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Ciel africain

Air france fait un geste

L'assemblée générale extraordinaire d'Air Afrique a décidé jeudi d'autoriser le dépôt de bilan de la compagnie. Air Afrique sera déclarée en cessation de paiement. La véritable surprise est venue d'Air France, qui assouplit sa position dans les discussions sur la nouvelle Air Afrique.
De notre correspondante à Abidjan

Le naufrage dure depuis des mois. Jamais autant qu’en 2001, Air Afrique n’aura mérité d’être surnommée «Air peut-être», un surnom que lui ont valu ses horaires fantaisistes. A sa dette abyssale de 510 millions d’euros, elle n’a trouvé aucun remède. Pour cause d’impayés, ses avions lui ont été repris un à un. Restent 4000 employés sans salaires depuis plusieurs mois, qui n’ont plus rien à faire voler. Un bilan désastreux à mettre sur le compte d’une gestion qui le fut tout autant.

Rien de surprenant donc dans l’annonce faite jeudi à Abidjan par l’Assemblée générale extraordinaire d’Air Afrique : la compagnie sera déclarée en cessation de paiement, la direction est autorisée à déposer les bilans… La décision était d’autant plus attendue qu’elle s’inscrit dans un plan formulé en août dernier lors du sommet de Brazzaville: le dépôt de bilan de la compagnie était programmé dans un scénario concocté par les experts et qui doit conduire à la création d’une «nouvelle Air Afrique».

C’est autour de ce scénario que demeurent les véritables incertitudes sur l’avenir d’Air Afrique. A Brazzaville, Air France avait été choisie par les chefs d’Etat comme partenaire privilégié, il avait été prévu que les Français entrent dans le capital de la nouvelle compagnie à hauteur de 35%. Les deux parties n’étaient cependant pas tout à fait sur la même ligne… et les désaccords éclatent le 10 janvier, lors du sommet d’Abidjan. La conférence des chefs d’Etat et de gouvernement demande alors que le gouverneur de la BCEAO, Charles Konan Banny, obtienne «l’adhésion d’Air France ou de tout autre partenaire technique» au projet de nouvelle Air Afrique… «ou de tout autre partenaire technique» La formule en dit long. De nombreux observateurs en ont conclu que le projet de nouvelle compagnie était mort.

«Avant de penser à la nouvelle Air Afrique, il faut s’occuper de l’actuelle»

Principal point de blocage: l’exclusivité des droits de trafic. Air France la réclamait pour la nouvelle Air Afrique… les chefs d’Etat africains ont annoncé en janvier qu’ils n’en était plus question. Certains Etats sont en effet tentés de promouvoir leur propre compagnie nationale, plutôt que de s’engager à nouveau dans un projet commun. Leur attitude est critiquée dans les mêmes termes par les syndicalistes d’Air Afrique et les représentants d’Air France: les premiers déplorent que ces «micro-compagnies fleurissent comme des champignons» et mettent le phénomène sur le compte d’«affairistes qui croient que le premier venu peut faire de l’aviation»; les seconds disent que les Etats devront choisir entre logique nationale et logique transnationale, car il est impossible de faire coexister les deux.

Après ce blocage de janvier, la lettre (voir le document)que Jean Cyril Spinetta, le PDG d’Air France, vient d’envoyer au président Gbagbo pourrait relancer le mécanisme de discussion. Cette lettre ne fait plus mention d’un monopole des droits de trafic, mais d’une simple «limitation du volume des droits de trafics accordés aux tiers dans la zone d’exploitation». En clair, les Etats africains ne protégeraient le marché de la nouvelle Air Afrique que pour un temps limité, le temps qu’elle apure la dette de l’actuelle compagnie.

La compagnie française propose également aux Etats de payer 50% du plan social. C’est un relèvement sensible, les précédentes propositions ne faisaient état que d’une participation à hauteur de 15%, et c’est un relèvement qui est rendu possible car Air France propose également une formule qui permettrait de réduire le coût total de ce plan social. Au lieu de licencier tous les salariés de l’actuelle Air Afrique pour en employer une partie dans la nouvelle, on ferait passer une partie des effectifs de l’une à l’autre compagnie, en leur conservant le bénéfice de leur ancienneté. A l’occasion d’une visite privée à Washington qu’il effectue actuellement, le président Gbagbo doit rencontrer Jean-Cyril Spinetta. On voit mal comment les deux hommes pourraient ne pas parler de ces nouvelles propositions.

Les salariés qui depuis des mois multipliaient les grèves et les marches, qui en dernier recours ont prié devant le siège de leur société et immolé un bœuf, les salariés eux ne se sont pas manifesté jeudi pour le dépôt de bilan. «Quand la maison brûle il faut aller de l’avant» s’est contenté de déclarer un pilote découragé, avant d’ajouter qu’il comptait quand même sur un plan social. La semaine dernière, lors d’une journée d’action à l’agence Air Afrique avenue de l’Opéra, à Paris, même état de résignation sur la perspective du dépôt de bilan. Et un désintérêt affiché pour le projet de «nouvelle Air Afrique». «Avant de penser à la nouvelle Air Afrique, il faut s’occuper de l’actuelle. Ce que nous voulons, nous, c’est un plan social» expliquait une employée.

En dépit de la priorité que les politiques affichent sur le traitement social du dossier, aucune discussion n’a pour l’instant été ouverte avec les syndicats sur un tel plan social… L’intersyndicale d’Air Afrique prévient qu’elle ne renoncera pas, et qu’elle est prête à passer à l’action : sit-in, dépôt de plainte contre les directions passées et plus généralement «contre tous ceux qui ont contribué à conduire Air Afrique au dépôt de bilan», des actions pourront également être menées dans les aéroports…«Nous détenons encore les activités d’assistance au sol dans presque tous les aéroports des pays membres d’Air Afrique. C’est un point fort qui nous reste et que nous pouvons utiliser si nous ne sommes pas écoutés» menace Adote Akwei, président de l’Intersyndicale. Mais ce moyen de pression a montré ses limites à la fin de l’année dernière. Aux mouvements du personnel au sol destinés à bloquer les avions d’Air France, les Etats ont répondu par des ordres de réquisition.



par Virginie  Gomez (avec Laurent Correau à Paris)

Article publié le 08/02/2002