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Serbie

L’économie serbe menacée par les sanctions

La Serbie risque l’étouffement économique en raison de l’arrêt des crédits si le gouvernement ne coopère pas avec le TPI de La Haye.
«Nous vivons un moment crucial qui peut nous ramener vers l’isolement et arrêter tout le processus de réformes économiques», juge solennellement Goran Pitic, ministre au gouvernement serbe responsable des relations économiques avec l’étranger. La Serbie court ce risque à cause de sa faible coopération avec le Tribunal Pénal International de La Haye (TPIY), devenu un enjeu de politique intérieure. Si rien de significatif n’est fait dans les jours qui viennent, les États-Unis, qui ont déjà gelé leur aide le 31 mars dernier, peuvent la suspendre définitivement. Quant à l’Union Européenne, elle est plus flexible en ce qui concerne les échéances, «mais les positions de principe sont les mêmes», selon Charles Crowford, ambassadeur de la Grande Bretagne à Belgrade. «Le fait est que le pays aura de graves problèmes dans les institutions financières internationales si la question de la coopération avec le TPIY n’est pas réglée rapidement», explique l’ambassadeur.

Les enjeux sont de taille. Ce n’est pas tant l’aide américaine bilatérale qui est décisive. Il s’agit d’une fourchette entre 40 et 110 millions de dollars par an. Mais si les États-Unis décident de ne pas accorder leur aide, ils voteront également contre l’octroi de crédits au sein des conseils d’administration des institutions financières internationales comme la Banque Mondiale ou le Fonds monétaire international. Selon Bozidar Delic, ministre des finances au gouvernement serbe, une décision négative américaine cassera tout net l’élan des réformes, car ce sont des sommes colossales qui sont en jeu. Selon lui, c’est 800 millions de dollars de prêts par le FMI qui seront compromis car ils doivent être approuvés par le Conseil d’administration en mai.

A cela s’ajoutent 460 millions de dollars de la Banque mondiale et autant de la Banque Européenne de Reconstruction et du Développement (BERD) et de la Banque Européenne d’Investissement (BEI). De plus, le Club de Paris a effacé l’an dernier 66% des dettes, le rééchelonnement du reste sera remis en question et l’effacement des dettes par le Club de Londres voué aux oubliettes. Enfin, la dynamique des investisseurs privés étrangers risque de se briser par perte de confiance. Sans parler des incidences sur la stabilité régionale.

La coalition au pouvoir divisée

Cette épée de Damoclès menace alors que le pays commence tout juste sa transition après dix ans de guerres et de sanctions économiques. «Nous ne pouvons nous passer de l’aide internationale pour l’instant», explique Bozidar Delic après avoir dépeint le tableau : seuls les bombardements de l’OTAN ont provoqué 9 milliards de dollars de dommages sur les infrastructures civiles ; la question des 720 000 réfugiés et 200.000 déplacés du Kosovo n’est pas réglée; il y a 40% de chômage réel et le PNB par habitant est de 800$ par an, soit un tiers de celui d’il y a dix ans». Si l’on considère qu’en dessous de 2$ par jour on est en dessous du seuil de pauvreté, c’est deux tiers de la population qui sont dans ce cas, renchérit Miroljub Labus, vice-président du gouvernement fédéral chargé des relations économiques et principal interlocuteur de la communauté internationale dans ce domaine.

Face à ces enjeux, la coalition au pouvoir en Serbie qui a renversé l’ancien président Milosevic, se divise en deux camps désormais à couteaux tirés et en fait une question de politique intérieure dans la perspective de prochaines élections. D’une part, celui du premier ministre serbe Djindjic qui «coopère de manière satisfaisante avec le TPIY», selon le procureur du Tribunal Carla del Ponte et les diplomates occidentaux, et traite le président de «couard irresponsable» et «patriote bon marché». Cela dit, il n’a pas fait opérer de nouveaux transferts à La Haye, cherchant à obtenir «un plus grand consensus politique». D’autre part, celui du président fédéral Kostunica, nationaliste modéré, montré du doigt par le TPIY comme celui qui freine la coopération. «Le président charme le corps électoral conservateur et ne peut se passer des services des cercles de l’armée qui n’ont pas la conscience tranquille et de ceux qui sont idéologiquement proches de l’ancien régime», analyse Srba Brankovic, de l’agence Medium.

Vojislav Kostunica, après avoir dit que le TPIY lui donnait la «nausée», a déclaré l’avoir «digéré». Mais s’il se résigne à cette coopération inévitable, il insiste à nouveau sur le fait qu’elle doit être régie par une loi fédérale qui comprendrait la possibilité de transférer des inculpés à La Haye. Sachant que depuis un an cette loi n’a pu être adoptée. «Personne ne nous a directement menacé de sanctions», dit-il, au risque de se faire passer pour un autiste, en plaidant que la plupart des conditions posées à la poursuite de l’aide ont été remplies : transfert de prisonniers albanais, clarification des relations avec la Republika Srpska de Bosnie et vote d’une loi pour la protection des minorités. «Si dans quelques jours la loi n’est pas votée, la République de Serbie appliquera directement le statut du TPIY et transférera les inculpés à La Haye», a répondu le premier ministre Djindjic, justifiant que «personne ne pourra expliquer à la population de nouvelles sanctions».

Car in fine, si 60% des Serbes ont une image négative du TPIY considéré comme parti pris, seuls 15% considèrent qu’il faut s’y opposer à tout prix, selon l’agence SMRI. La préoccupation principale de la population étant leur santé et leur niveau de vie.



par Milica  Cubrilo

Article publié le 05/04/2002