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France: présidentielle 2002

Avec les manifestants du Front national

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont arpenté les rues de Paris entre la place du Châtelet et celle de l'Opéra (100 000 pour les organisateurs, 8 à 10 000 pour la police) en scandant leur slogan favori «Le Pen président». Reportage.
«C'est pas une manifestation de lycéens… Faites une ligne de jeunes bien droite !» Il n’y avait pas de place pour l’improvisation au départ de la manifestation pro-Le Pen du 1er mai. Les organisateurs ont donné le ton tout de suite. Ils ont appelé les jeunes du Front national à venir porter les couleurs de leur leader charismatique à la tête du cortège, revêtus de leur uniforme du jour, un tee-shirt vert, jaune ou orange sur lequel est inscrit en grosses lettres «Le Pen président».

Enthousiastes et convaincus, les jeunes n'ont pas été les derniers à scander les slogans («Le Pen à l'Elysée, Chirac à la Santé», «La France aux Français», «On est en finale», «Europe, jeunesse, révolution»…) et à porter les banderoles. D'ailleurs, cette manifestation pourrait certainement obtenir le record du nombre de drapeaux tricolores brandis au mètre carré. Pas de doute, les couleurs dominantes sont le bleu, le blanc et le rouge. Le Front national a vu grand et a prévu profusion de bannières.

Au-delà du côté folklorique du rassemblement, des refrains entonnés de vieilles chansons populaires (La Madelon…), des crânes rasés de près (très discrets), des inévitables catholiques traditionalistes : «Vieux de la vieille, Saint Nicolas du Chardonnet, militant depuis 19 ans, vous pouvez le dire !», et de quelques personnages excentriques comme cette vieille dame qui a transformé son teckel en chien sandwich à la gloire de Le Pen, on sent bien qu’il s’agit d’une manifestation pré-électorale, presque d’un grand meeting à ciel ouvert où les gens sont venus soutenir leur candidat.

«Un vote raisonné»

Une jeune fille de 18 ans, qui a inauguré son droit de vote le 21 avril, explique que contrairement à ce qu’elle entend concernant l’électorat de Jean-Marie Le Pen, il ne s’agit pas «d’un vote protestataire mais d’ un vote raisonné». Elle affirme que pour sa part, elle a choisi le programme du candidat du FN, «sa politique économique, sociale, ses propositions sur l’insécurité, sur le surplus de l’immigration». Son point de vue de jeune électrice, elle se l’est formé toute seule, ou presque : «Mes frères et sœurs votent Le Pen mais mes parents votent Chirac». Et elle critique les attaques dont Jean-Marie Le Pen fait l’objet : «Il n’est pas raciste».

Même son de cloche chez ses aînés. Une élue d’une commune du Val d’Oise, présente pour la première fois à une manifestation du Front national en a assez qu’on continue à accuser Jean-Marie Le Pen de racisme à cause de dérapages anciens : «On lui reproche toujours la même chose, "le détail″. Si Le Pen avait tenu les mêmes propos que Chirac en banlieue sur les odeurs dans les cages d’escaliers, on en parlerait encore dix après». Elle ne comprend pas qu’en France «la démocratie commence à l’extrême-gauche mais s’arrête au centre-droit». Et si elle ne fait pas partie des militants du Front national, d’ailleurs au premier tour de la présidentielle elle a voté pour Alain Madelin, elle affirme être venue pour soutenir ces derniers qui «continuent à défendre leurs idées qui sont défendables et qui ont du courage». Et au deuxième tour, elle ne votera pas pour Jacques Chirac : «Je suis convaincue depuis longtemps que Jacques Chirac est un homme de gauche et moi, je suis une femme de droite».

Certains sont là pour voir, pour se rendre compte par eux-mêmes et en direct. Comme ce jeune homme de 32 ans, sympathisant qui a déjà voté FN «mais pour des élections locales», et qui est venu avec le car affrété par les militants à Angoulême. «Je veux entendre Jean-Marie Le Pen, pour savoir si ce qu’on dit sur lui à propos du racisme, de la xénophobie est vrai. Si c’est le cas, je ne voterai pas pour lui au deuxième tour. Mais je ne crois pas que cela soit vrai». La place pour le doute ou la timidité à défendre une position si controversée… Il y a aussi des spectateurs ni convaincus, ni rebutés. Une dame se dit «fatiguée de la politique en France». Elle affirme qu’elle n’a pas voté Le Pen au premier tour, ne le fera pas non plus au deuxième, mais elle veut «voir ce qui se passe».

D’autres manifestants ont moins d’états d’âme. «Je viens tous les ans pour la manifestation de Jeanne d’Arc. Je vote pour Le Pen depuis longtemps, je votais déjà pour lui quand il était à 2,5 %». A 68 ans, cet habitant de la région bordelaise qui est venu avec son fils (38 ans, le béret vissé sur le crâne) et sa petite-fille (23 ans «partie rejoindre ses copines»), se dit «écoeuré par le caractère haineux des manifestations anti-Le Pen [organisées depuis les résultats du premier tour]». Il est convaincu que cela ne peut que «renforcer [ceux qui ont voté au premier tour] dans leurs positions et les raidir pour les législatives». D’ailleurs, dans le défilé on sent bien que nombre de manifestants sont sur la défensive, se méfient des journalistes («On sait comment vous procédez!»), et n’ont pas envie de s’expliquer. «Ce qu’on pense, c’est clair, vous le voyez bien ici», dit un monsieur en montrant le long cortège de la manifestation qui s’étale sur l’avenue de l’Opéra et écoute religieusement la fin du discours de Jean-Marie Le Pen.



par Valérie  Gas

Article publié le 01/05/2002