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France: présidentielle 2002

21 avril-5 mai : deux semaines de bouleversements

Au cours des deux semaines séparant le premier du deuxième tour de l’élection présidentielle, la vie politique française a connu plus de bouleversements qu’en plusieurs années. L’annonce de la qualification de Jean-Marie Le Pen là où on attendait Lionel Jospin a déclenché toute une série de mouvements tels la constitution d’un front anti-Le Pen, l’irruption des jeunes dans la campagne, la stigmatisation des sondages ou la lutte contre l’abstention.
Abstentions : avant même la clôture du scrutin, dimanche 21 avril, on savait que les «pécheurs à la ligne», nom traditionnellement donné aux abstentionnistes, seraient particulièrement nombreux. De fait, près de 28% des citoyens ne se sont pas rendus aux urnes. Niveau record, surtout pour une élection présidentielle qui, avec les municipales, mobilise habituellement les Français. Dégoûtés de la politique ou abusés par l’idée que les jeux étaient déjà faits pour un deuxième tour Chirac-Jospin, les abstentionnistes se voient attribuer, dès l’annonce des résultats, une large part de responsabilité dans la présence de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour. Certains manifestent leurs regrets, «si j’avais su», et tentent de se rattraper en promettant d’être là le 5 mai. Les demandes de vote par procuration, pour ceux qui avaient négligé cette possibilité en cas d’absence, affluent dans les commissariats et les préfectures. La dramatisation des enjeux du scrutin, tout au long de la période entre les deux tours devrait conduire le 5 mai à une participation sensiblement plus importante qu’au premier.

Appels : dès l’annonce des résultats du premier tour, les leaders de la gauche défaite ont pris conscience du danger : les socialistes Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius, le Vert Noël Mamère appellent à voter pour Jacques Chirac au second tour, en un « sursaut républicain ». Le lendemain, c’est au tour du Parti communiste, puis le mardi de Jean-Pierre chevènement. A l’exception notable de Arlette Laguiller (Lutte ouvrière- trotskiste) toutes les formations de gauche présentes au premier tour se manifestent en ce sens. Au fil des jours, le mouvement s’amplifie. Une multitude d’organisations, d’associations politiques, sociales, humanitaires, religieuses ou représentatives d’une catégorie de la population appellent, explicitement ou implicitement, à voter Chirac le 5 mai.

Chirac : le président sortant n’a pas été le moins surpris par les résultats du premier tour qui devraient cependant avoir pour effet, front anti-Le Pen oblige, une réélection beaucoup plus large le 5 mai. Jacques Chirac s’est retrouvé confronté à une campagne de l’entre deux tours particulièrement éprouvante en raison de la nature des attaques de son adversaire. Du candidat d’extrême droite il a dû essuyer le qualificatif de « parrain des clans qui mettent le pays en coupe réglée depuis deux décennies ». Il s’est quant à lui refusé à débattre avec un candidat «raciste et xénophobe».

Débat : il est devenu de tradition qu’un grand débat télévisé oppose entre les deux tours les deux candidats à l’élection présidentielle. Tout, dans les états-majors et chaînes de télévision était prêt pour le duel Chirac-Jospin. Patatras, dans un discours à Rennes, le 23 avril, Jacques Chirac repousse l’idée de cette rencontre estimant qu’il n’est «pas de débat possible» avec le candidat de «l’intolérance et de la haine». Jean-Marie Le Pen a beau jeu de dénoncer la «piteuse dérobade» causée par la «peur de la vérité». Les Français, dans un sondage, avaient souhaité ce débat mais les mateurs de polémiques électorales en sont pour leurs frais : ceux qui ont eu à affronter le candidat du FN devant les caméras n’en ont pas gardé un bon souvenir.

Jeunes : nouveaux acteurs de la vie politique française depuis le 21 avril, les 18-24 ans dont on sait qu’ils se sont abstenus pour environ un tiers d’entre eux et que, parmi les votants, Jean-Marie Le Pen arrive en tête dans cette classe d’âge. Les non-votants du premier tour ont pris conscience à chaud de l’importance d’un bulletin de vote. Pour ceux qui n’auraient pas bien saisi, la pression des plus jeunes qui n’ont pas encore le droit de vote s’est exercée sans fard. Les manifestations de collégiens et lycéens rassemblant des dizaines de milliers de jeunes ont constitué une leçon d’éducation civique d’une ampleur dont le ministère de l’éducation antionale n’osait rêver. La question reste posée , cependant, de la poursuite de la mobilisation des jeunes, feu de paille ou retour à la génération «Touche pas à mon pote» ?

Jospin : Assommé par la défaite, au soir du 21 avril, le Premier ministre annonce qu’il prend sur lui toute la responsabilité de l’échec et qu’il en tire les conséquences. Il se retirera de la vie politique au lendemain du deuxième tour. Pas un mot, à ce moment sur l’attitude à adopter le 5 mai. Deux ou trois jours passent et de plus en plus de voix s’élèvent, notamment au sein du PS, contre son assourdissant silence. Il faudra attendre le vendredi pour qu’en un sobre communiqué Lionel Jospin engage les Français à exprimer par leur vote «leur refus de l’extrême droite», par souci de l’avenir de la France, dit-il et «sans illusion sur le choix qui se présente». Ce jour là l’ancien candidat à l’élection présidentielle renonce à son dernier mandat électif au conseil général de la Haute-Garonne.


Législatives : N’en parler jamais, y penser toujours. Le front du refus de l’extrême droite ne parvient pas totalement à occulter la bataille qui s’annonce pour les élections législatives des 9 et 16 juin prochains. A gauche, l’enjeu est de rétablir le contact avec le peuple de gauche qui a fait en partie défection le 21 avril, soit en s’abstenant soit en émiettant ses suffrages sur l’ensemble des candidats de la majorité plurielle ou les contestataires. Il faut éviter d’être laminé par une «vague bleue» entraînée par l’élection de Jacques Chirac à l’Elysée. L’inversion du calendrier électoral entre présidentielle et législatives avait en effet pour but d’éviter une nouvelle cohabitation. Mais, à droite le danger est bien réel d’une multiplication des triangulaires dans lesquelles les candidats du FN en se maintenant au deuxième tour permettraient l’élection du candidat de gauche. Jusqu’au lendemain de la présidentielle une entente de façade prévaudra. Mais, dès le 6 mai chacun aura à coeur de rassembler ses troupes et de les mobiliser sur son propre programme.

Le Pen : incontestablement le grand vainqueur du premier tour. Après avoir laissé planer le doute sur sa participation en raison du manque de parrainages il a endossé, à nouveau, le rôle de la victime entre les deux tours face au front uni «de Boutin à Laguiller, du Medef à la CGT». Les électeurs doivent donc en tirer la conclusion qu’il est dans le vrai. Jean-Marie Le Pen semble tout de même un peu dépassé par son succès si l’on en juge par l’approximation de son programme économique et social et la faiblesse de l’appareil susceptible de prendre les rênes de l’Etat.

Manifestations : spontanées le dimanche soir du premier tour, très organisées le 1er mai. Entre ces deux dates la rue a été occupée jour après jour par des dizaines puis des centaines de milliers de manifestants, jeunes pour la plupart, affichant leur refus du Front national et des idées dont il est porteur. De 90 000 mardi 23 avril on en comptait 350 000 jeudi 25 avril, sur tout le territoire.
Mais l’appel du candidat vert Noël Mamère, au soir du premier tour, à faire des traditionnelles manifestations syndicales du 1er mai une journée nationale de défense de la démocratie a constitué l’événement de l’entre deux tours. Mobilisation rarement atteinte ce jour là, pour la fête de Jeanne d’Arc du Front national, avec plusieurs dizaines de milliers de manifestants à Paris. Et manifestation monstre aussi des anti-Le Pen tant à Paris, 400 000 personnes qu’en province avec près d’un million de manifestants dans les villes grandes ou plus petites.

Médias : mis en cause pour leur insistance, avant le premier tour, sur les problèmes de l’insécurité. Ils auraient favorisé le centrage de la campagne électorale sur ce thème l’élevant au rang de priorité. Les médias sont aussi accusés d’avoir abusé de la publication de sondages qui se sont avérés faux. Entre les deux tours les faits divers ont retrouvé une place plus modeste dans les journaux éc



par Francine  Quentin

Article publié le 04/05/2002