Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

France: présidentielle 2002

Le Pen à boulets rouges contre Chirac

Devant une foule de dizaines de milliers de personnes réunies mercredi 1er mai place de l’Opéra à Paris, le candidat du Front national a fustigé le président sortant, son adversaire au second tour de l’élection présidentielle, le qualifiant de «parrain des clans». Reportage.
«L’établissement porte Chirac sur le pavois, mais Chirac n’est pas Clovis. C’est Quasimodo». A coups de formules assassines, passant de l’envolée lyrique à l’attaque triviale, Jean-Marie Le Pen a dirigé l’essentiel de son discours du 1er mai contre son adversaire. Pendant près d’une heure trente, le chef du Front national s’en est pris à Jacques Chirac, n’exposant son programme que pour mieux critiquer le bilan du président sortant, mêlant attaques personnelles et accusations diverses. Corruption, forfaiture, complot, mensonge, lâcheté, le réquisitoire lepéniste a visé l’homme autant que sa politique. Qualifié de «syndic de faillite de la République», Jacques Chirac s’est vu reprocher de ternir l’image du pays. «Ce n’est pas moi qui fait honte à la France à l’étranger, à affirmé Jean-Marie Le Pen. C’est Chirac qui salit l’image de la France, c’est Chirac qui fait monter la honte au front des citoyens de ce pays».

Pourquoi le président sortant veut-il se faire réélire ? «Pour échapper aux juges». Pourquoi s’est-il «piteusement dérobé à la traditionnelle confrontation télévisée» ? Parce que «comme la taupe craint la lumière, Jacques Chirac craint le débat sans prompteur». Pourquoi la grande majorité des partis politiques soutient-elle le président sortant au second tour ? Parce qu’«ils se coalisent tous pour continuer» à garder le pouvoir, «c’est-à-dire à s’entendre sur notre dos, quitte à s’étriper ensuite pour le partage du butin».

Une «Communauté francophone de 400 millions d’habitants»

Les syndicats, les évêques «bolchéviques», les «intellos», les artistes, les dirigeants politiques, les associations, les sportifs, les organisations professionnelles qui appellent à voter Chirac pour empêcher Le Pen d’accéder à l’Élysée ? Tous qualifiés de «pantins et coquins, requins et faquins». Dans son discours prononcé devant l’Opéra de Paris, le dirigeant d’extrême-droite a dénoncé «droite et gauche qui dansent le ballet des connivences». Si pour faire bloc contre le Front national, la classe politique «appelle à voter pour celui qu’elle voulait envoyer en prison», c’est parce que son adversaire s’appelle Jean-Marie Le Pen. Ironique, ce dernier a expliqué qu’il est «l’eau lustrale qui efface les péchés de la chiraquie». A côté des affaires qui menacent le candidat Chirac, «les casseroles du Bazar de l’Hôtel de Ville font figure de brocante». Et de conclure, soulevant les clameurs et les sifflets : «Le candidat sortant, c’est le parrain des clans qui mettent le pays en coupe réglée depuis deux décennies et qui s’offrent la belle vie avec l’argent des Français».

A plusieurs reprises, le chef du FN en a appelé à l’histoire de France et évoqué longuement Jeanne d’Arc, «modèle de fidélité porté par la foi et l’espérance» qui, en son temps, a «libéré sa patrie». Voyant des «similitudes troublantes» avec cette époque, Jean-Marie Le Pen a estimé qu’aujourd’hui, «il y a deux camps, celui de l’occupation et le nôtre, celui de la libération». Outre sa cible privilégiée, il n’a pas dédaigné s’en prendre aux socialistes, notamment à Martine Aubry pour sa loi sur les trente-cinq heures, à l’ancien garde des Sceaux Elisabeth Guigou pour sa politique jugée laxiste, et au président du patronat français (Medef) Ernest-Antoine Seillière, qui avait critiqué le programme économique du candidat Le Pen, et qui se voit qualifié de «figure éminente du loft sénile».

Devant une forêt de drapeaux tricolores, régulièrement interrompu par des «Le Pen, président!», le candidat du FN délaissait parfois les attaques pour développer ses thèmes favoris, insistant moins sur l’immigration que sur la situation de l’école («scandale des scandales»), où l’«on distribue les diplômes comme les cartes oranges», sur la politique de la famille et la natalité, «question de premier ordre qui mérite un grand plan de relance». Dénonçant le «fiscalisme», il a proposé la suppression progressive sur cinq ans de l’impôt sur le revenu (mesure «préconisée par plusieurs prix Nobel d’économie, dont le Français Maurice Allais») et des droits de succession.

Sur l’Europe, il s’est défendu d’être un partisan du repli. Il a accusé au contraire ses détracteurs de «confondre la civilisation européenne avec une Union européenne à vocation fédéraliste», et prôné l’adhésion immédiate des pays d’Europe de l’est à une vaste «confédération qui regrouperait l’Europe des patries». En politique étrangère, sa proposition la plus spectaculaire reste l’instauration d’une grande «Communauté francophone de 400 millions d’habitants» liant la France à de nombreux États africains. «Je ne me résigne pas à voir sombrer l’Afrique», a affirmé Jean-Marie Le Pen, pour qui ce projet d’aide et de coopération doit concerner des domaines tels qu’Internet, le cinéma, la culture. Il impliquerait la mise en place d’une zone économique francophone, d’une compagnie aérienne, d’une université, et d’un service civique de la francophonie d’une durée de six mois qui permettrait aux jeunesses française et africaine de «mieux se connaître».

Ponctué par quelques gouttes de pluie, le discours fleuve du candidat Le Pen s’est conclu sur un appel inattendu aux électeurs de gauche. «Vous qui avez voté à gauche au premier tour, n’acceptez pas d’aller voter en vous bouchant le nez, a-t-il lancé en faisant allusion à Jacques Chirac. Vous devez voter pour moi et rejoindre la grande masse du peuple français». Avant que les manifestants n’entonnent la Marseillaise, Jean-Marie Le Pen les a galvanisés en évoquant la «victoire» dimanche prochain. «Il nous reste quatre jours pour gagner la bataille de France. Hauts les cœurs, nous pouvons gagner dimanche car nous avons la foi et l’amour de la patrie avec nous».



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 01/05/2002