Balkans
Les islamistes menaçaient-ils la Macédoine ?
Samedi, la police macédonienne annonçait avoir tué sept hommes d’origine pakistanaise, qui auraient préparé des attentats contre les ambassades des USA, d’Allemagne et de Grande-Bretagne à Skopje. Malgré l’avalanche de communiqués de la police, souvent contradictoires, le scénario avancé par Skopje présente des incohérences majeures. Retour sur une probable manipulation qui avait pour but de remettre en cause le processus de paix enclenché dans la petite république.
De notre envoyé spécial à Skopje
Ljuboten est un gros village majoritairement albanais, accroché sur les flancs de la Skopska Crna Gora, le massif montagneux qui domine la capitale. Selon la police, c’est à proximité de ce village qu’une patrouille de la police serait tombée dans une embuscade tendue par le groupe terroriste, vers 4 heures samedi matin. Les habitants du village ont pourtant tout de suite affirmé ne pas avoir entendu de coups de feu. Et pour cause : l’incident ne s’est pas produit aux abords de Ljuboten, mais à une dizaine de kilomètres de là, au lieu-dit Rastanski Lozja, «la vigne de Rastanski».
Ces vignes mal entretenues se trouvent dans une vaste zone abandonnée, tenant du terrain vague et de la décharge sauvage, à moins d’un kilomètre des premières barres d’immeubles de Skopje. Une petite centrale électrique et une briqueterie complètent le paysage de cette «zone industrielle». Les «terroristes» étrangers auraient été revêtus d’uniformes de l’UCKM, la guérilla albanaise de Macédoine, qui s’est officiellement auto-dissoute en septembre dernier, mais comment imaginer que des guérilleros aient osé circuler aux abords immédiats de la capitale, dans une zone où vivent principalement des Macédoniens, et non pas des Albanais ? Comment imaginer également que la police ait pu dépêcher, à 4 heures du matin, une patrouille dans cet endroit déshérité ? Aucune victime n’a été annoncée dans les rangs de la police, ce qui rend peu crédible l’hypothèse d’une embuscade.
Le plus proche voisin du lieu du drame, un retraité macédonien, explique avoir entendu quelques coups de feu dans la nuit, mais à son réveil, la police avait fait disparaître toutes les traces de l’incident. Sur le bord de la vigne, quelques poteaux de béton, reliés entre eux par du fil de fer barbelé, portent les traces d’impacts de balles récents, mais sur le sol, seules quelques rares taches de sang sont encore discernables. À peu de distance, on entend les détonations provenant d’un stand de tir de l’armée.
Une «manipulation» ?
Des diplomates américains et britanniques ont pu voir les corps de quatre des sept victimes, qui présentaient effectivement un type physique caractéristique du sous-continent indien. Les corps étaient criblés de balles dans la partie supérieure du corps. Pour des experts appartenant aux chancelleries occidentales, il serait donc impossible que les victimes aient été tuées sur place, car les traces de sang seraient beaucoup plus importantes.
Les ambassades qui auraient été visées par les «terroristes» démentent également avoir été informées de menaces pesant sur elles. Bien au contraire, la semaine dernière, la police avait allégé son dispositif de protection autour de ces ambassades. Ce serait également la première fois que la présence d’activistes liés aux réseaux terroristes islamiques internationaux serait attestée en Macédoine.
En portant les soupçons vers le village de Ljuboten, la police macédonienne semble avoir agi sciemment dans le but de provoquer la communauté albanaise. Le 10 août dernier, en effet, dix civils avaient été tués dans ce village, lors de la plus grosse «bavure» commise par les forces macédoniennes durant le conflit avec la guérilla. Unanimes, les dirigeants politiques albanais ont dénoncé une «manipulation» du ministre de l’Intérieur, Ljuben Boskovski. Plus précis, un communiqué de l’Armée nationale albanaise (AKSH), un groupe de guérilla encore mal connu qui aurait succédé à l’UCKM, déclare que les victimes auraient été des candidats à l’immigration clandestine vers l’Europe de l’ouest, tués par la police sur les frontières avec la Grèce.
L’hypothèse demeure impossible à vérifier, tout comme l’identité exacte des victimes. Il est par contre probable que la sordide manipulation ourdie par la police avait deux objectifs : amener les Albanais à réagir violemment, de manière à remettre en cause le processus de paix, et accréditer la thèse d’une collusion entre le nationalisme albanais et l’islamisme radical. Un diplomate occidental reconnaît que seuls les nationalistes macédoniens de la VMRO-DPMNE peuvent avoir intérêt à une reprise du conflit : «les accords de paix satisfont à peu près toutes les revendications albanaises, la loi d’amnistie doit même être votée dans les jours à venir par le Parlement. Par contre, les accords de paix prévoient des élections législatives anticipées qui, selon tous les sondages, risquent de se solder par une déroute pour la VMRO-DPMNE».
Si le scénario d’une manipulation devait se vérifier, le ministre de l’Intérieur aurait pris le risque de jouer avec le feu. L’absence de réactions des partis albanais devrait pourtant désamorcer le risque d’une reprise du conflit, à moins d’une nouvelle provocation émanant des extrémistes d’un camp ou de l’autre. Quant aux victimes, dont trois n’ont pas été vues par les diplomates, elles risquent fort d’emporter leur secret dans la tombe, même si la police communiquait le rapport des autopsies qu’elle n’a pas dû manquer de pratiquer.
Ljuboten est un gros village majoritairement albanais, accroché sur les flancs de la Skopska Crna Gora, le massif montagneux qui domine la capitale. Selon la police, c’est à proximité de ce village qu’une patrouille de la police serait tombée dans une embuscade tendue par le groupe terroriste, vers 4 heures samedi matin. Les habitants du village ont pourtant tout de suite affirmé ne pas avoir entendu de coups de feu. Et pour cause : l’incident ne s’est pas produit aux abords de Ljuboten, mais à une dizaine de kilomètres de là, au lieu-dit Rastanski Lozja, «la vigne de Rastanski».
Ces vignes mal entretenues se trouvent dans une vaste zone abandonnée, tenant du terrain vague et de la décharge sauvage, à moins d’un kilomètre des premières barres d’immeubles de Skopje. Une petite centrale électrique et une briqueterie complètent le paysage de cette «zone industrielle». Les «terroristes» étrangers auraient été revêtus d’uniformes de l’UCKM, la guérilla albanaise de Macédoine, qui s’est officiellement auto-dissoute en septembre dernier, mais comment imaginer que des guérilleros aient osé circuler aux abords immédiats de la capitale, dans une zone où vivent principalement des Macédoniens, et non pas des Albanais ? Comment imaginer également que la police ait pu dépêcher, à 4 heures du matin, une patrouille dans cet endroit déshérité ? Aucune victime n’a été annoncée dans les rangs de la police, ce qui rend peu crédible l’hypothèse d’une embuscade.
Le plus proche voisin du lieu du drame, un retraité macédonien, explique avoir entendu quelques coups de feu dans la nuit, mais à son réveil, la police avait fait disparaître toutes les traces de l’incident. Sur le bord de la vigne, quelques poteaux de béton, reliés entre eux par du fil de fer barbelé, portent les traces d’impacts de balles récents, mais sur le sol, seules quelques rares taches de sang sont encore discernables. À peu de distance, on entend les détonations provenant d’un stand de tir de l’armée.
Une «manipulation» ?
Des diplomates américains et britanniques ont pu voir les corps de quatre des sept victimes, qui présentaient effectivement un type physique caractéristique du sous-continent indien. Les corps étaient criblés de balles dans la partie supérieure du corps. Pour des experts appartenant aux chancelleries occidentales, il serait donc impossible que les victimes aient été tuées sur place, car les traces de sang seraient beaucoup plus importantes.
Les ambassades qui auraient été visées par les «terroristes» démentent également avoir été informées de menaces pesant sur elles. Bien au contraire, la semaine dernière, la police avait allégé son dispositif de protection autour de ces ambassades. Ce serait également la première fois que la présence d’activistes liés aux réseaux terroristes islamiques internationaux serait attestée en Macédoine.
En portant les soupçons vers le village de Ljuboten, la police macédonienne semble avoir agi sciemment dans le but de provoquer la communauté albanaise. Le 10 août dernier, en effet, dix civils avaient été tués dans ce village, lors de la plus grosse «bavure» commise par les forces macédoniennes durant le conflit avec la guérilla. Unanimes, les dirigeants politiques albanais ont dénoncé une «manipulation» du ministre de l’Intérieur, Ljuben Boskovski. Plus précis, un communiqué de l’Armée nationale albanaise (AKSH), un groupe de guérilla encore mal connu qui aurait succédé à l’UCKM, déclare que les victimes auraient été des candidats à l’immigration clandestine vers l’Europe de l’ouest, tués par la police sur les frontières avec la Grèce.
L’hypothèse demeure impossible à vérifier, tout comme l’identité exacte des victimes. Il est par contre probable que la sordide manipulation ourdie par la police avait deux objectifs : amener les Albanais à réagir violemment, de manière à remettre en cause le processus de paix, et accréditer la thèse d’une collusion entre le nationalisme albanais et l’islamisme radical. Un diplomate occidental reconnaît que seuls les nationalistes macédoniens de la VMRO-DPMNE peuvent avoir intérêt à une reprise du conflit : «les accords de paix satisfont à peu près toutes les revendications albanaises, la loi d’amnistie doit même être votée dans les jours à venir par le Parlement. Par contre, les accords de paix prévoient des élections législatives anticipées qui, selon tous les sondages, risquent de se solder par une déroute pour la VMRO-DPMNE».
Si le scénario d’une manipulation devait se vérifier, le ministre de l’Intérieur aurait pris le risque de jouer avec le feu. L’absence de réactions des partis albanais devrait pourtant désamorcer le risque d’une reprise du conflit, à moins d’une nouvelle provocation émanant des extrémistes d’un camp ou de l’autre. Quant aux victimes, dont trois n’ont pas été vues par les diplomates, elles risquent fort d’emporter leur secret dans la tombe, même si la police communiquait le rapport des autopsies qu’elle n’a pas dû manquer de pratiquer.
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 06/03/2002