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France: présidentielle 2002

Les éminences «africaines» des candidats (1)

La politique étrangère est loin d’être au cœur de la campagne présidentielle. Pourtant, nombre de candidats tiennent à s’entourer de conseillers en charge du continent africain. A commencer par Jacques Chirac, qui affiche sa passion pour cette région du monde. Sans lui vouer le même intérêt, Lionel Jospin ne s’appuie pas moins sur une équipe de spécialistes.
Cheveux gris, en bataille, voix rocailleuse, chemise ouverte, sous une veste un peu défraîchie, Denis Tillinac ne colle en rien à l’image qu’on se fait d’un émissaire présidentiel. D’ailleurs, l’écrivain n’en revendique pas le titre. Il fait pourtant partie du cercle fermé des quelques personnes que Jacques Chirac prend au téléphone à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. En lui rendant visite dans ses bureaux des éditions de la Table ronde, à côté du Théâtre de l’Odéon, il n’est pas rare qu’on vous invite à patienter en vous précisant «qu’il est en communication avec l’Elysée». Corrézien, comme le chef de l’Etat, cet intellectuel atypique ne cache pas son amitié pour des personnalités proches des socialistes, y compris chez les Coréziens, tel le spécialiste de l’Afrique orientale Gérard Prunier. Lui qui avait fait le lien entre Jacques Chirac et certains milieux de gauche, lors de l’élection de 1995, a cette fois décidé de défendre la vision et l’image du président de la République en Afrique. Il a créé une association, la RAF (Renaissance Afrique-France), le 18 juin 2001 à Douala au Cameroun, avec pour objectif de nouer sur «des bases nouvelles, décomplexées et plus égalitaires», des liens avec les «élites émergeantes» du continent noir.

Chirac joue sa carte africaine

Ces derniers mois, Denis Tillinac a parcouru les pays francophones du sud du Sahara, tissant un réseau de correspondants, «français ou binationaux», rencontrant des personnalités de tous bords. Sans oublier les chefs d’Etats. Officiellement, la RAF est indépendante de «tout intérêt public ou privé» et ses activités se poursuivront «après les prochaines échéances électorales». A la veille d’une présidentielle qui s’annonce très serrée, personne ne doute cependant que l’écrivain «laboure» pour son ami de trente-cinq ans, auprès de l’électorat expatrié. Il s'est d'ailleurs adjoint les services d'autres proches du chef de l'Etat, comme l’ancien ministre de la Coopération Jacques Godfrain.

Il assure cependant travailler en étroite collaboration avec Michel Dupuch, ancien ambassadeur de France en Côte d’Ivoire qui dirige la cellule africaine de l’Elysée. Sauf qu’il entend donner une autre image de Jacques Chirac, dont la passion pour le continent noir est notoire, mais sur lequel pèsent lourdement les affaires franco-africaines de ces dernières années et l’héritage des trop célèbres réseaux Foccart. A un paradoxe près néanmoins, puisque Jacques Godfrain a été proche de l’ancienne éminence grise du général de Gaulle…

Denis Tillinac et Michel Dupuch ne sont, en tous cas pas les seuls «africains» de l’entourage de Jacques Chirac. Il y a les officieux, comme l’avocat Robert Bourgi, l’homme des missions confidentielles, ou Maurice Ulrich, représentant personnel de Jacques Chirac auprès du Conseil permanent de la Francophonie. Au RPR, enfin, c’est Valérie Terranova, secrétaire générale adjointe chargée des relations internationales, qui s’occupe du continent africain.

Quels que soient ses objectifs, le chef de l’Etat a en tous cas marqué un point : il donne l’impression d’être, sinon le seul candidat à avoir une véritable équipe «africaine», du moins l’un des rares à s’intéresser à cette partie du monde. Il ne manque d’ailleurs pas de laisser entendre que le gouvernement de Lionel Jospin a été l’artisan de la baisse de l’aide publique au développement, même si celle-ci a débutée avant l’arrivée de l’actuel Premier ministre, en 1997.

Si l’Afrique n’est à l’évidence pas au cœur de la campagne présidentielle française, de même d’ailleurs que la politique étrangère, Jacques Chirac n’est, en fait, pas l’unique candidat à s’être entouré de conseillers en charge de cette partie du monde. La plupart des présidentiables gardent un œil sur un continent où la France a longtemps joué un rôle majeur et qui reste un marché important pour ses entreprises. Qu’ils souhaitent ou non voir leur pays continuer y peser d’un quelconque poids, la majorité d’entre eux s’est entourée d’une équipe plus ou moins étoffée de spécialistes.

C’est le cas de Lionel Jospin. Dans son entourage, on reconnaît que le candidat socialiste ne s’intéresse pas particulièrement à l’Afrique et n’a aucun lien personnel avec des dirigeants en place, contrairement à Jacques Chirac, qui ne cache pas ses amitiés avec le Congolais Sassou Nguesso ou le Gabonais Omar Bongo. Le Premier ministre n’en dispose pas moins, de facto, d'une équipe technique chargée de ces questions. A Matignon, c’est Serge Tell, l’un de ses conseillers diplomatiques, qui suit ces dossiers. Au ministère des Affaires étrangères, Hubert Védrine est assisté de George Serre, en charge de l’Afrique et du développement, et son collègue délégué à la Coopération Charles Josselin de Hugo Sada, ancien rédacteur en chef au magazine Jeune Afrique puis à RFI, qui s’occupe de l’Afrique, de la Francophonie et de l’audiovisuel extérieur. Mais les orientations de la politique africaine du candidat Jospin se décident également au Parti socialiste. Issu de la gauche tiers-mondiste, son secrétaire adjoint aux relations internationales chargé de l’Afrique, Guy Labertit, ami intime de l’actuel président ivoirien Laurent Gbagbo, sillonne cette partie du monde depuis de longues années et intervient régulièrement sur le sujet.

Face à un président sortant qui ne cesse de se présenter comme le porte-parole de l’Afrique, le candidat socialiste a du mal à se faire entendre. Ses proches soulignent toutefois «le travail de fond» effectué depuis son arrivée à Matignon en faveur d'une réforme des relations franco-africaines. A son arrivée à Matignon, le Premier ministre avait notamment engagé la fusion-absorption par le Quai d’Orsay du ministère de la Coopération, symbole des relations privilégiées entre l’Afrique et la France mais aussi de ses dérives. L’équipe de campagne de Lionel Jospin tient toutefois à ce qu’il aborde la question d’ici la présidentielle, histoire de ne pas entièrement abandonner le terrain à son principal adversaire. Il participera ainsi à un débat, ce vendredi à son «atelier de campagne», avec des organisations non-gouvernementales sur la dette des pays africains et le financement du développement. En outre,Guy Labertit a prévu de se rendre en Afrique de l’Ouest, entre le deux tours, en compagnie de l’ancien Premier ministre Pierre Mauroy et de Monique Cerisier-Benguiga, sénatrice socialiste des Français de l’étranger.

A suivre : le deuxième volet de notre enquête consacrée aux «gourous africains» des autres candidats à la présidentielle.



par Christophe  Champin

Article publié le 26/03/2002