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Zimbabwe

Le Commonwealth condamne Mugabe

Le Zimbabwe, à la surprise générale, a été suspendu mardi du Commonwealth pour un an avec effet immédiat. L'organisation regroupant les anciennes colonies britanniques entend néanmoins travailler à la réconciliation dans un pays divisé. Celle-ci s'annonce difficile, alors que leader de l'opposition, Morgan Tsvangira a été inculpé de trahison.
Contre toute attente, dans la soirée du 19 mars, le Zimbabwe a été suspendu du Commonwealth pour un an. L’organisation qui réunit la Grande Bretagne et ses anciennes colonies a endossé les conclusions de ses observateurs qui avaient émis des doutes sérieux sur la réélection du président Mugabe, au terme du scrutin des 9, 10 et 11 mars, avec 56,2% contre son rival Morgan Tsvangirai. Ces derniers avaient conclu que la victoire du chef de l’Etat sortant a été obtenue dans un «climat de peur» à l’issue d’un scrutin qui «n’a pas été libre».

Début mars, le sommet biennal du Commonwealth, à Coolum (Australie), avait mandaté une commission de trois membres –les présidents sud-africain Thabo Mbeki et nigérian Obasanjo, ainsi que le Premier ministre australien John Howard –pour arrêter sa position sur le déroulement de la présidentielle. Mais dans le même temps, une majorité d’Etats membres, dont les pays africains, avait alors refusé de mettre le Zimbabwe à l’index, malgré les pressions de la Grande Bretagne, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande qui dénonçaient la répression politique et les dérives de la réforme agraire accélérée lancée en février 2000. Ce qui laissait penser que, même mal réélu, Robert Mugabe s’en tirerait encore une fois.

Tsvangirai inculpé de trahison

Il n’en a rien été. Tenant compte de l’avis du chef de sa mission d’observateurs, l’ancien président nigérian Abdulsalami Abubakar, la troïka a décidé «de suspendre le Zimbabwe des conseils du Commonwealth pour un an avec effet immédiat», a annoncé le Premier ministre australien. Décision qui sera toutefois revue d’ici douze mois «à la lumière des progrès effectués».

Pour le Premier ministre britannique Tony Blair, qui avait ardemment milité pour obtenir les sanctions ciblées de l’Union européenne contre Harare, il s’agit d’une victoire, après le camouflet de Coolum. Pour le régime de Robert Mugabe, en revanche, c’est évidemment un coup dur et une étonnante ironie de l’histoire. Dans les années 60 et 70, le régime proche de l’apartheid de Ian Smith, contre lequel l’actuel président zimbabwéen avait pris le maquis, avait en effet subi de fortes pressions de la part du Commonwealth, à l’instigation notamment du président tanzanien Julius Nyerere et de ses homologues ougandais et sierra-léonais.

Ces derniers mois, face aux pressions extérieures, le président zimbabwéen n’a d’ailleurs cessé de jouer sur le registre de la lutte contre le retour de l’ordre ancien, accusant les Occidentaux de vouloir l’abattre pour l’empêcher de rendre aux Noirs les terres encore dans les mains de fermiers d’origine européenne. Son discours avait fait mouche parmi ses pairs africains qui ont d’abord fait bloc autour de lui, soit parce qu’ils craignaient de se retrouver un jour à sa place, soit parce que, comme le sud-africain Thabo Mbeki, ils préféraient ménager leur opinion intérieure, voire éviter une confrontation directe avec l’un des leaders historique de la région.

La décision du Commonwealth est d’autant plus significative que les présidents sud-africain et nigérian apparaissaient, jusqu’ici, comme les tenants d’une «diplomatie douce» à l’égard de Harare. Avec John Howard, ceux-ci ont tout de même assorti leur décision d’un engagement «à promouvoir la réconciliation entre les principaux partis politiques du Zimbabwe». En outre, Thabo Mbeki et Olusegun Obasanjo, qui se sont déjà rendus à Harare en début de semaine pour rencontrer Mugabe et Tsvangirai, vont continuer à jouer les médiateurs afin de trouver une issue à la crise, alors que le Zimbabwe fait face à une pénurie alimentaire et à de graves problèmes économiques. En d’autres termes, le Commonwealth lance un sérieux avertissement à Harare, tout en tenant compte des inquiétudes des pays voisins qui redoutent les retombées d'un effondrement de la deuxième puissance d’Afrique australe.

Comme on pouvait s’y attendre, le gouvernement zimbabwéen a mal réagi au verdict de l'organisation. Le ministre de l’Information, Jonathan Moyo a dénoncé une «mauvaise décision» basée «sur un mauvais rapport». Mercredi, l’espoir de négociations, appelées de ses vœux par la Troïka et auxquelles Morgan Tsvangirai semblait ouvert sous conditions, est rapidement retombé. Dans la journée, le leader du Mouvement pour le changement démocratique(MDC) a été inculpé de trahison par un tribunal de Harare, de même qu’un autre responsable de son parti, Renson Gasela. Les deux hommes ont été laissés en liberté, contre une forte caution. Ils devront néanmoins se présenter chaque semaine à la police et ont été privés de passeport. A cela s’ajoutent les démêlées judiciaires du secrétaire général du parti, Welshman Ncube, également inculpé de trahison, au lendemain de l’élection présidentielle. Accusés de complot par un ancien agent secret israélien proche du président Mugabe, les trois responsables s’estiment victime d’une machination. Et à l’évidence, leur inculpation compromet, pour l’instant, sérieusement les chances de dialogue avec le pouvoir.



par Christophe  Champin

Article publié le 21/03/2002