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Congo démocratique

Gbadolite, la ville où le temps s’est arrêté

Figée dans le souvenir de son lustre d’antan, lorsqu’elle abritait la résidence de Mobutu, la ville de Gbadolite vit aujourd’hui dans une torpeur à peine troublée par les rebelles de Jean-Pierre Bemba et les casques bleus de l’ONU. Reportage.
De notre envoyé spécial à Gbadolite

Certains ici à Gbadolite pensent que Mobutu est toujours vivant et qu’il va revenir. D’autres croient que Jean-Pierre Bemba, le nouveau maître de la ville, est en fait le fils de Mobutu. Une manière peut-être de se dire qu’un jour, tout redeviendra comme avant… Car «Gbado» est une ville figée dans le temps, dans le souvenir de sa prospérité des années 70 et 80, où l’oncle, le frère, le cousin travaillaient dans l’un des palais du «guide suprême».

Ici, tout s’est arrêté en 1997, avec le départ de Mobutu. Les palais ont été pillés par les soldats de Kabila, les Tchadiens, les Soudanais, les Ougandais ou encore les Rwandais. Des meubles précieux, des salons entiers, des dizaines de voitures de luxe ont ainsi été acheminés par avion vers Kigali ou Kampala. Le petit peuple lui aussi s’est servi. Il a pris les restes: prises de courants, fils électriques, dallages de marbre… Tout ce qui a pu être arraché ou démonté. Et aujourd’hui encore, il n’est pas rare de trouver au marché de Gbadolite quelques maigres reliques de la splendeur passée, comme des éléments de toiture ou des boiseries.

Dans sa folie des grandeurs, le Maréchal avait érigé près de sa ville d’adoption non pas un, mais trois palais. Le plus extraordinaire reste le «palais chinois», bâti sur l’une des collines de Kawele, à une vingtaine de kilomètres du centre-ville. Une succession de pagodes aux poutres sculptées, aux toits de céramique verte, avec leurs cours intérieures, leurs jardins aux nénuphars et leurs fontaines. Rien ne manque, pas même les dragons de pierre qui gardent encore l’entrée. Une sorte de reproduction de la «Cité interdite». L’idée, dit-on, en avait germé dans l’esprit du «léopard», après une visite officielle en Chine. Il avait alors fait venir des dizaines d’ouvriers chinois pour bâtir sa «folie».

Le lit de Mobutu est resté là

Aujourd’hui, la route sinueuse qui mène à ce palais anachronique a perdu son goudron. La pluie a fait son œuvre, creusant d’immenses ravines. On y accède qu’en 4x4, après avoir montré patte blanche aux soldats du MLC qui gardent l’entrée nuit et jour. Des gamins d’une quinzaine d’année, tout au plus, la kalachnikov en bandoulière, qui tuent l’ennui à coup de cigarettes et de cocas.

Sur la colline voisine, se dresse l’imposante résidence privée. Une immense villa basse, aux murs plaqués en marbre de Carrare. Lorsqu’on pénètre dans les pièces dévastées, le silence est rompu par le crissement du verre brisé sous nos pas et par les cris des hirondelles d’Afrique qui ont investi les lieux. Là encore, il ne reste plus rien. Même certains montants de porte ont été arrachés.

La chambre à coucher du Maréchal s’ouvre sur une immense terrasse creusée d’une piscine aux formes concentriques. Le lit du souverain est resté. Et pour cause, il s’agit d’une sorte de baignoire en marbre rose, en forme de croix. Une couche royale télécommandée qui pouvait s’élever, pour jouir de la vue, ou s’abaisser dans l’épaisseur de la pierre…

A 25 kilomètres de là, près de Gbadolite, en empruntant toujours cette même route goudronnée, la seule de la région, on arrive à la «résidence officielle», le palais «Bambou». Une bâtisse de marbre blanc, composée de deux étages à la hauteur de plafond spectaculaire. Dans le grand salon, trônent encore une série de lustres monumentaux, quasiment intacts. Autour du bâtiment: 700 hectares de plantations, dont une superbe forêt de manguiers. Ici aussi, tout a été pillé. Même les sépultures de la famille présidentielle. Les caveaux de la première femme de Mobutu et de l’un de ses fils ont été ouverts. On savait qu’ils avaient été enterrés avec leurs bijoux…

Retour à Gbadolite, le temps de prendre une bière «Primus» au motel Nzekele, dont les quatre étoiles ont bien pâli depuis la glorieuse époque. Officiellement, les lieux appartiennent toujours à la famille Mobutu. Et en attendant des jours meilleurs, un administrateur «provisoire» tente de faire tourner l’établissement tant bien que mal. Les luxueux bungalows d’autrefois abritent désormais les familles du personnel et quelques clients de passage, comme ce pilote privé français, dont le patron fait la navette entre Gbadolite, Kampala et… Dubaï. Il ne sera guère bavard, bien sûr, sur les cargaisons qu’il transporte.

Mais depuis un peu plus de deux ans maintenant, les principaux clients du motel sont les observateurs militaires de la MONUC, la Mission de l’ONU au Congo. Huit officiers, dont un Malien, un Kenyan, un Russe, un Pakistanais, un Norvégien, ou encore un Jordanien, défrayés 200 dollars par jour, qui trompent l’ennui en se promenant dans leurs 4x4 climatisés. Car ici, il n’y a pas grand-chose à surveiller. Il y a bien encore quelques soldats ougandais dans le coin, près de l’aéroport. Trois cents hommes du 35ème bataillon d’infanterie, officiellement «en transit» avant de regagner leur pays, conformément aux accords de retrait militaire. Mais ils restent plutôt discrets.

Dans le centre ville, on trouve encore d’autres vestiges de la splendeur passée, comme les anciens sièges des entreprises nationales, depuis longtemps désertés. La vie économique s’est déplacée un peu plus bas, au Grand marché et au marché de Makulungulu. C’est le véritable centre d’activité de la ville et de la région. Et ici, les commerçants n’attendent qu’une seule chose: la reprise du trafic fluvial vers Kinshasa, maintes fois promis par le MLC et par l’ONU, mais dans les faits toujours impossible, en raison du conflit qui n’en finit plus. Autrefois, la province de l’Equateur était l’un des greniers de Kinshasa. Des centaines de tonnes de café ou de maïs transitaient par le fleuve Congo. Maintenant, quand ils ne pourrissent pas sur pied, les surplus agricoles de la région sont écoulés au nord, notamment en Centrafrique, où les profits sont moindres… Et certains ici, regardent d’un œil envieux tous ces avions de la MONUC, aux soutes quasiment vides. Et encore une fois, les habitants de «Gbado» évoquent avec nostalgie leur passé glorieux, où même le Concorde venait atterrir chez eux.



par Frédéric  Couteau

Article publié le 30/04/2002