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Tunisie

Treize morts près de la synagogue de Ghriba

Simple accident ou attentat mûrement prémédité ? L’explosion d’un camion citerne venu heurter un mur de la synagogue de Ghriba, sur l’île de Djerba, a suscité l’émoi chez les Tunisiens, semant le doute au sein des communautés juives et musulmanes qui jusqu’à présent vivaient en parfaite harmonie. Ce drame qui a provoqué la mort de treize personnes - huit touristes allemands, quatre Tunisiens et un Franco-tunisien - n’est pas sans conséquence pour un pays qui joue la carte de la stabilité et dont la principale ressource est le tourisme.
L’explosion a été entendue à des kilomètres à la ronde. Un camion citerne, chargé d’approvisionner en gaz les petites épiceries de l’île de Djerba, est allé s’encastrer dans l’un des murs d’enceinte de la synagogue de Ghriba. L’explosion a provoqué un grand mouvement de panique à l’intérieur de ce lieu de culte exigu et dépourvu d’issues de secours. Des dizaines de touristes, suffoquant, ont réussi à échapper aux flammes et à la fumée très dense. Les secours dépêchés sur place ont rapidement évacué par hélicoptères les blessés souffrant pour la plupart de brûlures, vers les hôpitaux de Djerba et du continent. La police a, de son côté, immédiatement bouclé le secteur, empêchant les proches des victimes et les journalistes d’accéder au lieu du drame. Les communications téléphoniques ont même été coupées et ni la synagogue, ni l’école talmudique mitoyenne n’étaient joignables.

Officiellement, il s’agit d’une «explosion accidentelle». Une version qui n’a pas empêché les Tunisiens de penser au pire en évoquant l’hypothèse d’un «camion kamikaze». Le Comité pour le respect des droits de l’Homme en Tunisie, a ainsi émis des doutes sur les explications des autorités tunisiennes. Cette organisation, basée à Paris, considère en effet que «compte tenu de la configuration des lieux -la synagogue donnant sur une voie sans issue-, la version officielle est sujette à caution». A l’heure où plusieurs synagogues ont fait l’objet d’attaques à travers le monde et notamment en France, conséquence directe de la radicalisation du conflit au Proche-Orient, le doute est en effet permis. Un doute que rejette en bloc la communauté juive tunisienne. Son président, Pérez Trabelsi, a en effet tenu à affirmer que le drame de Ghriba était la conséquence d’un «accident ordinaire qui n’a rien à voir avec ce qui se passe au Proche-Orient». Selon lui, il n’y a pas «d’antisémitisme» en Tunisie où «la communauté israélite coexiste pacifiquement avec le reste de la population, sans discrimination aucune». La fermeté de ces déclarations n’a toutefois pas empêché les autorités israéliennes de qualifier le drame de Ghriba d’attentat. Une version confirmée par le quotidien allemand Bild qui cite des sources proches du gouvernement allemand selon lesquelles le chauffeur du camion citerne, garé devant la synagogue, avait apparemment déclenché l’explosion alors que la police s’apprêtait à le contrôler. Officiellement toutefois, le chancelier Gerhard Schroeder a déclaré que «l’on ne pouvait actuellement pas juger s’il s’agissait d’un crime ou d’un accident». Deux spécialistes de la police criminelle fédérale ont été dépêchés sur place pour les besoins de l’enquête.

Le drame de Ghriba, coup dur pour le tourisme tunisien

Considéré comme le plus ancien lieu de culte du judaïsme en Afrique, la synagogue de Ghriba, représente surtout un symbole de tolérance et de cohabitation entre juifs et musulmans en terre d’Islam. Chaque année, au mois de mai, plusieurs milliers de juifs, d’Europe et d’Israël, y viennent en pèlerinage. L’île de Djerba, haut lieu du tourisme tunisien avec ses plages et palaces, comprend également une quinzaine d’autres synagogues mais celle de Ghriba est sans aucun la plus réputée puisque selon la tradition, elle aurait été construite en 586 avant Jésus-Christ sur une pierre arrachée au premier temple de Salomon. On peut également y voir l’une des plus ancienne torah du monde avec ses cylindres d’argent.

Dans ce contexte, le drame de Ghriba risque de porter un coup dur au tourisme, l’une des principales ressources de la Tunisie. Le secteur a déjà été fortement ébranlé par les attentats du 11 septembre et avait enregistré un nombre important d’annulations dans les semaines qui ont suivi. Tunis avait certes multiplié les campagnes de publicités axées sur la sûreté et stabilité du pays mais en vain. Le mois de janvier 2002 avait ainsi été marqué par une chute 40% des entrées par rapport au mois de janvier de l’année précédente. Par ailleurs, si la thèse de l’attentat venait à se confirmer, c’est tout le système sécuritaire du président Ben Ali qui serait à mal. N’a-t-on pas en effet justifié pendant des années la répression en Tunisie par la nécessité de lutter contre l’intégrisme ?



par Mounia  Daoudi

Article publié le 13/04/2002