français de la Défense, «ce sont des pays qui par certains de leurs actes posent des problèmes à la sécurité internationale, mais il y bien d’autres facteurs de risque, dont le conflit du Proche-Orient, qui est en lui-même u



par Didier  Samson

Article publié le 07/02/2002