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France: présidentielle 2002

Les électeurs de la vingt-cinquième heure

Lors des présidentielles, les bureaux de vote des Antilles-Guyane mais aussi de Polynésie et de Saint-Pierre-et-Miquelon sont toujours ouverts alors que les résultats partiels de l’Hexagone sont très largement connus. Le phénomène s’amplifie avec internet et les chaînes par satellite. L’organisation du scrutin persiste à s’en accommoder.
De notre correspondant à Cayenne

«Au premier tour, j’allais voter Taubira, mais avant j’ai voulu connaître les résultats. Quand j’ai appris que Le Pen serait au second tour, j’ai voté Jospin pour essayer de le sauver» confie Monique, enseignante martiniquaise en poste à Saint-Laurent du Maroni en Guyane.

Forcément : dimanche 21 avril, Monique, comme une bonne partie des électeurs des Antilles (heure de Paris moins 6) et de la Guyane (H-5), a eu accès aux résultats en direct sur toutes les chaînes d’information de Canal Satellite, plusieurs heures avant l’issue du scrutin. De plus, le même jour, deux télévisions privées, ACG en Guyane et ATV en Martinique ont, elles aussi, décidé de diffuser les résultats partiels donnés par TF1, avant la clôture des scrutins locaux, contrairement aux directives du CSA. Le conseil a été saisi par RFO pour cette violation d’embargo.

Depuis, la commission nationale de contrôle de la campagne électorale a tenu à faire connaître «sa vive réprobation à l’égard de comportements contraires à la loi» et invité le CSA à «sanctionner cette violation consciente de la loi électorale». Or l’article 52-2 en question, qui stipule : «aucun résultat d’élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par voie de presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle (…) dans les départements d’outre mer avant la fermeture du dernier bureau de vote…» paraît de plus en plus inadapté au développement des nouveaux moyens de communication, internet compris. D’autant que dans les régions d’outre-mer, les abonnements au bouquet satellite grimpent en flèche (26,4 % des foyers ont accès à un bouquet de chaîne satellite en Guyane selon une étude Médiamétrie d’avril 2001).

«Notre vote ne compte pas»

Par ailleurs, les mêmes dysfonctionnements touchent la Polynésie et Saint-Pierre-et-Miquelon. Au Conseil Constitutionnel on rétorque un peu maladroitement : «ces deux régions sont des tom et ne sont donc pas concernées par l’article L.52-2». En Polynésie, les résultats du scrutin national sont déjà connus une heure à peine après l’ouverture des bureaux de vote. L’électorat s’y élève à 151 505 inscrits (dont 78 290 votants dimanche 21 avril). Et sur l’ensemble des cinq dom-tom concernés cela commence à faire du monde : près de 760 000 inscrits pour près de 310 000 votants le 21 avril, soit largement plus que la différence de suffrages entre Jean-Marie Le Pen et Lionel Jospin.
Pour Christiane Taubira, la solution consisterait à «faire voter la veille, les électeurs de ces dom-tom, avant de placer les urnes sous scellés». Au début des années 90, Alexandre Léontieff, un député polynésien, avait obtenu un amendement, à l’occasion d’une échéance nationale, permettant de voter la veille du scrutin sur son territoire.
Aujourd’hui, dans ces contrées lointaines de la République on s’interroge franchement sur sa qualité de citoyen : «notre vote ne compte pas», indiquaient dépités des électeurs de Saint-Laurent du Maroni, en Guyane, dimanche 21 avril en venant voter. Ils avouaient connaître les deux vainqueurs du scrutin avant de déposer leur bulletin dans l’urne. Le Conseil constitutionnel a bien été saisi par des électeurs pour les multiples violations de l’article L.52-2 lors du premier tour. Mais mercredi 24 avril, le Conseil a jugé irrecevables ces recours en annulation du premier tour qui n’émanaient pas d’un des candidats. Une manière très critiquable d’éluder une anomalie peu républicaine qui, de plus, pourrait influer sur le résultat lors d’un scrutin serré. Car les chiffres sont têtus : 760 000 inscrits cela représente environ 1,9% de l’électorat français. Dès lors, imaginons qu’un jour l’électorat de ces cinq dom-tom vienne inverser le résultat du second tour d’une élection présidentielle, annoncé à 20 heures heure française. En 2007… Par exemple.



par Frédéric  Farine

Article publié le 03/05/2002