France: présidentielle 2002
Le flot des manifestants anti-Le Pen
La fête internationale du travail a pris cette année une couleur essentiellement politique en France. Près d’un million de manifestants ont répondu à l’appel d’une soixantaine d’associations anti-racistes, de syndicats (hormis la CFE-CGC et la CFTC) et de nombreux partis de gauche à un défilé contre Jean-Marie Le Pen. Une véritable démonstration de force au nom des valeurs de la république et la démocratie. A Paris, ce sont plus de 400000 personnes selon la police, 900 000 selon les organisateurs qui ont défilé de la place de la République à la place de la Nation. Reportage.
Aux grands maux les grands remèdes. Paris, place de la République, 15 heures. Les Parisiens battent le pavé de la capitale. Des dizaines de milliers d’opposants tous bords sont descendus dans la rue ce 1er mai 2002 contre l’extrême droite. Une marée humaine. Des socialistes, des communistes, des anarchistes, des anti-mondialistes défilent coude à coude. Mais pas seulement. Des sans papiers, des artistes, des étudiants, des homosexuels, des anonymes cohabitent sur le trottoir. Un seul mot d’ordre : faire barrage aux idées de Jean-Marie Le Pen. Les chars décorés aux couleurs des associations et des syndicats, tout moteur éteint, déversent des décibels par des puissants hauts-parleurs, dans un brouhaha indescriptible. Sur les affiches, banderoles, badges, tee-shirts fabriqués pour l’occasion. Partout le même message : «No pasaran».
Et justement, personne ne passe place de la République. Tout est bloqué. Il y a du monde depuis le boulevard Beaumarchais jusqu’à la place de la Bastille, première étape de la manifestation. Même constat dans les rues avoisinantes. Les gens arrivent par dizaines de milliers, se fondent par vague à la foule. Une foule enthousiaste, déterminée mais inquiète. Les organisateurs sont dépassés par cette mobilisation. Les records d’affluence battus. Impossible de tenter de rejoindre la place de la Nation. Quelques incidents, des malaises et des évanouissements dus à la pression de la foule. Deux heures après l’arrivée des premiers place de la Nation, des groupes se forment encore pour prendre le départ. Devant l’affluence, les forces de l’ordre décident de couper le cortège en plusieurs parties. Dans une atmosphère bon enfant et volontairement «calme», la foule emprunte trois itinéraires différents pour rejoindre la place de la Nation. Elle marche au son de la musique Raï ou de la Marseillaise.
La gigantesque pagaille du départ cède la place à la vraie motivation du rassemblement de ce 1er mai. La fête du travail s’est commuée en un mouvement unitaire contre le Front National et son chef, Jean-Marie Le Pen. Les partis de gauche n’ont eu aucun scrupule à afficher leurs couleurs. Ils appellent à voter Chirac le 5 mai. Les partis de droite sont absents. C’est du moins ce que tente de prouver un manifestant singleton avec sa pancarte : «Y-a-t-il un parlementaire de droite dans la rue contre Le Pen ?». Sûr de la réponse, il prend à témoin d’autres manifestants.
L'appel à voter Chirac divise
La politisation de cette manifestation embarrasse les militants du Syndicat Force ouvrière. Cette confusion ne plait guère à Antoine Perrier, élu du Syndicat national des instituteurs-FO (Section Seine et marne). «Ce n’est pas le rôle d’un syndicat d’appeler à voter pour ou contre un candidat à l’élection présidentielle. Nous défendons les travailleurs de quelque bord qu’ils soient,» précise-t-il. Non loin, Sud-Nettoyage et une autre corporation de techniciens de surface du groupe Accor disent défendre leur emploi en appelant «à barrer la route à Le Pen». Il y a là des Maghrébins, des Maliens, des Sénégalais. Ils craignent la précarisation de leur statut d’immigré si Le Pen arrive au pouvoir. Il y a là également des militants du Parti des travailleurs du Kurdistan, drapeau au poing. «Notre pays est coincé entre la Turquie et l’Irak et on ne nous reconnaît aucun droit. Nous pensons être intégrés ici, puisque nous travaillons pour l’industrie du prêt-à-porter français, mondialement connue. C’est la guerre là-bas, et avec Le Pen au pouvoir nous serons condamnés à l’errance,» explique leur porte-parole.
Dans le défilé, on remarque beaucoup de familles dont certaines sont venues avec leurs enfants, y compris en bas âge. Sur le trottoir, Robin, 8 ans, le drapeau européen dans les mains, est catégorique : «le Pen, c’est la honte». Sylvie, jeune mère de famille est également là par solidarité avec les habitants de son quartier Belleville: «histoire de leur remettre du baume au coeur,» déclare-t-elle. En pointe de la contestation, les étudiants et les jeunes qui font leurs classes de citoyens dans les rues, ne mâchent pas leurs mots. Et scandent des slogans : «Non au F-Haine», «Bottez utile, votez utile», «Objectif 90%- 10% ». Caroline, sympathisante Lutte Ouvrière est venue manifester mais reconnaît -consigne d’Arlette Laguiller oblige- qu’elle votera «blanc». Elle se fait huer. On discute, on échange, on parle au téléphone en vain. Le réseau est saturé. Restent les textos pour communiquer.
Tout au long du cortège, quelques militants communistes improvisés vendeurs de muguet sont là pour renflouer les caisses du parti. Témoignage : «J’aurais aimé que ceux qui manifestent dans la rues soient plus présents dans des réunions politique. On manque de bras». Dans la rue également des hommes d’Eglise, Pierre est aumônier. Pour lui, «le choix du Front national est incompatible avec le message de l’évangile qui prône des valeurs de fraternité et d’amour de l’autre.» Un avis que partagent largement Christophe, Pierre et Régis, militants homosexuels. «Il faut rappeler aux gens les propos homophobes du leader d’extrême droite dans les années 80,» confie l’un d’entre eux.
Ce mélange des genres, dans un esprit revendicatif, ne gène aucunement Eugenio Dressan, secrétaire national du SNES (Syndicat des enseignants du premier degré): «Le 1er mai, la fête du travail, trouve en cette manifestation son vrai sens, c’est-à-dire la fête de la solidarité, » estime-t-il. Avant d’ajouter : «Ce qui se passe aujourd’hui est un vaste rassemblement sur des valeurs que nous partageons». Mobilisés aussi les syndicats autonomes, comme beaucoup d’autres dans le cortège, Denis, 36 ans, secrétaire national du SNUI (Syndicat national unifié des impôts), estime que: « l’essentiel c’est que le Front national ne s’installe pas dans la durée.» Réponse le 5 mai prochain dans le secret des isoloirs.
Et justement, personne ne passe place de la République. Tout est bloqué. Il y a du monde depuis le boulevard Beaumarchais jusqu’à la place de la Bastille, première étape de la manifestation. Même constat dans les rues avoisinantes. Les gens arrivent par dizaines de milliers, se fondent par vague à la foule. Une foule enthousiaste, déterminée mais inquiète. Les organisateurs sont dépassés par cette mobilisation. Les records d’affluence battus. Impossible de tenter de rejoindre la place de la Nation. Quelques incidents, des malaises et des évanouissements dus à la pression de la foule. Deux heures après l’arrivée des premiers place de la Nation, des groupes se forment encore pour prendre le départ. Devant l’affluence, les forces de l’ordre décident de couper le cortège en plusieurs parties. Dans une atmosphère bon enfant et volontairement «calme», la foule emprunte trois itinéraires différents pour rejoindre la place de la Nation. Elle marche au son de la musique Raï ou de la Marseillaise.
La gigantesque pagaille du départ cède la place à la vraie motivation du rassemblement de ce 1er mai. La fête du travail s’est commuée en un mouvement unitaire contre le Front National et son chef, Jean-Marie Le Pen. Les partis de gauche n’ont eu aucun scrupule à afficher leurs couleurs. Ils appellent à voter Chirac le 5 mai. Les partis de droite sont absents. C’est du moins ce que tente de prouver un manifestant singleton avec sa pancarte : «Y-a-t-il un parlementaire de droite dans la rue contre Le Pen ?». Sûr de la réponse, il prend à témoin d’autres manifestants.
L'appel à voter Chirac divise
La politisation de cette manifestation embarrasse les militants du Syndicat Force ouvrière. Cette confusion ne plait guère à Antoine Perrier, élu du Syndicat national des instituteurs-FO (Section Seine et marne). «Ce n’est pas le rôle d’un syndicat d’appeler à voter pour ou contre un candidat à l’élection présidentielle. Nous défendons les travailleurs de quelque bord qu’ils soient,» précise-t-il. Non loin, Sud-Nettoyage et une autre corporation de techniciens de surface du groupe Accor disent défendre leur emploi en appelant «à barrer la route à Le Pen». Il y a là des Maghrébins, des Maliens, des Sénégalais. Ils craignent la précarisation de leur statut d’immigré si Le Pen arrive au pouvoir. Il y a là également des militants du Parti des travailleurs du Kurdistan, drapeau au poing. «Notre pays est coincé entre la Turquie et l’Irak et on ne nous reconnaît aucun droit. Nous pensons être intégrés ici, puisque nous travaillons pour l’industrie du prêt-à-porter français, mondialement connue. C’est la guerre là-bas, et avec Le Pen au pouvoir nous serons condamnés à l’errance,» explique leur porte-parole.
Dans le défilé, on remarque beaucoup de familles dont certaines sont venues avec leurs enfants, y compris en bas âge. Sur le trottoir, Robin, 8 ans, le drapeau européen dans les mains, est catégorique : «le Pen, c’est la honte». Sylvie, jeune mère de famille est également là par solidarité avec les habitants de son quartier Belleville: «histoire de leur remettre du baume au coeur,» déclare-t-elle. En pointe de la contestation, les étudiants et les jeunes qui font leurs classes de citoyens dans les rues, ne mâchent pas leurs mots. Et scandent des slogans : «Non au F-Haine», «Bottez utile, votez utile», «Objectif 90%- 10% ». Caroline, sympathisante Lutte Ouvrière est venue manifester mais reconnaît -consigne d’Arlette Laguiller oblige- qu’elle votera «blanc». Elle se fait huer. On discute, on échange, on parle au téléphone en vain. Le réseau est saturé. Restent les textos pour communiquer.
Tout au long du cortège, quelques militants communistes improvisés vendeurs de muguet sont là pour renflouer les caisses du parti. Témoignage : «J’aurais aimé que ceux qui manifestent dans la rues soient plus présents dans des réunions politique. On manque de bras». Dans la rue également des hommes d’Eglise, Pierre est aumônier. Pour lui, «le choix du Front national est incompatible avec le message de l’évangile qui prône des valeurs de fraternité et d’amour de l’autre.» Un avis que partagent largement Christophe, Pierre et Régis, militants homosexuels. «Il faut rappeler aux gens les propos homophobes du leader d’extrême droite dans les années 80,» confie l’un d’entre eux.
Ce mélange des genres, dans un esprit revendicatif, ne gène aucunement Eugenio Dressan, secrétaire national du SNES (Syndicat des enseignants du premier degré): «Le 1er mai, la fête du travail, trouve en cette manifestation son vrai sens, c’est-à-dire la fête de la solidarité, » estime-t-il. Avant d’ajouter : «Ce qui se passe aujourd’hui est un vaste rassemblement sur des valeurs que nous partageons». Mobilisés aussi les syndicats autonomes, comme beaucoup d’autres dans le cortège, Denis, 36 ans, secrétaire national du SNUI (Syndicat national unifié des impôts), estime que: « l’essentiel c’est que le Front national ne s’installe pas dans la durée.» Réponse le 5 mai prochain dans le secret des isoloirs.
par Myriam Berber et Didier Samson
Article publié le 01/05/2002