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Zimbabwe

Victoire contestée de Robert Mugabe

Le président Mugabe a été réélu par 56,2% des voix, selon les résultats officiels proclamés mercredi matin. Des résultats contestés par l’opposition et les observateurs étrangers.
De notre envoyée spéciale

A l’annonce de la victoire de Robert Mugabe avec 56,2% des voix, hier midi, Chitungwiza n’a pas bronché. Sous étroite surveillance de la police, qui opérait depuis la veille des barrages routiers aux portes de la plus grande township de la capitale, ce bastion de l’opposition n’a pas explosé. Beaucoup, il est vrai, étaient plus préoccupés par leur estomac que par les résultats de l’élection présidentielle. Après avoir attendu pendant des heures devant les bureaux de vote, tout le week-end, les habitants de ce quartier étaient une fois de plus en train de faire la queue, sous le soleil, pour acheter quelques kilos de farine de maïs. «Nous sommes fatigués, a commenté un père de famille au chômage. Encore six ans de Mugabe, pour nous, ça veut dire six ans de dépression». Dès le matin, Joe, un jeune chômeur, a commencé à boire avec ses amis aux Portes du Ghetto, un bar de son quartier. Réunis sous un poste de télévision, litres de bière en main, ces sympathisants du Mouvement démocratique pour le changement (MDC), le principal parti d’opposition, ont suivi depuis la veille les résultats donnés circonscription par circonscription. «Les chiffres sont pénibles, a affirmé l’un d’entre eux, on dirait qu’il n’y a personne dans les villes et beaucoup de monde dans les campagnes.»

A l’annonce des résultats définitifs de la présidentielle, le bar est resté sans voix. Morgan Tsvangirai, qui incarnait leur seul espoir de changement dans toutes les banlieues populaires de Harare, a perdu avec un score de 41,9% des suffrages, soit un écart de moins de 400 000 voix contre Robert Mugabe. Chiffre curieux : sur quelque 3 millions de suffrages exprimés, pas moins de 800 000 bulletins ont été déclarés nuls. «Nous ne pouvons rien y faire, nous ne sommes que des gens ordinaires, a soupiré Joe. Que Mugabe gouverne en paix».

Morgan Tsvangirai, lui, a dénoncé «la plus grande fraude électorale» de l’histoire du Zimbabwe. A aucun moment, les listes électorales n’ont été publiées par les autorités, qui ont pu les modifier à leur gré jusqu’à la veille du scrutin. Aussi le MDC dénonce-t-il une fraude «massive, planifiée et informatisée». Sans vouloir préjuger des choix que fera son parti, après consultation, Morgan Tsvangirai a indiqué que la voie légale pouvait être une option.

Tsvangirai n’a pas voulu prendre la responsabilité d’un conflit

«Le peuple du Zimbabwe est assez en colère, a déclaré le chef de l’opposition, et notre parti doit discuter de la manière dont il faudra canaliser cette colère de manière constructive». Se gardant bien d’appeler à la révolte, alors que la police et l’armée ont été déployées à Harare et Bulawayo, les deux plus grandes villes du pays, le candidat vaincu a affirmé ne pas «vouloir la confrontation avec l’État, parce que c’est précisément ce qu’il recherche». Dans un pays extrêmement polarisé, entre les partisans de l’Union nationale africaine du Zimbabwe – Front patriotique (Zanu-PF, au pouvoir) et ceux du MDC, Morgan Tsvangirai n’a pas voulu prendre la responsabilité d’un éventuel conflit.

Face à un président âgé de 78 ans, il est vrai que l’ancien leader syndical, à 50 ans, a encore tout l’avenir devant lui. Robert Mugabe, cependant, ne lui fera pas de cadeaux. Accusé d’avoir comploté en vue de l’assassiner, Morgan Tsvangirai risque l’arrestation et le procès. Deux semaines avant l’élection, il a été inculpé pour haute trahison, un délit passible de la peine de mort. «Je n’ai pas peur d’être arrêté et je n’ai aucune raison d’abandonner le peuple du Zimbabwe», a-t-il affirmé hier, niant tout projet de départ en exil.

Mardi, le secrétaire général de son parti, Welshman Ncube, a été libéré sous une caution de 10 000 dollars américains, après avoir été arrêté la veille pour haute trahison, dans le cadre de la même affaire de complot. Pour Morgan Tsvangirai comme pour beaucoup de Zimbabwéens, tout espoir de retour à la normale n’est pas mort. «Robert Mugabe a gagné, maintenant, espérons qu’il va nous ficher la paix», a réagi un fermier blanc - sous couvert de l’anonymat.



par Sabine  Cessou

Article publié le 13/03/2002