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Justice

Viols en prison : la loi du silence

A l’occasion de son troisième procès, Patrick Dils, cet homme de 31 ans accusé du meurtre de deux enfants qui a déjà été condamné deux fois et tente aujourd’hui de faire reconnaître son innocence, a révélé qu’il avait été violé en prison. Au-delà de l’affaire elle-même, ce témoignage met en évidence les dysfonctionnements de l’univers carcéral français qui ont déjà été dénoncés à plusieurs reprises mais sans résultat pour le moment.
Patrick Dils a été violé en prison. Lors des premiers mois de son incarcération, dans les douches de la prison de Toul, il a été pris au piège par ses co-détenus et a subi des agressions sexuelles. «Qu’est-ce qu’il fallait que je fasse devant une vingtaine d’individus? J’ai été violé, oui, j’ai été violé».

La révélation est crue, brutale, elle fait certainement partie d’une stratégie de défense d’un accusé qui a décidé de plaider sa cause et de sortir du silence, mais les faits sont là. Incarcéré alors qu’il n’avait pas vingt ans, Patrick Dils a été soumis à un traitement dégradant dans l’enceinte d’une prison. Et il n’est pas le seul. Aucune donnée chiffrée ne permet de savoir combien de détenus sont violés, agressés mais pour François Bes, délégué aux groupes locaux de l’Observatoire international des prisons, ces pratiques sont «fréquentes» voire même «courantes».

Les premières victimes sont les auteurs de crimes sexuels. Ils sont les cibles privilégiées des rackets, brimades et violences en tout genre. Tout le monde le sait mais personne ne fait rien. Pour François Bes, il y a «un terrain d’entente [entre détenus et surveillants] sur le fait que ces personnes-là doivent morfler un peu plus… Rejugés, repunis…»

«La pauvreté crée des dépendances qui vont jusqu’aux services sexuels»

La prison est «le royaume de l’arbitraire». Les maisons d’arrêt où sont incarcérés les détenus en courtes peines et les personnes en détention provisoire «sont les établissements les plus violents». Cette situation vient du fait que c’est dans ces centres que les conditions de détention sont les plus dures. Surpopulation et promiscuité conjuguent leurs effets et provoquent des situations propices à l’agression. «A quatre dans une cellule de 9 m², même la personne la plus calme finit par péter les plombs».

Les problèmes d’infrastructures, de locaux insalubres sont réels mais ils ne sont pas les seuls en cause. C’est tout le fonctionnement du système carcéral qui est à revoir selon François Bes. «La sexualité n’existe pas en prison» et cette situation engendre des frustrations énormes. La France est dans ce domaine bien en retard par rapport à d’autres pays européens. L’Espagne, les Pays-Bas, par exemple, prennent en compte cette donnée et permettent aux détenus qui ont un conjoint d’avoir des relations sexuelles. En France, rien n’existe. Trois centres pilotes sont en cours de construction depuis 1998 mais dans le programme de mise en chantier de nouvelles prisons pour lequel 10 milliards de francs ont été débloqués, rien n’a été pensé pour prendre ce problème en compte.

Un autre phénomène favorise aussi les agressions sexuelles, de nombreux détenus en situation de pauvreté subissent la loi des plus fortunés et se livrent à une forme de prostitution . «La pauvreté crée des dépendances qui vont jusqu’aux services sexuels… mais tout cela est passé sous silence. Personne ne se vante de ce genre de chose surtout lorsque l’on touche à la sexualité et à l’homosexualité».

Lorsque les victimes de viols portent plainte, ce qui reste très rare, les auteurs des crimes sont généralement condamnés. Mais l’administration pénitentiaire n’est pratiquement jamais mise en cause. Pourtant, selon François Bes, «elle est responsable de l’intégrité physique des personnes qui lui sont confiées… Elle doit être sanctionnée».

Entre tabou et non-dit, les prisons françaises ressemblent bien souvent à des zones de non-droit desquelles les détenus ressortent «haineux», peut-être plus dangereux que lorsqu’ils y sont entrés. François Bes dénonce cette situation : «Tous les moyens sont mis sur la sécurité. Pourtant, l’administration pénitentiaire a deux missions, la garde et la réinsertion». Et dans ce deuxième domaine, les résultats sont quasi-inexistants «à l’exception de quelques cas très médiatisés».

Les dysfonctionnements de l’univers carcéral ont été dénoncés plusieurs fois depuis deux ans. Véronique Vasseur, médecin-chef à la prison de la Santé, à Paris, avait jeté un pavé dans la mare en publiant un livre dans lequel elle décrivait sans pitié le quotidien sordide des détenus. Un rapport parlementaire a ensuite mis en valeur l’état de délabrement des prisons françaises. Un projet de loi a failli être proposé à l’été 2001 mais a finalement fini aux oubliettes. François Bes estime donc que pour l’instant «rien n’a changé» et que «d’une manière générale, la prison est à l’heure actuelle une perte de temps, une destruction, les gens en sortent ou plus bousillés ou plus dangereux».

Liens utiles
Observatoire international des prisons
Rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les prisons
Rapport de la commission d'enquête du Sénat



par Valérie  Gas

Article publié le 10/04/2002