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Droits de l''enfant

L’impunité des assassins d’enfants au Honduras

Le sommet mondial de l’enfance organisé par l’ONU se tient du 8 au 10 mai à New York. L’occasion de faire le point sur les engagements pris par les Etats en 1990. Beaucoup reste à faire et nombre de situation dramatiques perdurent, c’est le cas au Honduras où les assassinats d’enfants sont légion et restent impunis.
De notre correspondant régional

Oscar, José Luis et Manuel, (quatorze ans) faisaient de la bicyclette quand plusieurs hommes armés, ont interrompu leur jeu, pointant leurs armes contre eux, les obligeant à monter dans une camionnette. Les parents les ont cherché toute la nuit et les ont trouvés au petit matin dans un terrain vague. Les jambes d’Oscar avaient été transpercées de part en part avec un pic à glace, les deux autres avaient le sexe coupé et une balle dans le dos. A part la famille, personne ne considère cela comme dramatique.

Le Honduras assassine ses enfants dans une grande indifférence de la société. Casa Alianza, une ONG internationale qui défend le droit à vivre des enfants en Amérique centrale et au Mexique, tient la macabre comptabilité: 1116 assassinats depuis janvier 1998, c’est à dire une moyenne de 21 exécutions par mois depuis quatre ans. Les victimes sont en grande majorité des garçons âgés de 14 à 21 ans dont la tête ou l’habillement ont attiré l’attention des assassins. Les uns avaient un tatouage, des boucles d’oreille ou un pantalon trop large, d’autres étaient des enfants errants, venus des régions rurales trop pauvres pour les nourrir. Points communs: ils sont abattus en pleine rue, à la Kalachnikov, l’arme utilisée par la police ou l’armée, ou enlevés par des hommes vêtus de noir. On retrouve alors leurs corps jetés dans les terrains vagues, torturés, violés, sauvagement mutilés.

Dans ce petit pays d’Amérique centrale qui compte à peine six millions d’habitants, 65% de la population a moins de 25 ans. La crise économique est terrible: chômage, famine, chute des cours du café, dette extérieure très lourde à payer, ouragans dévastateurs, politiques néolibérales ont engendré une délinquance incontrôlable. Le gouvernement a donc décidé d’appliquer une tolérance zéro contre les gangs, mais dans 95% des cas, les enfants assassinés n’ont rien à voir avec cette délinquance organisée. Ces assassinats renvoient davantage à un racisme anti-jeunes et anti-pauvres: un exutoire par où s’épanche les déraisons d’une société malade de la violence, du militarisme et de l’absence du respect des droits de l’homme.

Un visiteur de l’ONU envoyé sur place

Pour tenter de comprendre cette tragédie sociale, l’ONU a dépêché un commissaire des droits de l’homme à Tegucigalpa, la capitale du Honduras. Son rapport montre la fragilité des institutions ce qui favorisent l’impunité et accroît la spirale de la violence. Il note que depuis que ce pays a retrouvé le chemin de la démocratie, en 1980, aucun gouvernement n’a jamais voté de budgets pour protéger et s’occuper de l’enfance. Dans cette société archaïque et autoritaire, le dialogue adulte-enfant n’existe pas plus à l’école que dans les familles. Mais ce rapport très exhaustif sur les multiples raisons de cette attitude passive des gouvernements met en exergue deux facteurs explicatifs.

La «génération de la transition démocratique», c’est à dire, les gens qui sont au pouvoir, n’a jamais voulu réaliser un travail sur la récupération de la mémoire historique, c’est à dire sur ce qui s’est passé avant 1980, sous la dictature. Ce travail (qu’est en train de réaliser avec difficulté le Guatemala) aurait permis au Honduras d’exorciser son passé, de juger les tortionnaires et d’asseoir une véritable démocratie. Rappelons que le retour du Honduras à une forme constitutionnelle de gouvernement ne signifie malheureusement pas que la classe politique ait réussi à établir la prééminence des instances civiles dans la vie du pays. Au contraire, les militaires continuent d’avoir l’oeil sur tout. Les forces armées qui concentrent de nombreuses responsabilités et prérogatives, représentent un véritable Etat dans l’Etat.

Le second facteur relevé par le rapport de l’ONU concerne les politiques d’ajustements économiques des années 90. Elles ont accentué les mécanismes d’exclusion et de discrimination sociale. 70% de la population vit dans la misère, avec moins de un dollar par jour. Le Honduras qui se remet difficilement du passage de l’ouragan Mitch en 1998, vient de subir une terrible sécheresse qui a ravagé ses deux principales cultures: le café et la banane. L’ouverture à un monde plus global que préconise le très libéral président Ricardo Maduro n’offre pas d’opportunité à la jeunesse qui n’a comme futur que l’émigration aux Etats-Unis, pays qui lui ferment encore plus les portes depuis le 11 septembre. La démocratisation et la modernisation de l’Etat n’ont jamais pris en compte cette jeunesse pourtant majoritaire: il n’existe pas de stratégies pour réduire la pauvreté, et l’intolérance sociale reflète son incapacité et sa difficulté de dialogue. Le rapport de l’ONU souligne le cercle vicieux qui se referme dès lors que l’on constate que le dénuement économique empêche d’adopter les mesures susceptibles de combattre les facteurs qui l’entretiennent.

Ce rapport, remis au Président Maduro, met en cause de nombreuses personnes et institutions, une raison pour laquelle son auteur à préféré regagner la Suisse avant qu’il ne soit publié. Il réclame «une action urgente pour mettre fin à l’indifférence et à la complicité du gouvernement face aux évidences irréfutables des assassinats quotidiens d’enfants». Ce phénomène de crimes multiples est un signe évident que certains secteurs de la société commencent à faire justice de leurs propres mains faute de résultats concrets des autorités pour assurer la sécurité et proposer une justice qui respecte les lois.



par Patrice  Gouy

Article publié le 07/05/2002