Balkans
Le Monténégro s’interroge sur son avenir
La petite république du Monténégro traverse une crise politique sérieuse après la démission de plusieurs ministres du Parti social-démocrate (indépendantiste). Ils dénoncent l’accord pour la création d’un nouvel Etat “Serbie et Monténégro” adopté mardi par les parlement des ces deux républiques ex-yougoslaves. Au Monténégro, les positions sur l’indépendance sont tranchées et recoupent les clivages ethniques. Reportage.
De notre correspondant dans les Balkans
Dans le nord du Monténégro, les positions sont tranchées, et correspondent essentiellement aux lignes de fracture ethnique. Le secrétaire de la mairie de Plav, Hakija Ljesnjanin, un Slave musulman militant du Parti social-démocrate (SDP, indépendantiste), fait le décompte du corps électoral de la commune. “Plav compte 20000 habitants, dont 22% d’Albanais: pour eux, les élections sont comme un recensement, ils votent pour leurs partis ethniques. C’est la même chose pour les 18% d’orthodoxes, qui se disent Serbes ou Monténégrins: ils voteront toujours pour des partis pro-serbes plus ou moins radicaux. Le Président Djukanovic n’obtient pas 200 voix orthodoxes dans notre commune. Seuls les Musulmans sont partagés: certains votent pour Milo Djukanovic, d’autres pour des partis plus indépendantistes, comme le SDP, ou encore pour le parti musulman SDA”.
Le dirigeant local de cette formation, Kemal Purisic, confirme, avec une nuance sémantique: “le terme de Musulmans, au sens national, ne veut rien dire, c’est une invention des communistes, nous nous définissons comme des Boshniaques, et c’est vrai que la grande majorité des Boshniaques votent pour Djukanovic, car ils croient qu’il peut leur garantir une protection. Ici, tout le monde craint la guerre civile ”.
La misère est la chose la mieux partagée
Le village de Murino est entièrement orthodoxe. Ici, le 30 avril 1999, l’OTAN a bombardé un petit pont, tuant six personnes, dont deux adolescentes. Les villageois n’en finissent pas de remâcher leur deuil et leur amertume. Vesna tient l’unique café du village, aux murs entièrement décorés de fresques réalisées par son mari, qui a peint les saints orthodoxes, Slobodan Milosevic et Momir Bulatovic, ancien Président de la République du Monténégro, ancien Premier Ministre fédéral, et maintenant dirigeant d’un petit parti resté fidèle à l’ancien maître de Belgrade. Au-dessus du comptoir, une affiche proclame: “Milosevic, reviens!”. “Yougoslavie ou Union de Serbie et du Monténégro, peu importe le nom: l’essentiel est que nous demeurions unis. Le Monténégro est une terre serbe”, explique Vesna.
Le pont détruit par l’OTAN a été reconstruit, mais les maisons aux alentours portent toujours les traces de la tragédie. “Et nous n’avons pas touché un dinar pour les reconstruire”, s’indigne Vesna! “Ne dis pas cela, l’interrompt un consommateur, notre Etat fédéral a payé ce qu’il pouvait. – Non, reprend-elle, notre Etat nous a volé, il faut le dire. Nous sommes misérables, mais nous sommes quand même pour la Yougoslavie”.
La misère est en effet la chose la mieux partagée par les habitants du nord du Monténégro. Selon les statistiques de la mairie, la commune de Plav compte aujourd’hui 93% de chômeurs, alors qu’elle abrite plus de 1600 réfugiés, des Serbes du Kosovo, mais surtout des “Boshniaques” du Kosovo ou de Bosnie-Herzégovine, qui n’ont toujours pas pu rentrer chez eux, sept ans après la fin de la guerre.
Plav paye aussi le prix de son isolement. Les Slaves musulmans et les Albanais cultivent un complexe obsidional puisque la seule route qui les relie au reste du pays passe par des zones orthodoxes. Au-delà de Gusinje, les sommets des Montagnes Maudites, qui culminent à 2600 mètres, marquent la frontière avec l’Albanie. Autrefois, Plav et le petit bourg de Gusinje étaient pourtant des étapes sur le chemin des caravanes qui reliaient Dubrovnik à Istanbul. Il existe un projet de route qui relierait directement Plav à la capitale Podgorica, mais cet axe devrait traverser l’Albanie, et Belgrade s’oppose toujours à la réouverture de cette frontière fermée depuis 1918. Il reste donc une seule échappatoire, l’exil. Dans la seule ville de New York, on compterait 25000 immigrés originaires de Plav.
Professeur de français originaire de Serbie, Dusica jette un regard critique sur la société du nord du Monténégro : “les gens parviennent à vivre ensemble depuis des siècles, mais chacun tient à affirmer son identité, à revendiquer sa différence. Le nord est un baril de poudre. Si les négociations sur le futur Etat échouent, il suffira de très peu de choses pour que toute la région s’enflamme”. Le souvenir des massacres des guerres balkaniques, puis de la Seconde Guerre mondiale est toujours vivace, et chacun croit que l’autre communauté la menace. “Il n’y a pas de débat politique, mais une peur permanente pour la survie de chaque communauté”, explique Rasim Gacevic, le Président de la section locale de l’Alliance libérale (indépendantiste): “si l’Europe nous interdit l’indépendance, il faut qu’elle s’attende à en payer le prix”.
Dans le nord du Monténégro, les positions sont tranchées, et correspondent essentiellement aux lignes de fracture ethnique. Le secrétaire de la mairie de Plav, Hakija Ljesnjanin, un Slave musulman militant du Parti social-démocrate (SDP, indépendantiste), fait le décompte du corps électoral de la commune. “Plav compte 20000 habitants, dont 22% d’Albanais: pour eux, les élections sont comme un recensement, ils votent pour leurs partis ethniques. C’est la même chose pour les 18% d’orthodoxes, qui se disent Serbes ou Monténégrins: ils voteront toujours pour des partis pro-serbes plus ou moins radicaux. Le Président Djukanovic n’obtient pas 200 voix orthodoxes dans notre commune. Seuls les Musulmans sont partagés: certains votent pour Milo Djukanovic, d’autres pour des partis plus indépendantistes, comme le SDP, ou encore pour le parti musulman SDA”.
Le dirigeant local de cette formation, Kemal Purisic, confirme, avec une nuance sémantique: “le terme de Musulmans, au sens national, ne veut rien dire, c’est une invention des communistes, nous nous définissons comme des Boshniaques, et c’est vrai que la grande majorité des Boshniaques votent pour Djukanovic, car ils croient qu’il peut leur garantir une protection. Ici, tout le monde craint la guerre civile ”.
La misère est la chose la mieux partagée
Le village de Murino est entièrement orthodoxe. Ici, le 30 avril 1999, l’OTAN a bombardé un petit pont, tuant six personnes, dont deux adolescentes. Les villageois n’en finissent pas de remâcher leur deuil et leur amertume. Vesna tient l’unique café du village, aux murs entièrement décorés de fresques réalisées par son mari, qui a peint les saints orthodoxes, Slobodan Milosevic et Momir Bulatovic, ancien Président de la République du Monténégro, ancien Premier Ministre fédéral, et maintenant dirigeant d’un petit parti resté fidèle à l’ancien maître de Belgrade. Au-dessus du comptoir, une affiche proclame: “Milosevic, reviens!”. “Yougoslavie ou Union de Serbie et du Monténégro, peu importe le nom: l’essentiel est que nous demeurions unis. Le Monténégro est une terre serbe”, explique Vesna.
Le pont détruit par l’OTAN a été reconstruit, mais les maisons aux alentours portent toujours les traces de la tragédie. “Et nous n’avons pas touché un dinar pour les reconstruire”, s’indigne Vesna! “Ne dis pas cela, l’interrompt un consommateur, notre Etat fédéral a payé ce qu’il pouvait. – Non, reprend-elle, notre Etat nous a volé, il faut le dire. Nous sommes misérables, mais nous sommes quand même pour la Yougoslavie”.
La misère est en effet la chose la mieux partagée par les habitants du nord du Monténégro. Selon les statistiques de la mairie, la commune de Plav compte aujourd’hui 93% de chômeurs, alors qu’elle abrite plus de 1600 réfugiés, des Serbes du Kosovo, mais surtout des “Boshniaques” du Kosovo ou de Bosnie-Herzégovine, qui n’ont toujours pas pu rentrer chez eux, sept ans après la fin de la guerre.
Plav paye aussi le prix de son isolement. Les Slaves musulmans et les Albanais cultivent un complexe obsidional puisque la seule route qui les relie au reste du pays passe par des zones orthodoxes. Au-delà de Gusinje, les sommets des Montagnes Maudites, qui culminent à 2600 mètres, marquent la frontière avec l’Albanie. Autrefois, Plav et le petit bourg de Gusinje étaient pourtant des étapes sur le chemin des caravanes qui reliaient Dubrovnik à Istanbul. Il existe un projet de route qui relierait directement Plav à la capitale Podgorica, mais cet axe devrait traverser l’Albanie, et Belgrade s’oppose toujours à la réouverture de cette frontière fermée depuis 1918. Il reste donc une seule échappatoire, l’exil. Dans la seule ville de New York, on compterait 25000 immigrés originaires de Plav.
Professeur de français originaire de Serbie, Dusica jette un regard critique sur la société du nord du Monténégro : “les gens parviennent à vivre ensemble depuis des siècles, mais chacun tient à affirmer son identité, à revendiquer sa différence. Le nord est un baril de poudre. Si les négociations sur le futur Etat échouent, il suffira de très peu de choses pour que toute la région s’enflamme”. Le souvenir des massacres des guerres balkaniques, puis de la Seconde Guerre mondiale est toujours vivace, et chacun croit que l’autre communauté la menace. “Il n’y a pas de débat politique, mais une peur permanente pour la survie de chaque communauté”, explique Rasim Gacevic, le Président de la section locale de l’Alliance libérale (indépendantiste): “si l’Europe nous interdit l’indépendance, il faut qu’elle s’attende à en payer le prix”.
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 11/04/2002