Irak
«Saddam Hussein doit accepter l’inspection de l’Onu»
Interview RFI/Le Figaro. Hans Blix est président de l’Unmovic, la commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations unies chargée du désarmement de l’Irak. Ce Suédois a été président de l’Agence internationale de l’énergie atomique de 1980 à 1997. Depuis que les négociations ont repris entre l’ONU et les autorités irakiennes, il tient son équipe de quelque 250 inspecteurs prête à retourner en Irak. Les inspecteurs en désarmement, accusés d’abriter dans leurs rangs des espions américains, avaient quitté le pays fin 1998, à la veille de l’opération «Renard du désert». Propos recueillis au siège des Nations unies.
De notre correspondant à New York
RFI : Voilà plus de trois ans que les inspecteurs de l’ONU ne sont pas retournés en Irak. Que font-ils en attendant ?
Hans Blix : Nous avons mis à profit le temps qui malheureusement nous a été donné. L’entraînement a été une activité constante. Nous analysons également les archives et les conclusions de l’Unscom (du nom de l’Unmovik avant 1999). Cela constituera la base de ce que les inspecteurs chercheront lorsqu’ils retourneront sur le terrain pour visiter environ 700 sites. Nous préparons aussi la logistique en matière de transports, location d’avions, d’hélicoptères, communication. En dernier lieu, nos experts examinent les produits achetés par l’Irak dans le cadre du programme pétrole contre nourriture, pour vérifier qu’ils ne contiennent aucun produit à usage dual pouvant servir à fabriquer des armes de destruction de masse.
RFI : Que savez-vous des programmes d’armement irakiens depuis 1998 ?
HB : Nous avons trois sources d’information. Les sources ouvertes : les articles de presse qui se basent souvent sur des témoignages de transfuges ou des fuites des services de renseignement. L’imagerie satellite, que nous achetons ou que des gouvernments nous procurent. Nous comparons ces clichés avec les quelque 14 000 images que nous avons dans nos archives. Et enfin, les services de renseignement des gouvernements dont nous faisons une analyse critique. On ne peut pas faire des inspections au hasard dans un grand pays. On doit avoir des informations.
RFI: D’après ces sources, pouvez-vous affirmer que l’Irak détient des armes de destruction de masse ?
HB: Non, on ne peut pas l’affirmer dans la mesure où notre véritable moyen de vérification serait l’inspection. Mais il serait évidemment naïf d’affirmer le contraire. C’est entièrement possible, ils ont été seuls durant plusieurs années. Simplement, nous ne nous prononçons pas sur le degré de probabilité.
«Ce n’est pas la pratique habituelle des Irakiens de prendre des otages»
RFI: Vous avez rencontré la délégation irakienne venue renouer le dialogue avec Kofi Annan. Quel a été votre sentiment ?
HB: Le meeting était centré sur la mise en oeuvre des résolutions du Conseil de sécurité. Les Irakiens ont adopté une position selon laquelle eux avaient rempli leur part de ces résolutions et que le principal problème était pour l’ONU d’appliquer les dispositions qui la concernent. Il y avait aussi un certain nombre de questions accusatrices sur le retour des inspecteurs : quelles seraient les garanties que les inspections ne seraient pas du même type qu’auparavant ? Sur le fond, ils ont marqué leur intérêt pour l’inspection, mais sans donner la plus petite indication qu’ils étaient prêts à l’accepter.
RFI: Peut-on parler de progrès ?
HB: Les Irakiens ont sans aucun doute modifié leur position. Il y a un an, ils disaient qu’une inspection était hors de question. Plus tard, ils ont envisagé une inspection si elle se déroulait dans toute la région, et surtout en Israël. Je ne suis pas sûr que cette exigence ait disparu, mais je constate qu’aujourd’hui ils se concentrent sur une limitation dans le temps de l’inspection, et sur son ampleur. Aucune de ces limitations n’est compatible avec la résolution 1284.
RFI: Combien de temps prendrait l’inspection ?
HB: Dans des conditions optimales, avec une coopération totale, l’inspection pourrait jeter les bases d’une suspension des sanctions en moins d’un an. Mais en 1991, l’inspection aurait déjà pu se faire en un an et elle a duré jusqu’en 1998. La coopération irakienne est le facteur vital. Nous voulons établir une inpection efficace et convenable. Une inpection cosmétique serait pire que tout. Il devrait être dans l’intérêt de l’Irak de prouver au monde qu’ils n’ont pas d’armes de destruction de masse. Ils ne peuvent y arriver simplement en affirmant qu’ils l’ont fait. Mais je ne sais pas s’ils sont prêts.
RFI: Selon un scénario idéal, combien de temps vous faudrait-il pour retourner en Irak une fois le feu vert obtenu ?
HB: Nous enverrions d’abord une équipe avancée pour établir le contact avec les Irakiens. Ensuite, on installerait un centre, avec des communications, des laboratoires, des moyens de transport. Ce serait une mise en place progressive, mais la première équipe pourrait être sur place en une semaine, si il n’y pas de conditions attachées aux résolutions.
RFI: Une des questions, en allusion au passé, était de savoir si certains des inspecteurs seraient des espions du gouvernement américain...
HB: J’ai toujours dit que nos employés devaient être des employés de l’ONU. Si quelqu’un vient avec deux casquettes, cette personne doit partir avec sa casquette gouvernementale et nous laisser. Mais même la CIA ou les services de renseignement nationaux ne peuvent affirmer à 100 % n’avoir aucune taupe dans leurs rangs. On ne peut pas le jurer non plus. Mais je renverrais quiconque ferait cela, y-compris au profit du gouvernement irakien.
RFI: Quelles leçons tirez-vous de l’expérience de l’Unscom ?
HB: L’efficacité reste un critère, mais je pense que notre travail n’est pas d’humilier, de harceler ou de provoquer les Irakiens. Ce n’est pas le but de l’ONU. Nous ne proposons pas non plus d’utiliser des outils électroniques pour espionner les conversations et les communications. Nous n’écoutons pas les conversations téléphoniques.
RFI: Les Etats-Unis se préparent à entrer en guerre contre l’Irak. Le Pentagone affirme ouvertement que le retour des inspecteurs serait inutile, et même contre-productif. Comment cela influence-t-il votre travail ?
HB: Nous ne nous occupons pas de cela, mais je suis sûr que les Irakiens en sont avertis. On s’en tient au mandat du Conseil de sécurité, c’est tout. Pour moi, la position américaine est celle présentée par George Bush qui demande le retour des inspecteurs.
RFI: Comment pouvez-vous assurer que vos inspecteurs ne deviendront pas des otages ?
HB: Ce n’est pas la pratique habituelle des Irakiens de prendre des otages, même si il y a eu quelques problèmes. Notre demande fondamentale est que l’Irak assure la sécurité de nos personnels. Mais nous ne sommes pas une force d’occupation, nous n’avons aucune escorte militaire.
RFI: L’inspection est la dernière chance de Saddam Hussein ?
HB: Depuis le 11 septembre, la situation est devenue plus sensible. Les attentats ont illustré le risque encouru si les terroristes avaient des armes de destruction de masse. Ils en feraient usage sans aucune restriction. L’étape suivante est de poser la question : et si des Etats en avaient ? Le danger de la prolifération des armes de destruction de masse est devenu bien réel pour le monde entier. La coopération a été et reste pour l’Irak le seul chemin pour sortir du tunnel. Et ils pouvaient en sortir dès 1991.
RFI : Voilà plus de trois ans que les inspecteurs de l’ONU ne sont pas retournés en Irak. Que font-ils en attendant ?
Hans Blix : Nous avons mis à profit le temps qui malheureusement nous a été donné. L’entraînement a été une activité constante. Nous analysons également les archives et les conclusions de l’Unscom (du nom de l’Unmovik avant 1999). Cela constituera la base de ce que les inspecteurs chercheront lorsqu’ils retourneront sur le terrain pour visiter environ 700 sites. Nous préparons aussi la logistique en matière de transports, location d’avions, d’hélicoptères, communication. En dernier lieu, nos experts examinent les produits achetés par l’Irak dans le cadre du programme pétrole contre nourriture, pour vérifier qu’ils ne contiennent aucun produit à usage dual pouvant servir à fabriquer des armes de destruction de masse.
RFI : Que savez-vous des programmes d’armement irakiens depuis 1998 ?
HB : Nous avons trois sources d’information. Les sources ouvertes : les articles de presse qui se basent souvent sur des témoignages de transfuges ou des fuites des services de renseignement. L’imagerie satellite, que nous achetons ou que des gouvernments nous procurent. Nous comparons ces clichés avec les quelque 14 000 images que nous avons dans nos archives. Et enfin, les services de renseignement des gouvernements dont nous faisons une analyse critique. On ne peut pas faire des inspections au hasard dans un grand pays. On doit avoir des informations.
RFI: D’après ces sources, pouvez-vous affirmer que l’Irak détient des armes de destruction de masse ?
HB: Non, on ne peut pas l’affirmer dans la mesure où notre véritable moyen de vérification serait l’inspection. Mais il serait évidemment naïf d’affirmer le contraire. C’est entièrement possible, ils ont été seuls durant plusieurs années. Simplement, nous ne nous prononçons pas sur le degré de probabilité.
«Ce n’est pas la pratique habituelle des Irakiens de prendre des otages»
RFI: Vous avez rencontré la délégation irakienne venue renouer le dialogue avec Kofi Annan. Quel a été votre sentiment ?
HB: Le meeting était centré sur la mise en oeuvre des résolutions du Conseil de sécurité. Les Irakiens ont adopté une position selon laquelle eux avaient rempli leur part de ces résolutions et que le principal problème était pour l’ONU d’appliquer les dispositions qui la concernent. Il y avait aussi un certain nombre de questions accusatrices sur le retour des inspecteurs : quelles seraient les garanties que les inspections ne seraient pas du même type qu’auparavant ? Sur le fond, ils ont marqué leur intérêt pour l’inspection, mais sans donner la plus petite indication qu’ils étaient prêts à l’accepter.
RFI: Peut-on parler de progrès ?
HB: Les Irakiens ont sans aucun doute modifié leur position. Il y a un an, ils disaient qu’une inspection était hors de question. Plus tard, ils ont envisagé une inspection si elle se déroulait dans toute la région, et surtout en Israël. Je ne suis pas sûr que cette exigence ait disparu, mais je constate qu’aujourd’hui ils se concentrent sur une limitation dans le temps de l’inspection, et sur son ampleur. Aucune de ces limitations n’est compatible avec la résolution 1284.
RFI: Combien de temps prendrait l’inspection ?
HB: Dans des conditions optimales, avec une coopération totale, l’inspection pourrait jeter les bases d’une suspension des sanctions en moins d’un an. Mais en 1991, l’inspection aurait déjà pu se faire en un an et elle a duré jusqu’en 1998. La coopération irakienne est le facteur vital. Nous voulons établir une inpection efficace et convenable. Une inpection cosmétique serait pire que tout. Il devrait être dans l’intérêt de l’Irak de prouver au monde qu’ils n’ont pas d’armes de destruction de masse. Ils ne peuvent y arriver simplement en affirmant qu’ils l’ont fait. Mais je ne sais pas s’ils sont prêts.
RFI: Selon un scénario idéal, combien de temps vous faudrait-il pour retourner en Irak une fois le feu vert obtenu ?
HB: Nous enverrions d’abord une équipe avancée pour établir le contact avec les Irakiens. Ensuite, on installerait un centre, avec des communications, des laboratoires, des moyens de transport. Ce serait une mise en place progressive, mais la première équipe pourrait être sur place en une semaine, si il n’y pas de conditions attachées aux résolutions.
RFI: Une des questions, en allusion au passé, était de savoir si certains des inspecteurs seraient des espions du gouvernement américain...
HB: J’ai toujours dit que nos employés devaient être des employés de l’ONU. Si quelqu’un vient avec deux casquettes, cette personne doit partir avec sa casquette gouvernementale et nous laisser. Mais même la CIA ou les services de renseignement nationaux ne peuvent affirmer à 100 % n’avoir aucune taupe dans leurs rangs. On ne peut pas le jurer non plus. Mais je renverrais quiconque ferait cela, y-compris au profit du gouvernement irakien.
RFI: Quelles leçons tirez-vous de l’expérience de l’Unscom ?
HB: L’efficacité reste un critère, mais je pense que notre travail n’est pas d’humilier, de harceler ou de provoquer les Irakiens. Ce n’est pas le but de l’ONU. Nous ne proposons pas non plus d’utiliser des outils électroniques pour espionner les conversations et les communications. Nous n’écoutons pas les conversations téléphoniques.
RFI: Les Etats-Unis se préparent à entrer en guerre contre l’Irak. Le Pentagone affirme ouvertement que le retour des inspecteurs serait inutile, et même contre-productif. Comment cela influence-t-il votre travail ?
HB: Nous ne nous occupons pas de cela, mais je suis sûr que les Irakiens en sont avertis. On s’en tient au mandat du Conseil de sécurité, c’est tout. Pour moi, la position américaine est celle présentée par George Bush qui demande le retour des inspecteurs.
RFI: Comment pouvez-vous assurer que vos inspecteurs ne deviendront pas des otages ?
HB: Ce n’est pas la pratique habituelle des Irakiens de prendre des otages, même si il y a eu quelques problèmes. Notre demande fondamentale est que l’Irak assure la sécurité de nos personnels. Mais nous ne sommes pas une force d’occupation, nous n’avons aucune escorte militaire.
RFI: L’inspection est la dernière chance de Saddam Hussein ?
HB: Depuis le 11 septembre, la situation est devenue plus sensible. Les attentats ont illustré le risque encouru si les terroristes avaient des armes de destruction de masse. Ils en feraient usage sans aucune restriction. L’étape suivante est de poser la question : et si des Etats en avaient ? Le danger de la prolifération des armes de destruction de masse est devenu bien réel pour le monde entier. La coopération a été et reste pour l’Irak le seul chemin pour sortir du tunnel. Et ils pouvaient en sortir dès 1991.
par Propos recueillis par Philippe Bolopion
Article publié le 30/03/2002