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France: présidentielle 2002

Le Pen attaque, Chirac veut rassembler

A l’approche du second tour, Jacques Chirac comme Jean-Marie Le Pen musclent leurs discours, notamment sur l’insécurité et l’immigration. Le candidat du Front national, qui avait abandonné excès et provocations ces derniers mois, renoue avec une tonalité extrémiste. Le président sortant, pour séduire un très large électorat, doit tenir un langage plus ambigu, promettant «l’application ferme de la loi» en matière d’immigration, tout en dénonçant «les slogans haineux».
Chassez le naturel, il revient au galop. Jusqu’au soir du premier tour, Jean-Marie Le Pen a mené une campagne sobre, déclinant ses thèmes favoris avec une modération inhabituelle, évitant tout propos excessif. Aux commentateurs qui s’étonnaient de découvrir «un nouveau Le Pen», il répondait, en évoquant les événements du 11 septembre, les incidents du Stade de France, le climat de violence et d’insécurité : «l’actualité me donne raison».

Maintenant qu’il est au second tour de l’élection présidentielle, le ton monte. Le candidat du Front national estime que ses chances de gagner sont infimes (il juge qu’«en dessous de 30%» des voix le 5 mai, ce ne sera pas «un succès»). Aussi renoue-t-il avec son agressivité traditionnelle et les provocations dont il est coutumier.

Pêle-mêle, il compare le divorce par consentement mutuel à la «répudiation arabe», affirme que le combat du 5 mai sera celui du «justicier contre le justiciable» (allusion aux enquêtes menaçant Jacques Chirac en cas de défaite), envisage des «camps de transit» pour les étrangers sans-papiers, réitère sa défense de la peine de mort, prétend que «le fascisme et le nazisme sont des mouvements de gauche», dénonce «le syndicat général des mafias, des lobbies, les syndicats politiciens, économiques, culturels de tout poil» qui sont «contre» sa candidature, affirme qu’il n’est «pas plus raciste» que le Premier ministre britannique, et suggère «un train spécial» d'immigrés clandestins du centre de rétention de Sangatte pour «les envoyer à M. Blair».

En vieux tribun populiste, en grand connaisseur de son électorat, Jean-Marie Le Pen joue le peuple contre les élites, «la France d’en haut» contre «la France d’en bas» qu’il assure incarner. Il accuse Jacques Chirac de «rejeter les électeurs du Front national de façon méprisante et anti-démocratique (...) Jamais les électeurs n'ont été aussi bafoués et méprisés par leurs dirigeants».

Pas question d’oublier son propre électorat

Si le discours lepéniste du second tour renoue brutalement avec des thèmes et une stratégie qui, pour être extrémistes, n’en sont pas moins cohérents, le positionnement de jacques Chirac est plus incertain. Depuis que le clivage droite-gauche se trouve provisoirement pulvérisé par un duel inédit, que Lionel Jospin, l’adversaire tant attendu, est éliminé, le président sortant apparaît comme le «rempart de la République». Situation d’autant plus délicate que, contraint d’incarner les valeurs humanistes communes à la droite et à la gauche, il doit en même temps tenter d’attirer les électeurs égarés qui ont voté Le Pen.

Comment capter au second tour de la présidentielle les voix de gauche qui fuiront son camp dès les législatives qui suivront ? Beaucoup de ces suffrages, certes, lui sont acquis face au danger extrémiste. D’autres sont nettement plus réticents. Jacques Chirac a donc décidé (avait-il le choix ?) de jouer pleinement le rôle de rassembleur qui lui échoit. Adoptant un ton solennel, il «appelle toutes les Françaises et tous les Français à se rassembler pour dire leur attachement à ce qui fait la France et pour défendre l'idéal républicain». Et de dénoncer «les vieux démons de la tentation extrémiste». Prônant une France ouverte, généreuse et tolérante, il déclare que «les enjeux du 5 mai sont immenses», car «il en va de l'image de la France sur la scène internationale, de sa capacité à être écoutée, respectée, de peser sur les événements du monde».

D’un autre côté, constatant que plus de 17% des voix se sont portés sur le candidat d’extrême-droite, le président sortant estime nécessaire de tenir un discours de fermeté, de se présenter comme l’homme d’une reprise en main politique. Jacques Chirac a ainsi évoqué pour la première fois, jeudi 25 avril, le thème de l’immigration. En direction des électeurs de Jean-Marie Le Pen, il a assuré que «dans une démocratie, il est vital de ne pas rester sourd à ce que chacun veut dire. L'inquiétude, le mécontentement, l'exigence de renouveau, je les ai entendus».

Le président sortant a également promis des décisions rapides sur la sécurité, et assuré que les ministres seront comptables de leur action devant le Parlement. De la détermination, du concret. Volontariste, le président sortant a annoncé que «dès le mois de mai, un ministre de la Sécurité sera nommé. Je réunirai le Conseil de sécurité intérieure. Les lois de programme pour la Justice et les forces de l’ordre seront élaborées, en vue d’être adoptées au cours d’une session extraordinaire du Parlement réunie dès l’été».

Mais dans cette stratégie tous azimuts, pas question d’oublier son propre électorat : Jacques Chirac a aussi attaqué les 35 heures, chères à la gauche, et «les restrictions budgétaires» en matière de défense. Et, revenant à des préoccupations franchement électoralistes, il renouvelé sa volonté de s'investir dans «la bataille des législatives» qui seront «le dernier acte du grand débat électoral de 2002», pour que son gouvernement «soit soutenu par une majorité de députés et qu'il ait les moyens de son efficacité».



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 26/04/2002