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Algérie

Tamazight: une reconnaissance qui ne règle rien

L'Algérie a désormais deux langues nationales, l'arabe et le tamazight, grâce à un amendement constitutionnel voté lundi à une écrasante majorité par les députés et les sénateurs réunis en congrès. Mais si le tamazight est enfin reconnu par le pouvoir algérien après quarante ans de luttes que les émeutes qui secouent la Kabylie depuis près d'un an ont fait sortir de l'ombre, les Kabyles n'ont pour l'instant obtenu qu'une demi-victoire. Si la langue Berbère, parlée par 10 millions d'Algériens - soit un habitant sur trois - est en effet enfin reconnue, seul l'Arabe, pour le moment, a les attributs de «langue officielle».
Ironie de l’histoire, cette relative «consécration» du tamazight a été votée par les islamistes et les courants proches du pouvoir alors que le Front des forces socialistes de Hocine Aït Ahmed (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie de Saïd Saadi (RCD), traditionnellement bien implantés en Kabylie, ont boycotté le scrutin. Et même si ces deux partis sont peu représentés au Parlement algérien avec seulement une quarantaine de sièges sur plus de 500, leur abstention est significative du malaise qui règne en Kabylie à la veille de la commémoration, dans une dizaine de jours, du premier anniversaire du déclenchement de la vague de répression qui s’est abattue sur la région. Par son boycott, le FFS a voulu dénoncer «une grossière manœuvre qui menace l’unité et la cohésion nationale» et estime que la question du tamazight est «indissociable d’une solution politique et globale à la crise qui secoue la région». Si le RCD, de son côté, a affirmé que la reconnaissance du statut national de la langue berbère est «une avancée réelle», il estime, en revanche, qu’elle est «insuffisante alors que les droits de l’Homme sont quotidiennement bafoués en Kabylie». S’il répond à l’une des nombreuses revendications des Kabyles, le nouveau statut accordé au tamazight est donc loin d’apaiser les tensions dans la région. Plusieurs manifestations ont d’ailleurs été violemment réprimées ces dernières semaines et des représentants radicaux du mouvement kabyle ont même été arrêtés.

Une reconnaissance tardive

La crise kabyle, latente depuis des années, s’est déclenchée le 18 avril dernier au lendemain de la mort, dans les locaux de la gendarmerie de Beni Douala, près de Tizi Ouzou, d’un jeune lycéen tué par balles. La mauvaise gestion de ce drame par les autorités a alimenté des émeutes qui ont ensanglanté la région pendant plusieurs jours faisant officiellement une soixantaine de morts et 2000 blessés, alors que les contestataires parlent eux de 107 morts et plus de 6000 blessés. Depuis les relations entre le pouvoir et les arouchs, les représentants des comités de villages et de tribus en Kabylie, n’ont fait que se dégrader. Les arouchs réclament notamment depuis des mois le départ de la gendarmerie, principale responsable, selon eux, de la dégradation de la situation, alors qu’Abdelaziz Bouteflika ne veut concéder qu’un redéploiement limité. Pour les Kabyles, le président algérien, en refusant d’accéder à leur demande, consacre l’impunité. Ce dernier s’en défend estimant «inconcevable le démantèlement de la gendarmerie alors que le pays tout entier continue à lutter contre la barbarie terroriste»

Dans ce contexte, le nouveau statut du tamazight est considéré par beaucoup d'observateurs comme une concession tardive d’Abdelaziz Bouteflika. Ces derniers estiment en effet que la portée de cette décision a été amoindrie par les onze mois de confrontation qui ont prévalu en Kabylie. Restées sporadiques depuis le printemps dernier, les émeutes ont d’ailleurs repris de plus belle après le discours du 12 mars du président algérien au cours duquel il annonçait la reconnaissance de la langue berbère comme langue nationale. Ces affrontements ont déjà fait sept morts et plusieurs dizaines de blessés. Pour les Kabyles, il semble aujourd’hui clair que cette décision n’est qu’une basse manœuvre politicienne destinée à amener leur région à participer aux prochaines élections législatives prévues le 30 mai. Un scrutin que la coordination des arouchs a d’ors et déjà appelé à boycotter et auquel le FFS de Hocine Ait Ahmed et le RCD de Saïd Saadi ne participeront pas. Les voix sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à s’élever pour réclamer un report de ces élections.

A écouter aussi:
Interview avec Abdelmadjij Bencheikh, professeur de droit et Président du Comité international pour la paix, les droits de l'homme et la Démocratie



par Mounia  Daoudi

Article publié le 09/04/2002